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« sort qu'on me garde; je soulève contre moi tous les « amours-propres ; j'aiguise mille poignards et me dévoue « à toutes les haines; je recevrais presque comme un bien« fait une mort qui m'empêchera d'être témoin des maux « que je vois inévitables. » « Nous mourrons tous avec toi!» s'écrie dans son enthousiasme Camille Desmoulins, et de bruyantes acclamations couvrent l'allocution de l'ami du peuple.

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Barnave, ses amis, la Fayette, un grand nombre de personnes partageant leurs opinions, arrivent enfin; ils sont reçus avec plus de bienveillance qu'on ne pouvait l'espèrer après l'effet que le discours de Robespierre avait produit dans cette assemblée. Danton toutefois s'élance à la tribune, et jette à la face du commandant général cette brutale accusation : « Vous avez répondu sur votre tête « que le roi ne partirait pas; vous êtes un traître, ou vous «< êtes stupide; dans l'hypothèse même la plus favorable, « vous devez cesser de nous commander. >> · Alexandre de Lameth défendit la Fayette; il prit à témoin Danton lui-même, que dans des entretiens confidentiels, tout en blâmant le chef de la milice parisienne, il avait rendu justice à son patriotisme, qu'il avait dit ces propres paroles : « Le commandant général se ferait tuer à la tête des pa« triotes, dans le cas d'une contre-révolution. » Danton avoua la vérité de ces paroles, alléguées par Lameth. — Aussitôt un grand nombre de voix invitèrent le général à monter à la tribune. Il parla en homme qui dédaigne de se justifier; il crut devoir retracer les principes qui rendent un peuple digne de sa liberté. Son discours fut généralement applaudi. L'exaltation soi-disant patriotique fut

comprimée ce jour-là aux Jacobins; et sur la proposition de Barnave, une circulaire, conçue dans un esprit de conciliation, fut envoyée aux sociétés affiliées; elle se terminait par les paroles suivantes : « Toutes les divisions sont « oubliées, tous les patriotes sont réunis; l'assemblée na«tionale! voilà notre guide; la constitution! voilà notre « cri de ralliement (1).

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Les royalistes qui se disaient purs croyaient toucher au moment de voir réaliser leurs espérances, et avaient peine à contenir leur joie de savoir Louis hors de Paris. Quant à l'assemblée, elle continuait de suivre la marche qu'elle · s'était déjà prescrite pour garantir la France des entreprises de l'étranger et des réactions intérieures. Un nouveau serment fut demandé aux militaires : ils jurèrent de maintenir la constitution, ou plutôt les articles constitutionnels, déjà décrétés et sanctionnés, et de n'obéir qu'aux ordres émanés de l'assemblée nationale. Les représentants prêtèrent aussi ce serment; ceux de la droite, avec quelques restrictions qui manifestaient leurs sentiments royalistes, mais auxquelles l'assemblée eut la sagesse de ne pas prêter attention. Elle crut devoir publier néanmoins une adresse aux Français, en réponse au manifeste du roi, ou à la déclaration qu'il avait laissée au moment de partir. Cette pièce se ressentit de la précipitation avec laquelle elle fut rédigée. Les députés de la gauche y avaient eu la principale part. Elle ne renferma, au vrai, que des invectives, une suite de récriminations et aucune réfutation précise des griefs de Louis XVI, consignés dans sa déclaration (2).

(1) Droz, t. III, p. 412-417. (2) Moniteur, t. VIII, p. 731.

Deux jours et deux nuits s'écoulèrent dans de cruelles incertitudes. La séance était permanente, les députés ne quittaient presque plus la salle. On en voyait quelquesuns marcher à pas précipités dans les couloirs, tantôt absorbés dans une profonde rêverie, tantôt manifestant leurs pensées en paroles entrecoupées. « Les nouvelles se font attendre, » disait l'un,.« le roi doit avoir gagné la « frontière.»-« Tant mieux,» répliquait un autre, « il «< nous sera plus facile de déclarer la vacance du trône. - Alors quelques amis du duc d'Orléans hasardaient de décliner à mi-voix le nom du prince. « Il est trop avili, « trop lâche, répondaient quelques députés. Un autre interlocuteur s'approchant du groupe : « Qu'y a-t-il de

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mieux, » dit-il, « que d'user de la dictature qui nous « est échue par le cours des événements? Qu'est-ce qu'un << trône vacant? Je ne vois qu'un trône abattu pour tou<< jours. C'est un parti extrême qu'il nous faut prendre. » Oui, sans doute, » ajoutait Robespierre avec sa voix aiguë et son regard d'hyène, « il n'y a pas un moment à perdre. Ceux qui seraient prêts à servir les perfides des« seins de Louis marchent peut-être parmi nous tête le«vée. Du sang! du sang! c'est le cri du peuple vertueux, « las de se voir si longtemps abusé. » On pouvait déjà entrevoir que le député d'Arras visait au pouvoir suprême (1).

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Vers dix heures du soir (23 juin), une vive agitation se manifeste aux portes et dans toutes les parties de la salle de l'assemblée; des voix s'élèvent : « Il est arrété! il est « arrété! » Effectivement, une lettre des officiers muni

(1) Lacrctelle.

cipaux de Varennes était remise au président, laquelle, sans mentionner l'arrestation de Louis XVI et tout ce qui s'en était suivi, annonçait seulement que le roi se trouvait dans leur ville, et on demandait à l'assemblée de prescrire aux municipaux la conduite qu'ils auraient à tenir dans cette occurrence. Cependant, sans attendre les ordres de l'assemblée, ces hommes avaient forcé le monarque de remonter dans la voiture avec sa famille, et lui avaient fait rebrousser chemin vers Paris, suivi de la multitude qui grossissait à chaque station. Bientôt plusieurs individus se présentent à la barre, accourus de Varennes, entre autres Drouet, et racontent, aux grands applaudissements des tribunes, comment ils étaient parvenus à arrêter le roi dans sa fuite. Robespierre, dans la joie que lui cause cette nouvelle, propose des couronnes civiques à ces sauveurs de la patrie; mais cette proposition n'a pas de suite.

L'assemblée nomme trois commissaires, Latour-Maubourg, Pétion et Barnave, qu'elle investit de tous les pouvoirs nécessaires pour assurer le retour du roi et de la famille royale. Les commissaires sont chargés spécialement de maintenir le respect dû à la dignité royale; un autre décret suspend Bouillé de ses fonctions, et ordonne aux autorités départementales de le faire arrêter. Un troisième décret invite les citoyens à persévérer dans les sentiments de modération dont ils ont déjà donné des preuves, et enjoint aux autorités de prendre les précautions qu'exigeaient la sûreté du roi et celle de sa famille.

La nouvelle de l'arrestation du roi produisit sur les esprits des impressions diverses : chacun considérait ce grave incident du point de vue qui lui était particulier, d'après

les vœux qu'il formait, les sentiments, les opinions politiques qui l'agitaient. Le 23 au matin, dans l'incertitude des événements qui allaient surgir, quelques membres du côté gauche de l'assemblée avaient proposé une conférence pour le lendemain à des députés modérés, a dessein, selon toute apparence, de se rapprocher d'eux, et ceux-ci l'avaient acceptée. Mais la nouvelle de l'arrestation du roi changeant du tout au tout la position respective des par tis, cette conférence, comme de raison, n'eut pas lieu (1).

Les commissaires de l'assemblée nationale envoyés audevant du roi rencontrèrent, entre Épernay et Dormans, le lugubre cortége qui rappelait la sinistre journée du 6 octobre 1789. Mais avant qu'ils l'eussent rejoint, d'horribles scènes s'étaient passées. Le roi, au moment de quitter Varennes, avait eu la douleur de voir arrêter et traiter indignement les officiers qui avaient montré le plus de zèle pour sa personne. Quelque chose de plus affreux lui était réservé. Un vieux gentilhomme, Dampierre, se trouvant par hasard sur la route de Châlons dans le moment où la famille royale y passait, voulu

(1) Droz, t. III, p. 420.

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