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Les commissaires qui revinrent à l'assemblée avec la Fayette et Bailly annoncèrent que partout ils avaient recueilli des témoignages de confiance et de respect pour la représentation nationale. La Fayette rendit compte en peu de mots de l'événement dont les esprits étaient occupés. Tout ce que dit le major général chargé de la garde des Tuileries, à l'égard de la surveillance qui avait été exercée dans la nuit précédente, fut confirmé par Bailly, et on se hâta de le répandre parmi le peuple pour dissiper les bruits de trahison. Les perturbateurs, ce jour-là, firent de vains essais de leurs forces. Des bandes de la multitude furent poussées à des manifestations républicaines, mais en vain: les emblèmes de la royauté, peints ou sculptés, furent détruits; ce fut la seule vengeance que les agitateurs tirèrent de ne pouvoir exciter une perturbation beaucoup plus grave dans la capitale.

L'assemblée ayant pourvu aux soins les plus urgents que la situation du moment réclamait, le président prit la parole en ces termes : « Il paraît que personne n'a plus à << faire de propositions relatives aux circonstances. L'as« semblée jugera peut-être bon de passer à l'ordre du jour. » Cet avis fut adopté, et l'assemblée reprit la discussion sur le Code pénal. Cette attitude calme des représentants au milieu de la crise où l'État se trouvait excita l'enthousiasme des Français et frappa d'étonnement l'étranger. — que de motifs de terreur auraient dû les agiter! La coalition des puissances d'une part, s'appuyant au besoin sur les mécontents du Midi et de l'Ouest; de l'autre, la fermentation des faubourgs, aujourd'hui réprimée, le lendemain pouvant devenir bien plus menaçante. La tenue,

Et

l'aplomb, la modération de l'assemblée dans de telles circonstances, avait quelque chose de l'immobile majesté de la loi; toutes les petites passions de partis se turent; le grand intérêt du salut public sembla occuper seul les esprits.

Durant les discussions touchant le Code pénal, Laporte, intendant de la liste civile, se présente dans l'assemblée et remet au président un paquet qu'on lui avait remis le matin; il contenait une adresse aux Français écrite de la main du roi. Un des secrétaires de l'assemblée en fait de suite la lecture. Louis XVI y proteste contre les actes qu'on l'avait forcé de sanctionner depuis le 6 octobre 1789. Le monarque retrace ensuite le tableau des violences qui lui ont été faites, des outrages dont on l'a abreuvé et de la dégradation complète de sa couronne; mais d'étranges inconvenances détruisent l'effet de ce tableau trop vrai des humiliations du roi. Tous les amis du roi, constitutionnels ou non, furent péniblement surpris d'entendre Louis XVI mêler aux plus grands intérêts des réclamations tout à fait mesquines. En parlant de son arrivée aux Tuileries, en octobre: « Rien, » dit-il, « n'était prêt << pour le recevoir dignement. » Il marquait aussi son mécontentement de la modicité de la liste civile que l'assemblée lui avait allouée. Néanmoins la plupart des reproches contenus dans cette déclaration était d'une vérité frappante, irréfragable. En parlant de la licence des clubs, des journaux, des pamphlets : « Jamais, » disait le roi, « l'assemblée nationale n'a osé remédier à cette licence: « elle a perdu son crédit et même la force dont elle aurait « besoin pour revenir sur ses pas, et changer ce qui lui

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paraîtrait bon à être corrigé... » L'assemblée, en effet, ne s'était-elle pas mise en contravention flagrante avec le vœu le plus général de la grande majorité des Français, exprimé dans les cahiers des députés aux états généraux, afin que la confection des lois se fit de concert avec le roi? Elle lui avait interdit le droit de sanctionner les articles touchant la constitution, tout en insérant dans cette catégorie ceux qu'il lui plaisait d'y ranger et en limitant à la troisième législature son refus de sanction. Il restait une dernière prérogative du roi, la plus belle de toutes, celle de faire grâce ou de commuer les peines, et l'assemblée l'avait ôtée au roi. Les mille journaux qui n'étaient que les échos des clubs, perpétuaient le désordre; on ne tendait qu'à un gouvernement idéal et impossible. D'après tous ces motifs et l'impossibilité où « le roi s'était trouvé d'opérer le bien et d'empêcher <«<le mal qui se commettait, est-il étonnant qu'il ait cher« ché à recouvrer sa liberté pour se mettre en sûreté avec << sa famille? Français, » disait-il en finissant, « quel plaisir votre roi aura-t-il à oublier toutes ces injures personnelles, et à se voir au milieu de vous lorsqu'une «< constitution qu'il aura librement acceptée fera que notre << sainte religion sera respectée, que le gouvernement sera << établi sur un pied stable, et que, par son action, les << biens et l'état de chacun ne seront plus troublés, que les «<lois ne seront plus enfreintes impunément, et qu'enfin « la liberté sera posée sur des bases fermes et inébranla<< bles!... >>

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Le côté gauche affecta de ne pas prêter la moindre attention à la lecture de cette déclaration de Louis XVI;

mais la majorité, redoutant le vent qui soufflait déjà à la république du côté de l'extrême gauche, persistait à appeler toujours l'évasion du roi un enlèvement, pensant ainsi atténuer la faute du monarque aux yeux de la nation. Toutefois le prisonnier de Varennes n'était plus roi; bientôt il va être suspendu de son autorité constitutionnelle même; l'assemblée sera censée gouverner seule, et elle gouvernera ainsi jusqu'à ce que la constitution soit achevée et acceptée par Louis XVI. En attendant, le monarque sera mis sous clef comme un meuble de prix, dont on se servira dans l'occasion (1).

Barnave et ses amis avaient vu s'accroître leur crédit ; l'appui qu'ils avaient loyalement prêté à la Fayette, dans ces derniers jours, ajoutait à leurs forces. Ne doutant pas que le jour de l'évasion du roi le club des Jacobins retentirait de motions extrêmes, ils résolurent de porter, s'il se pouvait, dans ce club, si puissant sur les masses, les idées de modération et d'union qui avaient triomphé à l'assemblée nationale. Ils engagèrent en même temps quelques hommes modérés, qui depuis longtemps avaient cessé de se présenter aux Jacobins, à s'y rendre dans la soirée. Un certain nombre d'ardents clubistes s'y trouvèrent réunis à midi. La société reçut plusieurs députations; elle s'était

(1) Poujoulat.

donné toute l'allure d'une autorité constituée. Robes

« nous;

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pierre, dans la soirée, parut à la tribune. Sans cesse poursuivi par des terreurs, des soupçons vrais ou imaginaires, il gémit de ce qu'on avait laissé perdre un jour, qui pouvait être le plus beau de la révolution; il déplora la faiblesse des mesures prises par l'assemblée nationale. « Je << ne crains pas, » dit-il, « les armées étrangères; mais << Louis XVI compte sur les traîtres qu'il a laissés parmi il va reparaître sur la frontière, aidé de Léopold, « de tous les fugitifs, de tous les brigands dont la cause «< commune des rois aura grossi son armée......... (On n'avait pas encore reçu la nouvelle de l'arrestation du roi.) « On va proposer une transaction avec les émigrés; pourquoi s'égorger entre frères, diront-ils, quand tous veu« lent être libres? Condé se dira plus patriote que nous... « Et voyez comme l'assemblée nationale elle-même mar<«< che vers ce but Louis écrit de sa propre main qu'il prend la fuite, et, par un mensonge grossier, perfide, puisqu'il tend à conserver au ci-devant roi sa qualité, « son pouvoir, l'assemblée aujourd'hui a, dans vingt dé« crets, affecté d'appeler la fuite de Louis un enlèveRobespierre, suivant le cours de ses soupçons, dénonce le pouvoir exécutif, accuse de conspiration les ministres..... « Comment pourrions-nous échapper? » dit-il encore; « considérez seulement leur coalition avec « les comités, avec l'assemblée. » — Se donner pour seul pur, pour seul incorruptible, était la règle de conduite constante de ce tribun; ses phrases retentissantes, sur le bien public, sur les traîtres, étaient l'exorde ordinaire de son propre panégyrique. « Je sais, » continua-t-il, « le

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