Page images
PDF
EPUB

redoutant le moindre délai, criait que si le roi ne voulait pas monter de gré dans la voiture, il l'y ferait traîner par les pieds. Goguelas s'efforçait de maintenir les hussards dans les dispositions qu'ils avaient d'abord manifestées; mais bientôt ils se mêlèrent à la foule, et crièrent comme les autres Vive la nation! On ne voyait arriver aucun détachement de troupes; Bouillé ne paraissait point; Louis XVI résolut de monter en voiture; huit heures venaient de sonner, on partit.

Bouillé apprit l'arrestation du roi à Stenay, à neuf lieues de Varennes. Il serait parti deux heures plus tôt avec le régiment royal-allemand, qu'il avait destiné à cette expédition, s'il eût été averti au moment où le roi venait d'être arrêté. Le général arriva à neuf heures devant Varennes avec sa troupe. Le roi en était parti depuis une heure, escorté de trois ou quatre mille gardes nationaux. On avait brisé le pont de Varennes; des cavaliers envoyés le long de la rivière pour chercher un gué que les troupes pussent traverser, annoncèrent qu'il n'en existait aucun, quoiqu'il s'en trouvât un. Pendant ce temps, la garnison de Metz et celle de Verdun précipitaient leur marche sur Varennes; toutes les populations du canton étaient en mouvement. D'ailleurs les chevaux de royal-allemand, harassés de fatigue, ne pouvaient plus avancer; toute espérance était perdue. Bouillé, au comble du désespoir, retourna sur ses pas, ramena son régiment à Stenay, et de suite, avec quelques officiers, força le passage de la frontière (1).

(1) Nous avons suivi, dans cette relation, Droz et M. Poujoulat à titre d'historiens très-consciencieux; étant aussi les derniers à parler de

Pendant que le roi et sa famille étaient sur la route de Montmédy, qu'ils se voyaient arrêtés à Varennes, de graves, de sinistres événements se déroulaient dans la capitale. La multitude qui suivait et accompagnait Louis XVI et sa famille, retombés de nouveau au pouvoir de la révolution; le peuple de Paris, la presse périodique, les clubs de la capitale, tout cela faisait horreur à voir. La nation ne se montra réellement digne que dans la personne de ses représentants.

Ce fut seulement vers huit heures du matin que la nouvelle de l'évasion du roi commença à circuler dans Paris, et les agitateurs de répandre parmi le peuple les sinistres présages qui paraissaient se rapporter tous à cet événement imprévu. On s'interrogeait dans les rues; l'étonnement, la stupeur, se reflétaient sur la plupart des figures; un silence morne comprimait la colère des autres. On s'attendait à une réaction royaliste arrivée de l'étranger, et combinée avec l'évasion de Louis XVI. Des gardes nationaux s'assemblaient sans avoir été requis; des gens armés de piques apparaissaient dans quelques carrefours; des groupes nombreux se portaient aux Tuileries, sur la place de l'Hôtel de ville, autour de la salle de l'assemblée nationale. L'aspect de Paris était tout autre

ces événements, ils avaient été à même de recueillir les notions les plus exactes. (Voir les Mémoires de Bouillé, t. II, p. 53, 74, 200 et 214; Bertrand de Moleville, t. V, p. 300; Ferrières, t, IV, p. 7-27; les Mémoires de Weber, t. II, p. 80-139, et surtout les Mémoires sur l'affaire de Varennes, publiés en 1823 par Barrière) Voir aussi Drouet, dans le Supplément à la Biographie universelle, t. LXII. Cet homme avait tous les titres pour être honoré par la révolution; il fut élu député à la Convention, et plus tard membre du conseil des Cinq-Cents.

:

dans cette journée que dans les autres crises de la révolution pas de tumulte, encore moins de clameurs; une morne stupéfaction donnait à la multitude un aspect calme, mais on pouvait découvrir facilement sous ce calme apparent la menace et le présage d'une terrible explosion.

[ocr errors]

A peine la Fayette a-t-il appris l'évasion, que rencontrant le maire Bailly et Alexandre Beauharnais, qui présidait alors l'assemblée : « Pensez-vous, » leur dit-il résolûment, ‹‹ que l'arrestation du roi et de sa famille soit nécessaire au salut public, et puisse nous sauver de la guerre civile? Oui,» répondent sans hésiter le maire et le président de l'assemblée. -- « Eh bien ! » reprend la Fayette avec calme, « j'en prends sur moi la responsa«<bilité. » Aussitôt il expédie lui-même aux commandants des gardes nationales et à toutes les autorités des départements de l'Est, limitrophes de l'Allemagne, des ordres pour arrêter le roi et sa famille, et charge de l'exécution de ces commandements plusieurs officiers de son étatmajor, qui partent à l'instant dans les différentes directions.

Cependant la fermentation croissait; on disait, on répétait partout que le roi allait se mettre à la tête des armées étrangères, que sa fuite avait été favorisée par des traîtres; on désignait Bailly et la Fayette pour chefs de ce complot. Sur son passage le général entendit ces mêmes propos; il s'arrêtait près des groupes menaçants; son sangfroid leur imposait. Plus il avançait, plus la foule grossissait. Il voit le duc d'Aumont, commandant la division de la garde nationale de service aux Tuileries, assailli par des

furieux; il court à lui et le délivre, secondé de quelques soldats qui lui étaient dévoués (1).

L'assemblée s'était réunie à dix heures; elle ouvrit cette séance, admirée même des ennemis de la révolution; elle ne céda pas aux clameurs de la multitude, elle en triompha. Le président, Alexandre Beauharnais, annonça que le maire de Paris venait de l'informer que dans la nuit le roi et une partie de sa famille avaient été enlevés par les ennemis de la chose publique (2). Un profond silence régna un moment dans toute l'assemblée : les différents partis se regardaient, et cherchaient à se deviner. Mais bientôt des décrets fermes, décisifs, se succèdent avec rapidité. Des courriers sont expédiés dans les départements, munis d'ordres interdire la sortie du royaume. Si ceux qui avaient enlevé le roi étaient rencontrés, ils devaient être arrêtés.

pour

L'assemblée déclare sa permanence. On annonce qu'un attroupement considérable se dirige vers le lieu de ses séances; le président est chargé d'assurer la liberté des députés; à peine s'est-il présenté à la foule mutinée, qu'elle se dissipe. Les autorités administratives de la capitale reçoivent l'ordre d'annoncer au peuple que l'assem

(1) Madame Roland rapporte dans ses Mémoires (t. I, p. 350) la terreur que ressentit Robespierre à la nouvelle de la fuite du roi ; il voyait déjà éclater, d'un moment à l'autre, une Saint-Barthélemy de patriotes, et s'attendait à ne pas vivre dans les vingt-quatre heures. Pétion, Brissot et les autres du même parti se réjouissaient de cet incident; ils y voyaient l'occasion d'établir la république. Alors Robespierre, ricanant à son ordinaire, et se rognant les ongles, demandait ce que c'était qu'une république ?

(2) On crut plus prudent, durant cette agitation de la multitude, de rejeter l'évasion du roi sur les prétendus ennemis de la chose publique, que de rendre compte de l'événement tel qu'il s'était passé.

[ocr errors]

blée nationale veille à la sûreté publique dans la crise où l'on se voyait, que tous les citoyens doivent la seconder par leur respect pour la loi. — Une proclamation de l'assemblée elle-même est incontinent affichée. Tous les ministres sont mandés. L'hôtel du ministre des affaires. extérieures est entouré d'un gros de la populace, qui ne permet pas à Montmorin d'en sortir; un ordre de l'assemblée lui fait ouvrir le passage. -La représentation nationale confie le pouvoir exécutif aux ministres; les décrets, pour avoir force de loi, n'auront besoin dans cet intervalle d'aucune sanction; le garde des sceaux les signera et y apposera le sceau de l'État. La garde nationale est mise en activité dans tout le royaume. L'assemblée prévient les ambassadeurs étrangers qu'ils pourront avoir, comme par le passé, leurs relations avec les minis-. tres, et l'ordre est aussitôt expédié aux ambassadeurs français de continuer leurs fonctions dans toutes les cours étrangères (1).

[ocr errors]

On annonce à l'assemblée que Cazalès est assailli par un gros de la populace près des Tuileries; des députés sont envoyés pour le dégager; mais la garde nationale avait déjà pourvu à sa sûreté. Le maire et le commandant général sont mandés; sur le bruit que la Fayette courait des dangers, plusieurs députés sont chargés d'assurer son arrivée.

(1) Les cabinets pesèrent toutes les conséquences de l'évasion du roi et bientôt de son arrestation ; ils en ressentirent un effroi d'autant plus profond que, dès lors, ils ne virent plus d'issue à une révolution dont les doctrines commençaient à se faire jour dans toute l'Europe. Presque tous les souverains signifièrent aux ambassadeurs et envoyés de France l'ordre de ne plus paraître à leur cour. (Mémoires d'un homme d'État, t. I, p. 122-124.)

« PreviousContinue »