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Il nous faut présentement revenir sur nos pas et nous transporter à Paris, au moment où Louis XVI venait d'y être amené par les masses insurgées. Dès le lendemain, les

hauts enseignements aussi bien pour les gouvernés que pour les gouver

nants.

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Cependant si les puissances plus prévoyantes, moins occupées de leurs intérêts du moment, et guidées par une politique moins personnelle, plus large, eussent réuni franchement leurs forces imposantes, dans l'intérêt mieux entendu de leurs couronnes; que les chefs de leurs armées, en se présentant sur le territoire de France, se fussent conformés dans leurs manifestes aux instructions que Mallet du Pan, agent secret de Louis XVI auprès des souverains de l'Europe, leur avait transmises, les événements, selon toute apparence, auraient pris une autre direction. Ce vertueux monarque voulait que, dans ces déclarations des puissances, il fût formellement stipulé: «Que toute idée de démembrement était loin de la pensée des << souverains; qu'ils ne faisaient pas la guerre à la nation française, mais « à une faction antisociale; que, loin d'avoir l'intention de relever l'an«< cien régime avec tous ses abus, d'imposer aux Français une forme de « gouvernement qui ne serait pas conforme aux vœux du plus grand << nombre, on leur laisserait toute faculté de régler leur existence politique de concert avec le roi, aussitôt que ce prince serait en pleine li« berté*. » Tout porte à croire que si les puissances se fussent conformées à ce plan conçu par le monarque captif, la révolution eût été comprimée; d'autant plus facilement que toute la partie réellement patriote de la nation, nommément à l'époque des 20 juin et 10 août 1792, était terrifiée du cours que prenait déjà cette révolution, entrevoyant un avenir des plus sinistres, un bouleversement total de leur patrie. Mais les cabinets suivirent une politique entièrement opposée aux intentions de Louis XVI; la revolution triompha sur tous les points, la cause de l'émigration fut perdue, et tous de lui jeter la pierre. Parmi les grandes puissances de l'Europe, l'empereur de Russie, Paul Ier, connu au reste par la magnanimité de son caractère, fut le seul qui, dans l'intérêt exclusif de la couronne de saint Louis, résolut de combattre la révolution française. Après la reprise de Turin sur les Français, ce souverain envoya en toute hâte l'ordre au commandant en chef de ses troupes en Italie, d'inviter de sa part le roi de Sardaigne, Victor Amédée, à rentrer dans ses États; mais l'Autriche, suivant le cours de sa politique habituelle, s'y opposa fortement. (Charles Botte, Histoire d'Italie, depuis 1789 à 1814, t. IV, p. 38.) L'on ne juge pour l'ordinaire des événements, dans l'ordre politique,

*Mémoires tires des papiers d'un homme d'État, t. I.

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subsistances, on ne sait trop comment, excédèrent les besoins journaliers des consommateurs, et ce n'était point, certes, à une cinquantaine de charrettes de blé et de fa

que d'après le succès qu'ils obtiennent. Mais l'histoire dédaigne de se conformer à ces arrêts du vulgaire; la doctrine des faits accomplis ne saurait jamais servir de règle à un historien s'attachant à considérer la marche de l'humanité du point le plus élevé. Il sera toujours de son devoir de signaler la suite des événements qu'il reproduit, avec tous les incidents, toutes les parties accessoires qui les accompagnent, et qui souvent modifient du tout au tout la situation apparente des partis et des acteurs du grand drame, de manière à placer son lecteur au point de vue le plus juste, le plus vrai, pour qu'il puisse considérer, juger ces événements et dans leur ensemble et dans leurs rapports respectifs.

Au reste, l'impartiale postérité pourra-t-elle jamais justifier en tous points l'émigration armée, du moment surtout où elle vit les autorités autrichiennes faire attacher les aigles impériales aux murs de quelques villes de France qu'on avait conquises, en signe de leur prise de possession au nom de l'empereur ? N'aura-t-elle pas lieu de s'étonner, pour nous servir d'un terme moyen, que ces Français royalistes n'aient pas aban donné incontinent la coalition des puissances, du moment qu'ils furent convaincus de leur mauvaise foi ? Comment ne se sont-ils pas tous portés dans la Vendée pour unir leurs efforts à ceux de ces vaillants défenseurs de l'autel et du trône, dans cette héroïque Vendée, qui s'attira l'estime du plus grand homme de tous les siècles, de Napoléon. Dès lors, que de chances de succès pour la cause de la royauté, et de chute pour la tyrannie sanglante et démagogique qui pesait de tout son poids sur ce malheureux pays!

S'il fallait enfin flétrir la mémoire de ces Français qui, dans les années 1792 et 93, se sont rangés sous l'antique bannière du lis, et ont même réclamé l'appui de quelques puissances de l'Europe, pour abattre le pouvoir monstrueux qui s'établit en France sur les ruines des institutions monarchiques, dont le maintien avait été demandé par la presque universalité des cahiers des députés aux états généraux de 1789; dès lors faudrait-il anathématiser également la mémoire d'Henri IV, qui, durant les dissensions intestines de la France, à l'époque de la Saint-Barthélemy, avait aussi réclamé le secours d'Elisabeth d'Angleterre et de quelques États d'Allemagne*, pour réduire ses sujets rebelles et rendre la paix au pays. Les ligueurs se sont-ils montrés plus coupables, plus cruels envers leurs adversaires que les membres des comités et les jacobins durant le régime de la Terreur? Cependant la mémoire d'Henri est jusqu'à présent

Voir De Thou, Histoire universelle.

rine, qui avaient suivi le cortége, qu'on devait cette abondance; mais les orateurs des rues ne manquèrent pas de l'attribuer à cette translation du monarque dans la capitale, opérée par le peuple (1).

Les jours suivants une foule immense se porta aux Tuileries; la multitude ne pouvait se lasser de contempler le roi, et Louis, touché de ces démonstrations, qu'il prenait pour des signes d'attachement sincère du peuple à sa personne, écrivit à l'assemblée pour l'engager à transférer ses séances à Paris. Le jour même il fit publier une proclamation pour informer les provinces qu'il établissait le siége de son gouvernement dans sa capitale (2).

En même temps les fidèles gardes du corps, quoique licenciés, devinrent l'objet de l'intérêt général; partout où ils se montraient, la foule les suivait avec un sentiment sympathique. La municipalité même, n'étant pas encore totalement subjuguée par les démagogues, demanda avec

révérée par les Français, et inspire l'admiration à tous les cœurs généreux; et on jette l'anathème sur l'émigration armée! A quoi devonsnous l'attribuer? Serait-ce que les efforts du Béarnais, pour recouvrer sa couronne, obtinrent un plein succès, et qu'une destinée tout autre fut réservée à l'émigration armée?

Mais est-ce en raison du succès d'une entreprise telle quelle, que l'impartiale postérité prononce ses arrêts sur la justice d'une cause dans la lutte des partis? Peut-être n'appartient-il qu'à des générations très-éloignées de l'époque présente de porter un jugement équitable sur cette prise d'armes des royalistes dans les guerres de la révolution.

Toutefois la France, en 1825, n'aurait-elle pas devancé cet arrêt de la postérité quand, sur la proposition du maréchal Macdonald, les chambres ont voté et décrété une indemnité d'un milliard en faveur des émigrés et de leurs familles. Cet acte de générosité, de la part des représentants, ne semblait-il pas absoudre même l'émigration armée?

(1) Bertrand de Moleville, t. II, p. 273. — Labaume, t. IV, p. 1. (2) Bertrand de Moleville, t. II, p. 279.

instance au roi de reprendre ces militaires à son service; il n'hésita pas à les rappeler. On lui en fit bientôt un crime (1). On exigea que les anciennes gardes françaises, conjointement avec la garde nationale, fissent seules le service du château.

Cependant le Châtelet (2) continuait ses recherches pour découvrir les véritables auteurs des attentats des 5 et 6 octobre; lorsque ses commissaires se présentèrent chez la reine pour recevoir sa déposition, elle leur dit : « Je << ne serai jamais la délatrice des sujets de mon roi. » Cette réponse confondit les ennemis les plus acharnés de MarieAntoinette (3).

La Fayette ayant appris que quelques royalistes prétendaient le rendre responsable des sinistres journées des 5 et 6 octobre, résolut d'employer tous ses efforts, de concert avec Bailly, pour remonter à la source du complot, et après de longues recherches ils ne doutèrent plus qu'il n'existât un parti voulant décidément le duc d'Orléans pour roi (4). Le général n'hésita pas à révéler au roi cette nouvelle trame, et lui représenta combien il était urgent d'éloigner le prince. Il se chargea lui-même de le déterminer à partir pour l'Angleterre, une fois que le roi lui aurait confié une mission de quelque importance pour le gouvernement de ce pays. Le duc accepta et partit. Mirabeau, surpris de ce brusque départ, dit à ses familiers: « Il est lâche comme un laquais; c'est un misérable

(1) Labaume, t. IV, p. 6.

(2) Le Châtelet avait été, avant la révolution, le siége d'un tribunal de justice criminelle pour Paris.

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qui ne mérite pas la peine qu'on s'est donnée pour lui (1).» L'assemblée, siégeant encore à Versailles, changea le titre de roi de France en celui de roi des Français, voulant reconnaître par là que le chef de la nation n'était point propriétaire du sol; elle fit aussi ajouter aux mots par la grace de Dieu et par la loi constitutionnelle de l'État. Elle se transporta à Paris le 19 octobre. La journée où s'effectua cette translation se passa sans le moindre désordre. Mais dès le lendemain de nombreux attroupements se forment à la porte des boulangers. L'un d'eux, nommé François, est faussement accusé d'avoir dérobé une fournée de pains: un gros de la populace envahit aussitôt sa maison; on y découvre quelques petits pains réservés pour les besoins les plus pressants. La foule conduit François à l'hôtel de ville. Il se justifie; ses voisins et quelques membres du district auquel il appartenait attestent que ce brave homme, dans l'exercice de son métier, avait rendu de notables services aux habitants de ce quartier. Tout cela ne fait que redoubler la rage de la plèbe. Un ramas d'assassins arrache la victime des mains de la garde nationale. A peine l'a-t-on suspendu à l'homicide lanterne, qu'on lui coupe la tête, et suivant l'usage de ce temps, on la place au haut d'une pique. Les cannibales arrivent avec ce trophée dans la boutique du boulanger; par un horrible raffinement d'atrocité, ils approchent cette tête sanglante et livide des lèvres décolorées de la veuve, tombée sans connaissance à cette vue, et frottent son visage du sang de son mari (2).

(1) Ferrières, t. II, p. 85. (2) Moniteur, t. II, p. 90.

Labaume, t. X, p. 26.

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