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signalés, dans le discours de Robespierre, comme les plus dangereux; c'est surtout contre ces hommes qui parlent d'ordre et de paix qu'il éveille la défiance du peuple.

Les dissensions intestines allaient toujours croissant. Des esprits exaltés prenaient les opinions les plus extrêmes pour le patriotisme; à leurs yeux, un noble, un ci-devant noble, un prêtre non assermenté semblaient n'être plus des Français. Des agents du parti extrême, aussi bien que quelques émissaires royalistes, parcouraient les provinces; ces hommes se prêtaient involontairement aide et secours réciproques; tous tendaient au même but; tous poussaient pays à une conflagration générale.

le

De cruelles anxiétés, des projets, des plans conçus, abandonnés et repris, agitaient sans cesse le roi et toute sa famille. Il se voyait placé entre la révolution tous les jours plus menaçante qui se déroulait à Paris, et la contre-révolution qu'on tramait à l'étranger; il ne voulait prêter la main ni à l'une ni à l'autre. La révolution lui paraissait aller trop loin; et la contre-révolution, telle que la projetait le comte d'Artois et le prince de Condé, répugnait à ses sentiments de nationalité, à ses opinions franchement libérales (1).

(1) Poujoulat.

il

Néanmoins, le plan de Breteuil était ce qui occupait le roi par-dessus les autres projets qu'on lui soumettait ; résolut de le suivre de point en point. Il écrivit à Bouillé que définitivement il quitterait Paris le 19 juin, entre minuit et une heure. Le jour même où cette lettre partit, le comte de Durfort était de retour de sa mission. Les lenteurs du congrès projeté effrayaient Marie-Antoinette et Louis; ils voyaient leur situation chaque jour plus incertaine, plus ardue; aussi, la crainte d'être dominés plus tard par leurs libérateurs, les royalistes émigrés notamment, se présenta souvent à leurs pensées. La reine était d'avis qu'il fallait tout tenter pour sortir de Paris; rien ne fut changé au plan tel qu'on l'avait communiqué à Bouillé.

Cependant des propos touchant la fuite du roi ne cessaient de circuler dans Paris. La Fayette vint un jour trouver Louis XVI et lui parla de ces bruits : la réponse fut si positive et donnée avec tant d'assurance, que le général affirma sur sa tête que le roi ne partirait point, et sa sécurité rassura un grand nombre de personnes. On est toujours profondément peiné de voir Louis XVI descendre à cette dissimulation, que les dangers du moment et son départ arrêté semblaient lui imposer.

Quand Bouillé apprit que le roi avait irrévocablement décidé son départ pour Montmédy avec sa famille, ses inquiétudes se renouvelèrent. Nous l'avons vu déployer à Nancy toute la vigueur de son caractère pour comprimer l'émeute, contre son opinion la plus intime. Mais dès qu'il sut son roi prisonnier de fait, ses jours en danger, l'anarchie s'étendant plus que jamais sur toute la France, il résolut de seconder de tous ses efforts l'évasion du monar

que, quelles qu'en dussent être les conséquences. Rien n'est plus touchant que les anxiétés de ce noble cœur. Il n'épargne pas les avis; cette route par Varennes l'effraye; il préférerait que le roi prît la grande route de Reims ou celle de la Flandre autrichienne. Mais Louis XVI ne voulait pas décidément sortir du territoire français et traverser les terres de l'empereur, bien que cette route conduisît directement à Montmédy, et Marie-Antoinette ne cessait de répéter: « Un roi de France ne doit jamais quitter son << royaume.» Louis résolut de prendre la route de Varennes (1). Lorsque Bouillé apprit que le roi quitterait décidément Paris le 19 juin, ses perplexités redoublèrent. Il manquait de troupes assez dévouées pour se maintenir fortement à Montmédy; il redoutait surtout l'émigration française sur la frontière, qui commençait à s'armer, ses illusions et ses chimériques espérances. Néanmoins il se prépare à tout. Il donne l'alarme à la frontière, par un faux avis d'un grand mouvement de troupes autrichiennes, ce qui lui offre l'occasion de rassembler à Montmédy des subsistances, un nombreux attirail de guerre et quelques régiments sur lesquels il pouvait compter. Une grosse berline, qui avait été exprès commandée pour ce voyage, inquiétait aussi Bouillé, comme pouvant attirer l'attention. Il n'insistait toutefois que sur la nécessité d'emmener, au lieu de madame de Tourzel, un militaire capable de prendre à tout événement une résolution énergique; il désignait pour ce poste le vicomte d'Agoult. Mais madame de Tourzel réclama un privilége attaché à sa charge de

(1) Poujoulat.

gouvernante des enfants de France, qui ne lui permettait pas de s'en séparer; elle pleura, et de grands intérêts furent sacrifiés à cette espèce de prérogative; on sé décida à l'emmener. Lorsque Bouillé, prévenu du jour fixé pour le départ du roi, eut envoyé ses ordres à quelques détachements de cavalerie, sous prétexte de faire escorter un convoi d'argent destiné à la solde de l'armée, une nouvelle dépêche lui annonça que le départ était retardé de vingtquatre heures, parce qu'une femme, dont on se méfiait, avait encore une journée de service à remplir auprès du Dauphin. Bouillé fut vivement contrarié de ce retard; cependant, averti le 15, il avait assez de temps et au delà pour changer ses dispositions, qui ne devaient s'effectuer que trois ou quatre jours après.

La sortie des Tuileries n'était pas facile. Depuis les sinistres journées des 5 et 6 octobre de Versailles il n'y avait plus de gardes du corps; les gardes nationaux étaient seuls chargés du service intérieur, et ce service n'était, au fond, qu'une surveillance incessante. Aussi, à toute heure de la nuit, des officiers de la garde nationale observaient et rôdaient autour des Tuileries. On y voyait souvent la Fayette lui-même. La reine fit remarquer que de l'appartement de sa fille on pouvait passer dans un autre, qui se trouvait inhabité et avait une issue qui n'était point gardée par des factionnaires. Ce fut par là que les illustres fugitifs, divisés en plusieurs groupes, sortirent successivement. Un des anciens gardes du corps travesti, qui accompagna la reine, Madame royale et madame Élisabeth, connaissait si peu Paris qu'il les égara, et ce ne fut qu'après de nombreux détours qu'ils parvinrent à la rue de l'Échelle,

lieu où les voyageurs devaient tous se réunir, et où on avait trouvé un fiacre, dont le cocher était le comte de Fersen. Toutefois Marie-Antoinette fut si heureuse de se voir hors de sa prison, qu'ayant rencontré la Fayette à sa sortie, et n'en étant pas reconnue, elle rit à la seule idée du dépit, de la confusion du commandant de la garde nationale, lorsqu'il apprendrait que ses prisonniers avaient échappé à sa stricte surveillance. Enfin, on atteignit et on passa la barrière sans encombre. On alla jusqu'à Bondy, premier relais de poste, où on trouva la grosse berline dans laquelle la famille royale allait continuer sa route. Là, le comte de Fersen, qui avait voué à Marie-Antoinette des sentiments d'admiration et de vif enthousiasme, prit congé de Leurs Majestés et partit incontinent pour Bruxelles, où déjà s'était rendu le comte de Provence. Deux gardes du corps, déguisés en laquais, montèrent sur le siége de la berline, et un troisième, aussi déguisé, prit place dans un cabriolet de suite. - Un moment assoupie, Marie-Antoinette ouvrit les yeux aux premières lueurs d'une belle matinée de juin. Quel réveil délicieux ! elle se voyait libre, libre tout à fait ! Les émotions les plus douces remplissaient alors son âme, émotions que depuis longtemps elle n'avait pas ressenties! La voiture s'avançait, au pas de course des chevaux, à travers la campagne, étincelante des premiers rayons du soleil, et tout était calme autour des voyageurs. « Tout va bien, dit-elle; « nous serions déjà arrêtés si nous avions dû l'être. » Les sangles de la grosse voiture cassèrent à Montmirail; retard de deux heures, dans un voyage où chaque minute était d'un prix inestimable. A Châlons, le maître de poste,

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