Page images
PDF
EPUB

qu'il y a à Saint-Cloud et dans les environs trente mille contre - révolutionnaires qui attendent le roi pour le conduire au milieu des armées étrangères (1),

Le 18 avril, de nombreux détachements de la garde nationale sont postés dans les jardins et dans la cour des Tuileries pour protéger le départ de la famille royale pour Saint-Cloud. A peine la voiture du roi a-t-elle dépassé les grilles, qu'elle est entourée et arrêtée par une foule immense; on y voyait même un bon nombre de gardes nationaux. «Ne laissez pas passer! >> criait-on » de toutes parts, « il ne partira pas! » A chaque mouvement de la voiture, les clameurs redoublaient. Au milieu de ces vociférations, le roi, conservant le plus grand sang-froid, fait appeler la Fayette; il lui demande résolûment si on prétend lui contester la liberté d'aller à Saint-Cloud. La Fayette lui répond qu'il est parfaitement libre de partir, que lui-même va parler à ses troupes, que dans quelques instants le passage sera libre. Mais ses efforts ainsi que ceux de Bailly, maire de Paris, sont impuissants; ni cette multitude, ni même la garde nationale n'entendent plus leurs voix. Pour surcroît d'embarras, Danton, sans avoir été mandé, accourt avec son bataillon de garde nationale. La parole de la Fayette, si puissante naguère sur les masses, était étouffée par la voix du peuple souverain, qui croyait user de son droit d'insurrection, le considérant dans ce moment comme le plus saint des devoirs. Enfin, le commandant de la garde nationale offrit au monarque de se mettre en avant de la

(1) Droz, t. III, p. 374.

voiture avec des militaires déterminés, résolus à faire exécuter la loi et à forcer le passage. Mais le roi ne voulant pas, comme de coutume, employer la force armée contre le peuple, assailli, ainsi que la reine, des plus grossières vociférations de la part de toutes ces tourbes, renonça au voyage projeté, descendit de voiture et remonta avec sa famille au château.

Les ministres étaient d'avis que le roi ne pouvait dévorer l'affront qui venait de lui être fait par une foule mutinée, qu'il devait persister dans son projet de se rendre à Saint-Cloud, annoncer même cette résolution aux représentants. Cette démarche répugna d'abord à Louis XVI. Il finit toutefois par se rendre le lendemain à l'assemblée, parla en termes mesurés de l'événement de la veille, et dit que dans l'intérêt même de la chose publique, afin qu'on ne pût élever le moindre doute sur sa liberté, il devait se rendre à Saint-Cloud; et termina en exprimant ses vœux pour le bonheur de son peuple et le maintien de la constitution, ou, en termes plus précis, des articles constitutionnels déjà décrétés. Cette allocution fut accueillie par des applaudissements et des cris routiniers de vive le roi! partis même du côté gauche. Le président, dans sa réponse louangeuse à l'égard de Louis XVI, touchant son attachement à la constitution, ne trouva pas à propos de faire la moindre mention du désir que le roi venait d'exprimer, d'effectuer son voyage à Saint-Cloud, principal motif qui l'avait déterminé à se rendre ce jour-là à l'assemblée (1). Le roi s'étant retiré, un député du côté droit,

(1) Bertrand de Moleville, t. IV, p. 368-372. Droz, t. III, p. 375-376.

· Moniteur.

Blacons, insista pour que l'assemblée fit connaître, séance tenante, par un acte spécial, son opinion touchant le voyage projeté, afin que le roi parût parfaitement libre... Le côté gauche se soulève et réclame l'ordre du jour; il est prononcé en dépit des protestations de Cazalès et de plusieurs de ses collègues (1).

Cependant l'irritation qu'on entretenait parmi le peuple contre les prêtres non assermentés ne faisait que s'accroître, et causait les plus vives alarmes au roi. Les Lameth et leur parti se hâtent de mettre à profit cet état de troubles et d'anxiétés où ils voyaient Louis XVI; tout porte à croire qu'ils avaient déjà quelques indices sur ses projets de se dérober à la geôle dans laquelle on le retenait, même de ses relations mystérieuses avec Breteuil (2). Ils se rendent auprès du monarque et lui font considérer l'impérieuse nécessité d'occuper l'attention publique par quelque grand acte émané de son autorité seule, et de nature à détruire toute défiance sur son attachement aux nouvelles institutions. A cet effet, ils lui présentent la minute d'une lettre qui serait adressée en son nom par le ministre des affaires étrangères à tous les ambassadeurs. Cette circulaire n'était au fond qu'un panégyrique outré de la révolution, où le roi, par l'organe de son ministre, se déclarait parfaitement libre, faisait l'éloge pompeux de la nouvelle constitution, et se félicitait de l'ordre présent des choses en France, en improuvant toute tentative qui aurait pour objet d'altérer cette bonne harmonie qui existait entre lui et la nation. C'est ainsi que ces

(1) Moniteur, t. VIII, p. 176.

[ocr errors]

(2) Mémoires d'un homme d'État, t. I, p. 114.

hommes résolurent de mettre le monarque dans l'alternative ou de renoncer à ses projets de fuite, pour ne pas paraître en contradiction avec ses sentiments hautement exprimés en son nom dans cette pièce diplomatique, ou, s'il n'en tenait aucun compte, de se perdre par cette démarche dans l'opinion des cabinets de l'Europe (1). Louis XVI eut encore la faiblesse de consentir à cette démarche; on parvint à lui faire accroire que cette circulaire, rendue publique, pouvait seule apaiser les orages, prévenir le danger dont les prêtres fidèles étaient menacés, et de suite il envoya la minute de cette circulaire au ministre des relations extérieures, en lui intimant l'ordre de l'expédier en son nom à tous ses ministres plénipotentiaires près les cours de l'Europe. Montmorin fit des représentations très sérieuses sur une démarche qui devait porter atteinte à la dignité du monarque, le compromettre même aux yeux de l'Europe. Le roi insistant, le ministre offrit sa démission, et ne céda qu'à un ordre formel, après trois jours de résistance. Une copie de la lettre circulaire est sur-lechamp portée à l'assemblée : des acclamations du côté gauche et des tribunes interrompaient presque à chaque phrase sa lecture, tandis que le côté droit gardait le plus morne silence. Lorsque ces transports de joie se furent calmés, Alexandre de Lameth, qui le premier avait donné l'idée de cette pièce soi-disant diplomatique, parut à la tribune, affecta d'exalter l'éminent service que le roi venait de rendre à la chose publique, en manifestant ses principes, son attachement sincère à la constitution,

(1) Mémoires d'un homme d'État, t. I, p. 115.

[ocr errors]

d'une manière si nette et si franche, et il finit par demander qu'une députation allât présenter au monarque les remercîments de l'assemblée nationale. Le président est chargé de se rendre de suite auprès de Louis XVI à la tête d'une députation, pour le féliciter du parfait accord de ses sentiments avec ceux de la nation. Le roi, selon toute probabilité, à l'instigation perfide de ses nouveaux amis, manifesta à la députation « combien il était touché de « la justice que lui rendait l'assemblée, que si elle pouvait << lire au fond de son cœur, elle n'y verrait que des senti«ments propres à justifier la confiance de la nation (1), » paroles qui semblaient avoir été dictées par les Lameth. - A peine cette réponse du roi fut-elle reportée à l'assemblée, que de nouvelles acclamations, plus bruyantes encore, éclatèrent à la gauche et dans les tribunes; plus on forçait ce monarque infortuné à des démarches qui devaient le compromettre ou le rabaisser aux yeux des cours de l'Europe, plus on affectait d'enthousiasme (2); tandis que les députés de la droite se sentaient terrifiés, indignés... Quant à ceux de l'extrême gauche, initiés aux secrètes machinations du parti Lameth, ils voyaient, dès ce jour, la partie gagnée contre la royauté: ou le roi renoncerait à ses projets de fuite et accepterait une constitution qui, de fait, annulait toute son autorité, ou s'il quittait furtivement Paris, il devenait parjure à la nation, et sa déchéance serait de suite prononcée. Le jour suivant il n'existait pas même de trace de cet enthousiasme

(1) Moniteur, t. VIII, p. 215. — Bertrand de Moleville, t. IV, (2) Ferrières, t. III, p. 211.

p. 316.

« PreviousContinue »