Page images
PDF
EPUB

faits aux populations des campagnes; l'indignation contre les autorités, silencieuses à la vue de toutes ces atrocités; et, par-dessus tout, le sentiment de l'honneur tel que nous l'avons signalé, et qui leur commandait de se porter au delà du Rhin pour grossir la force armée destinée à la délivrance de leur souverain et au rétablissement des institutions monarchiques en France; enfin, la honte attachée à toute défection, et l'émigration donnait ce nom au parti que prirent beaucoup de gentilshommes de ne point quitter leur pays.

Il s'en trouva un bon nombre qui, dès l'origine, ayant protesté contre les résolutions extrêmes de l'assemblée nationale, n'eurent rien de plus pressé que de se rétracter, et adhérèrent formellement à tous les actes qui consommèrent la révolution. Quelques-uns même se mirent à la tête des agitateurs les plus forcenés pour qu'on oubliât qu'ils avaient appartenu à une caste déjà proscrite; et pour avoir la vie sauve et leur fortune assurée, ils déclamèrent contre la classe nobiliaire avec un surcroît de violence. Les mêmes motifs amenèrent souvent des dissidences toutes semblables au sein de l'Église de France (notamment depuis la promulgation de la constitution civile du clergé), et l'on vit quelques ministres des autels, loin de suivre l'exemple des autres ecclésiastiques et de devenir martyrs de leur foi, se faire impies, athées, véritables fléaux de l'espèce humaine. « Ce fut ainsi, dit Beaulieu, que ce << mouvement, soi-disant régénérateur, détruisit dans quelques âmes l'antique loyauté du caractère français, <«< corrompit les mœurs particulières et publiques, développa le germe hâtif de la corruption, appliqua un mas

[ocr errors]

« que sur ces visages, et naturalisa l'immoralité dans les «< cœurs (1). »

Pour l'honneur de l'humanité, l'histoire aime à reconnaître que parmi ces nobles, qui résolurent de ne point quitter la France, il y eut de nombreuses et très-honorables exceptions. Ils n'abandonnèrent pas leur patrie, et traversèrent purs la terrible tempête, le régime sanglant de la Terreur. Ils eurent le rare bonheur d'échapper à la proscription universelle, qui étendait son glaive homicide sur toutes les classes des citoyens indistinctement. Quelques-uns même remplirent dignement les postes, les fonctions que les divers gouvernements qui se succédèrent dans cet intervalle leur avaient assignées. Ceux-ci n'ont point désespéré de leur patrie, et méritent, à plus d'un titre, les hommages de la postérité.

Avant de reprendre le fil des événements, il nous reste à reporter l'attention de nos lecteurs sur la situation morale et politique du parti exalté, en faveur de la révolution for

(1) Essai historique sur la révolution de France, t. II, p. 18-19. Nous aimons à nous appuyer ici de l'autorité de cet historien, attendu sa bonne foi, reconnue par ses contemporains mêmes. Voir au surplus ce qu'en disent les auteurs de la Biographie universelle, article Beaulieu, au Supplément, et le Magasin encyclopédique, VIIIe année, t. II, p. 554.

mant à cette époque le gros de la nation, et sur les opinions, les passions qui durent l'agiter. Ces paroles magiques, d'indépendance nationale, de liberté indéfinie, d'égalité absolue, enflammaient les imaginations, électrisaient les cœurs. On croyait voir dans ce nouvel ordre de choses un avenir infini de gloire et de prospérités de tout genre pour la France. Indépendamment de ces sentiments de nature à élever l'orgueil national au plus haut degré, la révolution, avec son niveau démocratique, offrait à tout Français des chances variées de fortune, tant dans la carrière des armes que dans les emplois civils, outre l'accroissement du bien-être matériel de chacun en particulier, que les nouvelles institutions devaient lui assurer. Loin de Paris on ignorait, dans la plupart des provinces, les horreurs dont la capitale avait été le théâtre, aussi bien que les actes souvent arbitraires de l'assemblée nationale et des diverses autorités improvisées. On ne recevait sur tous ces objets que des notions vagues, incomplètes. D'ailleurs, à l'aide des clubs répandus sur toute la surface de la France et tous affiliés à la société mère de Paris, rien n'était plus facile que de céler la vérité, de présenter aux populations des provinces ces horreurs sous les couleurs les plus fausses, et le peu de bien que les novateurs opéraient sous l'aspect le plus séduisant pour l'imagination si mobile des Français; c'est ainsi qu'on parvint à les rallier tous à la cause de la révolution et à augmenter le nombre de ses enthousiastes, et, d'une autre part, à exaspérer les esprits contre tous ceux qui ne suivaient pas le torrent des idées nouvelles. Dès lors on vit les provinces imiter en tous points les énormités dont s'étaient souillés les révolution

naires les plus forcenés de la capitale : mais tout cela semblait s'effacer devant un avenir brillant qui s'offrait aux masses, et la révolution ne cessait d'enthousiasmer le gros de la nation.

Cette incandescence des esprits, ce mouvement des opinions les plus exagérées des classes intermédiaires et de la multitude, rendaient la position des royalistes tous les jours plus ardue. Les partisans fervents du nouvel ordre de choses, ne voulaient voir dans ces autres Français que leurs ennemis naturels. On prêtait aux royalistes les desseins les plus sinistres; on les croyait disposés aux plus cruelles représailles; dès lors tout moyen semblait bon aux patriotes pour prévenir une réaction. Ce qui devait augmenter encore cet état de troubles et de dissensions intestines, c'était cette opinion réduite en un dilemme infernal, dont les révolutionnaires ne manquent jamais de se prévaloir pour justifier leurs énormités : « Celui, disent«< ils, qui n'est pas pour moi, pour la cause que je défends, « est contre moi; il est mon ennemi naturel; si je ne le préviens à temps, ce sera lui qui, à la première occasion, << tournera son arme contre moi; dès lors le sentiment de « ma propre sûreté exige que je m'en défasse, n'importe << comment. >> C'est là le pire des états où la société puisse jamais se trouver, conséquences, de toute rigueur, d'une révolution telle que la France la subissait. C'est encore ici que nous croyons devoir rapporter cet aphorisme de Tacite, maxime d'une profondeur effrayante, comme devant résumer, à plus d'un titre, la position hostile des patriotes extrêmes à l'égard des royalistes : « Qu'il est dans <<< la nature de l'homme de hair celui qu'il a cruellement

[ocr errors]

II.

« lésé (1). » Le tiers état, à cette époque, n'a-t-il pas fait tout le mal qu'il lui a été possible de faire à la caste nobiliaire? ne l'a-t-il pas spoliée d'une bonne partie de son avoir, sans lui tenir compte des nombreux sacrifices que cet ordre même avait faits, de son propre mouvement, aux intérêts du plus grand nombre? Dès lors, et selon l'aphorisme de l'historien philosophe, qui a le plus profondément sondé la nature humaine, la colère du peuple ne pouvait que s'accroître en raison du nombre des victimes que lui-même abattait (2).

(1) Proprium humani ingenii est odisse quem læseris.

(2) Mais l'émigration armée, dira-t-on, était-elle politique, dans l'acception la plus restreinte de ce mot, indépendamment mème des opinions de toutes couleurs qui, à cette époque, divisaient la presque totalité des Français, et à ne juger la conduite de ces royalistes que d'après le froid calcul d'une simple prévoyance? Cette question, les événements postérieurs l'ont résolue. Du moment surtout que quelques puissances de l'Europe (comme nous le verrons dans la suite de notre récit), dirigées exclusivement par une politique aussi égoïste qu'imprévoyante, loin de réunir leurs efforts, de faire sincèrement cause commune avec les armées des princes pour combattre la révolution, n'étaient occupées, durant toutes ces guerres, qu'à tirer parti des troubles intérieurs, de la France, épiant tel incident favorable que le sort des armes leur pût offrir, l'Autriche en particulier, pour arracher, distraire telle ou telle province à leur convenance.

Cette mauvaise foi des cabinets reconnue indigna les Français, soit royalistes constitutionnels, soit royalistes purs, qui n'avaient point émigré, et en rallia une bonne partie sous le drapeau aux trois couleurs, pour s'opposer au démembrement de la commune patrie*.

Les échafauds de la Terreur disparurent à leurs yeux devant cette grande pensée. A partir de cette époque, une suite de guerres les plus sanglantes surgirent et remplirent la longue période des années 1793 à 1800. La perte de la Belgique, de la Lombardie, tel fut le résultat, ou plutôt la peine qui fut réservée, notamment à l'Autriche, pour sa politique étroite et égoïste. Cette période de l'histoire de l'Europe est féconde en

* Mémoires d'un homme d'État, t. I.

« PreviousContinue »