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ce sera de tracer le tableau de ces deux Chambres sur lesquelles le tyran guerrier prétendit s'appuyer, et que sa chute a écrasées à leur tour; ce sera de peindre les efforts violens qu'elles firent pour se soutenir ellesmêmes, en cherchant à se placer sur de nouveaux fondemens, puisque celui sur lequel elle reposaient venait de s'affaisser. Instituées et convoquées par un usurpateur, elles ont voulu, quand cet usurpateur n'était plus, se maintenir à leur tour par l'usurpation. Elles ont voulu substituer à leur titre illégitime un titre plus illégal encore. Nommées au sein de la discorde et de la guerre civile par une minorité factieuse ou faible, ells ont prétendu donner des lois à la majorité du peuple qui les désavouait et les réprouvait. La constitution qui les avait créées, ne leur avait attribué qu'une partie de la puissance législative; l'autre partie étant détruite, elles ont essayé de s'emparer de toute l'autorité. De simples législateurs qu'ils étaient, ces soi-disant Représentans ont voulu être pouvoir constituant. Députés par une petite fraction du peuple pour travailler de concert avec la puissance exécutive à la formation de la loi, ils se sont dits chargés par le peuple entier de la mission de le constituer de nouveau. Ils avaient juré la veille de maintenir la constitution qui les avait appelés, et le lendemain, violant cette même constitution, ils ont travaillé à un nouveau code social. En un mot, ils n'étaient que les fauteurs et les soutiens d'un tyran, ils ont voulu être tyrans eux-mêmes.

Comment en effet ces deux Chambres avaient-elles été formées ? De quels hommes Buonaparte avait-il composé sa Chambre des Pairs? Ceux des généraux qui avaient trahi le Roi, qui s'étaient armés contre la France et son Gouvernement légitime, qui avaient poussé l'armée à la révolte, et qui avaient levé l'étendard de la guerre civile; ces parjures, ces traîtres figuraient en première ligne dans cette Chambre. On y voyait ensuite ceux de l'ancien sénat que Louis XVIII

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n'avait décemment créer Pairs de France, à cause de leur vote coupable; enfin, des hommes faibles ou ambitieux, ou partisans de Buonaparte, n'avaient pas craint d'être infidèles au Roi, ni de trahir leur serment en acceptant, dans cette nouvelle Chambre, une place qui était incompatible avec celle que Louis XVIII leur avait accordée sous son gouvernement. Tous ces hommes méritaient la confiance de l'usurpaleur; mais la nation pouvait elle compter sur leur zèle, sur leur intégrité pour la défense de ses droits? Non sans doute, et les événemens l'ont trop prouvé.

La Chambre dite des Représentans, illégalement instituée par le droit, le fut encore plus illégalement par le fait. D'abord les Députés furent choisis avant que le vœu de la Nation fût connu sur l'acte additionnel, en vertu duquel les colléges électoraux devaient être convoqués: car c'était une absurdité d'assembler des électeurs avant de savoir si le peuple approuvait le mode d'élection proposé. Agir en vertu d'une constitution qui n'était encore qu'un projet, c'était agir par la violence: la convocation des assemblées électorales était donc un acte nul dans son principe. Leur réunion était illégale. Leurs opérations étaient frappées du vice radical de l'illegitimité. Mais, en supposant autant de régularité dans leur convocation, qu'il y avait d'abus d'autorité, les choix des assemblées furent-ils plus réguliers, plus libres, plus légitimes? Vingt-neuf départemens n'eurent point d'élection. Près d'un quart de la France ne fut donc point représenté, puisqu'il n'eut point de Députés. Dans d'autres départemens, le nombres requis des électeurs ne fut point réuni. Là où il devait se trouver deux cents, trois cents électeurs, ou du moins la moitié, plus un de ce nombre, il ne s'en est trouvé que vingt, trente, et même treize; et ce très-petit nombre d'électeurs a fait des choix, et les Députés qu'il a envoyés ont osé se dire Représentans de leur départemens! Dans ceux où les électeurs ont

été plus nombreux, il n'est pas démontré que les élections aient été plus légales. Les commissaires nommés par la Chambre pour la vérification des pouvoirs des Députés, n'auront pas été sans doute bien scrupuleux sur les formes, sur les moyens et sur le nombre d'élec teurs qui ont présidé aux élections. Ils auront usé envers leurs collègues de la même indulgence dont ils avaient eu besoin pour eux-mêmes. Les réticences, la mauvaise foi, ont souvent approuvé les choix que l'intrigue, la cabale et la séduction sont venus à bout de faire dans plus d'une assemblée. Il est donc vrai de dire, parce que c'est une chose évidente, que la France n'était ni légalement, ni réellement représentée.

Un grand nombre de personnages qu'on a vu figu rer dans cette Chambre, prouve encore l'esprit de faction qui a présidé dans plus d'un endroit aux opérations des colléges électoraux. Quand on a vu un Barrère, un Félix Lepelletier, et tant d'autres conventionnels, connus par leurs principes anarchiques et leur domination sanglante, siéger sur les bancs de la Chambre, on a été bien convaincu que la tyrannie de Buonaparte avait cherché et obtenu des soutiens dans la faction des Jacobins; et ces hommes que la majorité des Français a en horreur, parce que leur règne fut celui du crime et du sang, ces hommes n'ont pu se dire Représentans, sans qu'on ait pu croire qu'ils n'étaient en effet que les Représentans des factieux et des tyrans qui désolèrent si long-temps la France.

Je veux penser que la majorité de la Chambre n'était pas composée de ces hommes; je veux penser qu'ily en avait baaucoup d'honnêtes et de probes; mais ne saiton pas qu'il suffit d'une minorité audacieuse et entreprenante pour comprimer, pour entraîner dans ses fureurs une majorité faible ou peureuse; et c'est là le grand inconvénient, le danger le plus imminent d'une assemblée délibérante, composée de cinq ou six cents. personnes. La corruption et la terreur agissent plus

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efficacement sur le grand nombre que sur le plus petit. Toutes nos assemblées ne l'ont que trop malheureusement prouvé. Cette dernière Chambre en fournira d'autres preuves. Dans le court espace d'un mois, elle a renouvelé les scènes indécentes, scandaleuses ou ridicules de la Constituante, de la Législative et de la Convention; elle aurait certainement reproduit les fureurs de cette dernière, si une force irrésistible n'eût abrégé son existence. Elle renfermait tous les élémens de la discorde; elle brûlait de tous les feux de la haine et de la vengeance. La résistance qu'auraient essayé d'opposer quelques Députés courageux, n'aurait servi qu'à allumer, qu'à étendre l'incendie, et peut-être les projets sanguinaires d'un Leguevel auraient trouvé des approbateurs dans ceux-mêmes qui les combattirent avec tant de fermeté. Les circonstances dans lesquelles la Chambre tendait invinciblement à se placer, auraient, pour sa propre sûreté, nécessité l'adoption de ces mesures violentes. Les Représentans du peuple se seraient déchirés, décimés comme les députés à la Convention, et la nation aurait été une seconde fois dévorée, tyrannisée par une poignée de furieux. Le retour du régime de la terreur était inévitable. Barrère, dès la première séance, eut une voix pour la présidence. Avec le temps il aurait occupé le fauteuil, et l'on se rappelle sans doute que c'est sous lui que le plus grand des crimes fut ordonné par la Convention. Barrère interrogea Louis XVI comme président : quelque autre grand attentat aurait marqué sa nouvelle dignité..

Le tableau fidèle que nous allons présenter des séances des deux Chambres, si intéressant pour nos neveux, est encore plus digne de l'attention des contemporains qui ont échappé aux malheurs qui les menaçaient de toutes parts.

En publiant cette Histoire des deux Chambres, qui n'en est, à proprement parler, que le journal, nous

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avons cru pouvoir joindre nos remarques, nos observations et nos critiques, tant sur les opinions qui ont été émises et sur les mesures qu'on a proposées, que sur les personnages eux-mêmes, lorsque cela nous a paru nécessaire ou utile. Mais la critique des personnes n'a eu lieu que pour mettre en opposition leur conduite ou leurs opinions passées avec leur conduite et leurs opinions présentes, ou pour rappeler des faits qui devaient nous donner la mesure de leurs projets et nous inspirer de justes craintes de leur nouvelle autorité. En lisant cet ouvrage, on verra que nous aurions pu multiplier nos observations, ajouter d'autres réflexions, et donner enfin une étendue beaucoup plus longue à notre livre; mais nous avons cru qu'il fallait, avant tout, laisser parler et agir les acteurs que nous niettions en scène, et que c'était la meilleure manière de les peindre. D'ailleurs, nous ne devions pas toujours présenter nos réflexions; nous avons voulu que le lecteur fît aussi les siennes, et nous lui avons laissé pour cela un libre champ. On verra que, dans les séances les plus longues et les plus inté ressantes, nous avons été plus sobres de remarques que partout ailleurs. Nous nous trouvons aujourd'ui dans des circonstances où la manifestation des opinions est enfin sans danger pour ceux qui ont toujours gémi de nos troubles révolutionnaires. Nous avons hautement fait connaître la nôtre. Sans prétendre obliger personne à penser comme nous, nous n'en sommes pas moins convaincus que la liberté compatible avec la monarchie, et la sécurité dont tous les citoyens doivent jouir, ne seront assurées que lorsque les opinions qui nous ont si long-temps divisés se rapprocheront davantage de celle que nous avons toujours professée.

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