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N° 250.

GAZETTE NATIONALE OU LE MONITEUR UNIVERSEL.

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Mardi 7 SEPtembre 1790.

POLITIQUE.

HOLLANDE.

Extrait l'une lettre d'Amsterdam, le 27 août. Vous êtes inquiets, vous autres patriotes de France, des dispositions du peuple pour le paiement de l'impôt. Jusqu'à présent, dans votre révolution philosophique et grande, le peuple, soumis aux décrets de votre Assemblée nationale, n'a vu de constitutionnel que le bonheur de l'égalité et de la liberté. Vos législateurs n'ont encore agité jusqu'à ce moment que les questions qui tiennent à cette partie de l'organisation sociale, laquelle s'applique au redressement des droits de l'homme, du citoyen, et à la division des pouvoirs politiques. C'est là que vos orateurs les plus distingués ont exercé leur éloquence, et avec d'autant plus d'éclat que le parti d'opposition qui existe dans l'Assemblée nationale, en défendant per fas et nefas des priviléges, des abus, et tant de prétentions honorées, non seule ment en France, mais dans toute l'Europe, n'a pas senti qu'au lieu d'avoir affaire dans cette cause aux seuls représentants de la nation française, il se mesurait imprudemment avec la justice éternelle et l'humanité entière.

Mais le triomphe de la raison et de la philosophie est-il aussi certain auprès du peuple, lorsqu'il s'agira d'établir les bases des impositions, et d'en fixer leur valeur, selon les immenses besoins de votre ordre public? C'est ici que les ennemis de votre constitution, en croyant que le peuple, incapable d'entendre les décrets de la justice et de la nécessité, d'en saisir les résultats, pensent être eux-mêmes les philosophes, et pouvoir vous prédire que tout ce bel édifice de sagesse, élevé par une politique platonicienne, s'écroulera sur ses bases, dès qu'on le croira fait pour l'usage de la multitude.

Un roi ne vit pas de peu ; c'est ce qu'on n'a jamais gnoré en France et ailleurs; mais le gouvernement J'un peuple libre ne coûte guère moins qu'un roi; et voilà une vérité qu'il faut prouver, démontrer, persuader avec l'énergie de cette même éloquence qui a détruit tant d'erreurs.

Les Français ignorent la politique de l'Europe, et comment en général sont gouvernés les autres peuples. On ne doit donc pas tarder à les en instruire. Ils sentiront bientôt avec quel empressement et quelle joie un peuple libre, qui s'impose lui-même les charges publiques, doit les payer. Les Hollandais, leur direz-vous, paient d'énormes impôts qui ne sont point le prix de la liberté ; leurs états s'occupent en ce moment d'en combler arbitrairement la mesure. En effet, on cherche les moyens de créer des impositions nouvelles; il en faut pour subvenir au paiement annuel des rentes de l'emprunt forcé du 25me denier. Les taxes sur les maisons, sur les domestiques, les voitures, les chevaux, et sur la consommation du tabac, seront probablement augmentées. Voilà ce que nous rapporte cette escadre puissante aux ordres de l'amiral Kinsbergen. Elle devait se joindre aux Anglais contre les Espagnols, dans l'étrange démêlé qu'une coupable politique avait suscité entre ces deux puissances, et dont les sages décrets de votre Assemblée nationale ont sans doute terminé les folles espérances..... Notre flotte vient donc heureusement de rentrer au Texel. Mais nos maîtres, comme s'ils voulaient nous consoler de nos énormes dépenses, favorisent le bruit que l'escadre peut n'être pas inutile, et que l'Anglais n'est pas tellement d'accord avec l'Espagnol, qu'on ne puisse se flatter encore de tenter les horreurs de la guerre.

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· Deuxième année de la Liberté.

Quant à l'état de la France (je parle de votre situation véritable, du nouvel état de choses qui vous promet splendeur et liberté), c'est ce que le peuple hollandais ne peut connaître qu'à travers les calomnies dont mille écrivains noircissent périodiquement votre Assemblée nationale...... Ici nous n'entendons parler de liberté que sur des médailles que les états-généraux, à l'occasion de l'entrée du prince héréditaire, héritier présomptif de la couronne d'Orange, dans le conseil d'état, ont fait frapper, et dont la légende est aux héros de la liberté ; en mémoire sans doute de la révolution honteuse et terrible qui nous a privés de toute liberté politique..... Au nom de l'humanité entière, que les patriotes français recommandent au peuple le dernier exemple de vertu que l'on a droit d'attendre de son patriotisme! Votre constitution est menacée si l'impôt périclite; et si votre constitution périt, la nation pour qui un si bel ordre de choses avait été créé sera éternellement coupable envers tant de peuples dont l'espérance, la seule espérance repose dans le glorieux succès de la France.

LIÉGE.

Extrait d'une lettre de Liége.

Le conseil général de la cité de Liége a fait à S. M. prussienne l'hommage du plan provisoire de municipalité qu'on vient d'adopter dans la capitale du pays de Liége, et l'a accompagné d'une lettre, où il implore de nouveau la protection de S. M. Les états du pays ont aussi, dans le même temps, écrit une lettre à S. M., pleine de cette confiance et de cette noble fierté que leur doit inspirer la justice de leur cause. Voici comme ils s'expriment :

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Sire, au moment où la cité de Liége remplit le plus cher de ses devoirs, celui de présenter à V. M. le plan de constitution municipale qui vient de s'établir dans son sein, et qu'elle doit à la liberté, fruit précieux de la puissante protection dont la justice de V. M. l'a honorée; les états du pays doivent s'empresser sans doute de porter de nouveau aux pieds de l'auguste protecteur des Liégeois les hommages et les vœux de la nation entière, et lui rendre compte de la situation actuelle d'un peuple auquel il a daigné s'intéresser.

... Sire, des troupes étrangères continuent à inonder notre terre, à y porter le fer et la flamme. Elles s'y livrent à des excès qui révoltent l'humanité et font frémir la nature. Constamment repoussées par les efforts des braves citoyens qui défendent leurs foyers, si barbarement envahis, au lieu de renoncer à une exécution impossible, elles ne disparaissent devant nos armes victorieuses que pour revenir de nouveau porter les alarmes et la désolation parmi des citoyens paisibles et irréprochables, au scandale éternel de la raison et de l'équité. Oui, sire, elle leur est impossible cette exécution, qui déshonore l'Allemagne. On peut écraser, miner, ravager, brûler tout dans nos contrées; on peut joncher nos champs de cadavres ; mais non faire céder les Liégeois à cette affreuse tyrannie; on peut les égorger, mais non les vaincre. Eh! qu'il perde l'espoir de jamais rentrer au milieu de nous, celui qui, trahissant tous ses devoirs, violant les serments les plus saints, serments dont le ciel, dont l'univers furent par lui nommés garants, ne respire plus que notre destruction! S'il avait l'affreux bonheur de parvenir à son but, nous le déclarons à V. M., oui, sire, il ne régnerait que sur des morts et des ruines. Jamais le vœu général de la na tion se manifesta-t-il d'une manière plus éclatante? Cette union constante de tous les ordres, cette constitution municipale, si tranquillement, si librement

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établie, l'élection légale des magistrats, opérée avec l'ordre le plus admirable et l'harmonie la plus parfaite dans notre vaste capitale; toutes nos villes s'empressant de suivre son exemple, et s'organisant avec justice et sagesse; le bon peuple des campagnes, réuni dans l'assemblée des états à celui des villes, ne formant plus qu'une assemblée de frères, la paix non interrompue qui règne au milieu de nous.....

pour

» Tout impose à jamais silence aux calomniateurs, aux ennemis de la patrie; tout anéantit leurs lâches projets, tout porte à V. M. l'éclatant témoignage des désirs de la nation entière, de son amour ardent cette constitution sage, qui seule peut faire sa félicité, et de l'étrange aveuglement où était l'évêque, quand il disait à V. M. que quelques factieux seuls enchainaient le peuple, dont le cœur était à lui. Non, sire, cette illusion ne peut plus exister. Le cri unanime des Liégeois se fait chaque jour entendre de la manière la plus énergique; V. M. le sait, il ne demande que justice.....

....

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Il n'est plus possible, sire, que les Liégeois laissent arbitre de leur sort ce tribunal acharné à leur perte, ce tribunal de sang qui ne cesse, depuis dix mois, de les écraser sans les entendre, et viole, pour assouvir son projet barbare, toutes les lois de l'Empire et de l'humanité. Votre main généreuse avait indiqué la route, on a osé dédaigner la voix de V. M. et celle des sages ministres. Les Liégeois se réservent de porter, en son temps, à tout le corps germanique, leurs justes plaintes contre la chambre de Westlaer; ils montreront aux princes et aux peuples la précipitation inconcevable qu'on n'a pas rougi d'avoir dans une affaire de cette importance; l'infraction manifeste de toutes les formes, les contradictions accumulées, la froide et cruelle légèreté qui ont dirigé sa marche; cette lâche complaisance pour la puissance, et ce dédain scandaleux pour ceux qu'on a crus faibles. Que ce tableau affreux, mais vrai, soit pour les peuples de la Germanie un fanal qui jette la lumière sur cet immense et ténébreux chaos d'abus qui les tyrannisent, lumière horrible, à la clarté de laquelle ces peuples pourront parvenir à la correction de ces abus dévastateurs! Les princes justes et éclairés, les princes qui comme vous, sire, ne respirent que pour faire du bien aux hommes, applaudiront à cette correction nécessaire, encourageront les peuples, et jetteront un regard foudroyant sur leurs persécuteurs..... Il n'est pas des bornes de cette adresse, sire, d'entrer dans de plus longs détails sur le despotisme de la chambre impériale, sur sa partialité délirante. Ce n'est plus judiciairement et par-devant elle, ni aucun autre tribunal, que doit se décider la cause des Liégeois sur cet intéressant objet. Toutes procédures doivent être anéanties. C'est par le pur sang des citoyens, répandu au champ de l'honneur et de la patrie, que ce brave peuple s'est rendu digne de la liberté.....

que sa plume illustre sait si bien défendre, il verra d'un coup d'œil les abus introduits par le temps et la tyrannie dans notre sage constitution. La base en est excellente, malheur à qui voudrait l'ébranler ! Il verra que rendre à cette constitution sa pureté primitive, nous assurer, par elle, les droits de l'homme et du citoyen, en y apportant seulement les améliorations que les besoins, le changement des circonstances, et les lumières données par les siècles peuvent absolument exiger, est le seul vœu des Liégeois; qu'ils ne veulent parvenir à ce but que par la paix, la concorde, la douce persuasion et des sentiments fraternels. Oui, sire, les hymnes de notre reconnaissance porteront sans cesse à votre cœur royal la plus douce émotion; oui, les Liégeois justifieront vos bienfaits. Quatre mois d'une persécution la plus cruelle, supportée et repoussée avec la plus mâle énergie, ont assez appris aux nations l'équité de ce que V. M. a dit à l'Empire de leur cause; ils ont assez démontré la sagesse des résolutions qu'ils ont prises dans cette affaire: achevez, sire, l'amour du genre humain sera votre récompense; c'est la seule digne de vous..... »

BULLETIN

DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

SUITE DE LA SÉANCE DU DIMANCHE 5 SEPTEMBRE ET
DE LA DISCUSSION SUR LA LIQUIDATION DE LA
DETTE PUBLIQUE.

M. BOISLANDRY: J'ai été frappé, comme vous l'avez été, de l'étendue et de la hardiesse du plan qui vous a été présenté par M. Mirabeau; c'est une grande et belle idée que celle qui paraît conduire à libérer tout à coup la nation de cent millions de rente, à diminuer de cent millions les charges du peuple, et à faciliter la vente de deux milliards de propriétés. Elle devait être reçue avec transport par tous les bons Français, et j'avoue que j'ai été entraîné d'abord par ces espérances consolantes qui nous étaient présentées avec tant d'éloquence. Je me suis dit à moi-même: Le succès de ce projet doit être infaillible, puisqu'il nous est proposé par M. Mirabeau, lui qui avait professé autrefois une doctrine toute contraire, et qui dans cette assemblée même avait témoigné une horreur invincible pour toute espèce de papier-monnaie; mais de plus sérieuses réflexions ont suspendu ma résolution. En examinant ce projet avec attention, il m'a paru que son exécution entraînait des inconvénients très graves, et qu'elle exposait la France à la commotion la plus dangereuse. Je dirai plus, j'ai cru reconnaître que les avantages qui vous ont été annoncés étaient ou nuls ou très incertains. Je n'adopte pas cependant les quittances de finances, telles qu'elles vous sont présentées, parce qu'en continuant tous les intérêts sur le même pied, elles ne procureront au peuple . Un mot, sire, et ces troupes exécutrices aucun soulagement. Je ne pense pas non plus que qui dévastent si cruellement et si inutilement le pays vous deviez admettre en entier le projet de M. l'évêque vont quitter ces frontières. Puisse V. M., puisse le ver- d'Autun. Il est bien vrai que la majeure partie des tueux ministre, la gloire de la Prusse et de la Germa- créanciers de l'Etat ont les mêmes droits, puisqu'à nie, qui voulut bien entendre en père nos justes l'exception des rentes viagères et des tontines, toutes réclamations, et nous faire parvenir jusqu'à vous, ache- les autres ont été créées à la charge du remboursever l'ouvrage si heureusement commencé, cet ouvrage ment. Mais il est impossible d'acquitter près de cinq que l'Europe attend! Vengez l'honneur de l'Empire, milliards de dettes avec deux milliards de biens-fonds. que ces barbaries flétrissent! Que votre ministre direc- J'aurai l'honneur de vous soumettre d'autres vues torial au cercle du Bas-Rhin, cet éloquent défenseur qui, sans avoir les inconvénients de ces divers prodes opprimés, ce vengeur intrépide de la justice ou-jets, me paraissent en réunir tous les avantages. Je tragée, l'ardent ami de la gloire de son auguste maître supplie l'Assemblée de vouloir bien m'écouter avec et du bonheur des peuples, reçoive de vous, sire, indulgence. l'ordre honorable de veiller à tout ce qui concerne et la retraite des troupes et l'accomplissement des justes réclamations des Liégeois! Ils ne demandent que justice. Publiciste éclairé et impartial, pénétré du plus profond respect pour les droits de l'espèce humaine

Les principaux avantages dont on vous a fait l'énumération, pour vous déterminer à l'émission d'assignats forcés, jusqu'à la concurrence de deux milliards, sont le remboursement effectif de toute la dette exigible, la vente très prompte de toutes les propriétés

nationales, la suppression de cent millions de rente, la diminution de cent millions d'impôts, la circulation rétablie dans le commerce, la baisse de l'intérêt de l'argent, la certitude d'attacher au succès de la révolution tous les porteurs d'assignats, amis ou ennemis. On a même ajouté que pour satisfaire aux besoins des classes inférieures du peuple, et pour empêcher la baisse des gros assignats, on pourrait créer de petits assignats de 100 liv., de 50 et 24 liv. J'avais résumé successivement tous ces avantages; vous allez juger de leur réalité.

Premier avantage. Le remboursement effectif de la dette exigible. Ce remboursement ne sera pas effectué par l'émission des assignats, ce sera par la vente des propriétés. Or, la valeur de l'assignat diminuée de l'intérêt proportionné au temps qui s'écoulera jusqu'à la vente, cet assignat sera donc une pièce de monnaie dans laquelle le souverain aura fait entrer dix, quinze ou vingt pour cent d'alliage, mais que la loi forcera d'accepter en paiement; ce ne sera donc pas un remboursement effectif.

Second avantage. La vente très prompte de toutes les propriétés nationales. Elle ne sera point accélérée par l'émission des assignats. D'abord, ayant remplacé l'argent, le besoin qu'on en aura empêchera de s'en dessaisir pour acheter les biens-fonds. Ensuite ce ne sera pas toujours aux porteurs des assignats qu'il conviendra de faire des acquisitions. Les négociants, les manufacturiers, les banquiers les garderont pour leur commerce. Les fermiers des terres et les locataires des maisons, auxquels il est ordinairement plus utile de faire des acquisitions, n'auront pas assez d'assignats pour payer comptant leurs achats; ainsi ceux qui auront les assignats ne voudront point acheter, ceux qui voudront acheter n'auront point d'assignats. La vente sera donc lente, au lieu d'être rapide, parce qu'il n'y aura point de concurrents et qu'il se trouvera peu d'acquéreurs.

cette de vingt à trente millions, et que, pour combler ce déficit, il faudra augmenter les impôts. Veut-on qu'au lieu de cette baisse très probable, les assignats acquièrent une grande faveur? qu'ils soient au pair de l'argent; alors l'argent circulera en concurrence avec les assignats; alors le numéraire se trouvera doublé, et toutes les marchandises, tous les salaires augmenteront peut-être de vingt à trente pour cent; alors les fournisseurs et les employés du gouvernement hausseront encore leurs prétentions: ainsi les impôts établis d'après le prix actuel des denrées seront insuffisas, et il faudra indispensablement les augmenter. La liminution promise des impôts est donc nulle et imaginaire, l'augmentation, au contraire, est certaine.

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pour l'ouvrier. Si au contraire les assignats sont en perte, le manufacturier sera forcé d'ajouter à l'intérêt ordinaire dix, quinze et vingt pour cent pour acheter des écus; la baisse de l'intérêt est donc très éventuelle, et si elle a lieu elle ne fera aucun bien.

Cinquième avante ge. La circulation rétablie dans, le commerce. Si les assignats prennent faveur, il y aura, en effet, pendant quelque temps, une grande circulation; mais cette prospérité ne sera que passagère; bientôt les denrées et les salaires seront augmentés, nos marchandises hausseront dans la même proportion, et ne pourront plus supporter la concurrence avec l'étranger, à qui nous vendrons peu et de qui nous achèterons beaucoup. Vous verrez en peu de temps nos manufactures se ruiner, notre commerce s'anéantir. Si au contraire les assignats perdent seulement dix ou quinze pour cent, les inquiétudes continueront; chacun économisera; la consommation sera faible; l'argent sera plus rare et plus cher; la misère du peuple sera la même, puisqu'il n'y aura pas plus d'activité dans les travaux: la circulation ne sera donc pas rétablie dans le commerce. Sixième avantage. La baisse de l'intérêt de l'arL'intérêt baissera si les assignats prennent gent. faveur, mais cet avantage est imaginaire: l'argent sera, si l'on veut, diminué de deux pour cent; mais on a vu que dans cette hypothèse les denrées et les salaires hausseront de vingt ou trente pour cent; ainsi Troisième avantage. La suppression de cent mil-il n'y aura de bénéfice ni pour le manufacturier ni lions de rente. Il est bien vrai qu'avec deux milliards d'assignats forcés et sans intérêt, on se libère de cent millions de rente; mais pour cela il faut vendre pour deux milliards de biens-fonds, qui produisent 70 millions; ainsi le bénéfice n'est que de 30 millions. Si ces biens diminuent de valeur par la quantité des fonds à vendre; si au lieu d'être achetés au denier 20, ils ne le sont qu'au denier 30, vous aurez donné, en paiement, des biens qui produisaient le denier 20, pour amortir des rentes qui produisaient le denier 20; le bénéfice sera parfaitement nul. Cependant vous aurez mis en émission pour deux milliards d'assignats. Or, comme vos biens que vous estimiez aussi deux milliards, au denier 20, ne seront réellement vendus que 14 à 1,500 millions au denier 30, il restera de fait une circulation, sans hypothèque, de 5 à 600 millions d'assignats qu'il faudra néanmoins rembourser, ou dont il faudra payer les intérêts. Il n'est donc vrai, sous aucun point de vue, de dire que la nation sera libérée de 100 millions d'intérêts, et il est évident que lorsqu'on a avancé cette assertion on vous a trompés. Quatrième avantage. La diminution de cent millions d'impôts. Ce quatrième avantage aurait été produit par celui dont je viens de démontrer la nullité; il n'y aurait donc pas de diminution réelle de l'impôt; mais je vais plus loin je dis qu'il y aura une augmentation forcée d'impôts; en effet, si les assignats perdent dix, quinze et peut-être vingt pour cent, les entrepreneurs et fournisseurs du gouvernement ne feront certainement pas des marchés à leur perte; ils augmenteront donc leur demande dans la même proportion de dix, quinze, vingt pour cent. Si cette augmentation porte, par exemple, sur deux à trois cents millions, il est évident qu'elle formera un accroissement de dépense, conséquemment un vide dans la re

Septième avantage. La certitude d'attacher au succès de la révolution tous les porteurs d'assignats. — Si les assignats perdent, chaque porteur sera un ennemi de vos opérations; les petits assignats seront plus dangereux encore que les gros, les besoins du peuple au-dessous de vingt-quatre livres sont immenses et continuellement répétés. Les vendeurs de comestibles seront obligés de prendre les petits assignats, leurs fonds s'épuiseront, il s'établira des changeurs chers à raison du besoin. Le peuple les poursuivra, la terreur augmentera le prix de l'argent; en peu dé jours les petits assignats perdront peut-être un tiers ou un quart de leur valeur; alors la chute des gros assignats sera certaine, le peuple mécontent d'une perte journalière ne se déclarera-t-il pas contre la révolution?

Vous pouvez maintenant apprécier le projet d'une émission de deux milliards d'assignats forcés; permettez-moi de vous soumettre quelques autres observations.

Il est contre la nature des choses qu'un papier-monnaie, non payable à vue, ait la même valeur que l'argent. L'argent est un métal rare et précieux, son prix est le résultat de salaires payés pour un travail long et difficile, pour les frais et les risques de la traversée des mers: il est divisé en petites portions; il n'est ni si facile à consumer, ni si facile à contrefaire que le papier; sa valeur est avouée et reconnue par toutes les nations; le papier-monnaie n'a aucun de ces avantages. Son prix ne peut donc iamais être égal

à celui de l'argent les assignats actuels, qui produisent trois pour cent d'intérêt, perdent six et sept; or, les nouveaux, sans intérêt, perdront au moins, dès les premiers instants, dix pour cent. Serez-vous libérés avec vos créanciers en leur offrant pour 100 liv. un effet qui n'en vaut réellement que 90?

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erreur. On vous a dit que le numéraire réel et fictit de l'Angleterre s'élevait à cinq milliards. L'Angleterre n'a pas d'autre numéraire fictif que des billets de banque, payables à vue et au porteur, et qui sont, avec raison, considérés comme de l'argent : son numéraire, en espèces, est évalué de six à sept cents millions, les billets de banque à 300 millions; cependant la circulation intérieure est presque égale à celle de la France son commerce intérieur est d'un tiers plus considérable; et l'on vous dit que la France, dont le numéraire est le double, n'en a pas assez pour le com merce! L'Angleterre a, comme nous, pour quatre à cinq milliards de dettes; mais ces dettes sont constituées en effets qui se négocient à la bourse; elle s'est bien donné de garde d'en faire du papier forcé de circulation, parce qu'elle sait que le papier-monnaie, par sa nature, est destructeur de l'agriculture, du commerce, des manufactures et de la prospérité des nations qui l'emploient. On a repoussé, dans cette tribune, toute espèce de comparaison entre le papiermonnaie forcé et celui de Law: sans doute les assignats auront une valeur plus réelle; mais de ce qu'ils vaudront mieux, et de ce qu'on perdra moins, il ne s'ensuit pas qu'on doive les adopter; il suffit qu'ils soient dangereux pour les proscrire, et dans tous les cas ils le seront. Un grand inconvénient sur lequel on n'a pas assez insisté, c'est la contrefaçon. Les contrefacteurs, pour les petits assignats, se multiplicront, non pas seulement en France, mais dans l'étranger; et si ce fatal moyen de nous nuire était encou

Vous voulez vendre pour deux milliards de biens nationaux, vous ne connaissez pas la valeur de ces biens calculons-la par aperçu. Le comité des dimes vous a dit que les dimes pouvaient produire au clergé 80 à 90 millions net, et que les autres revenus pouvaient être évalués de 60 à 70 millions; les dimes sout supprimées, il n'y faut plus compter: il reste donc le revenu des biens-fouds que je porterai à la plus haute estimation, 70 millions. Mais il faut en déduire, 1o le produit des droits féodaux abolis sans indemnité; 2 le revenu des maisons de charité et d'éducation des hôpitaux, des fabriques, de l'ordre de Malte; 3° le revenu des forêts et bois au-dessus de 100 arpents, dont la vente a été défendue par un décret; 4° les dettes légitimes des maisons, communautés et autres établissements ecclésiastiques: on ne peut guère porter tous ces objets réunis à moins de 20 millions de revenu; il restera donc 50 millions de produit. Mais les biens nationaux ne consistent pas seulement en terres, mais encore en rentes, en droits seigneuriaux, en maisons; plusieurs se vendent au-dessus du denier 20, d'autres au-dessous. J'accorderai si l'on veut qu'ils se vendront tous au denier 25. Dans cette hypothèse très favorable et très douteuse, la valeur effective de ceux qui sont disponibles sera de 1,250 millions. L'o-ragé ou toléré par quelques-unes des puissances qui pinion publique mieux informée ne tardera pas à réprouver les illusions qu'elle avait embrassées avec tant d'ardeur.

voient avec inquiétude notre révolution, l'avilissement des assignats en serait la suite immédiate: la hausse et la baisse journalière produiraient un genre d'agiotage bien plus funeste; il s'établirait dans chaque ville, dans chaque paroisse, des changeurs dont l'unique métier serait de vendre de l'argent. Cet ave

Voici une autre difficulté. Vous avez déjà fait une émission de 400 millions d'assignats forcés portant 3 pour 100 d'intérêt, comment ferez-vous concourir avec ceux-ci des assignats nouveaux sans intérêt ?nir est infaillible, et cependant on a osé vous dire que L'Assemblée reviendra-t-elle sur son décret? Il est un autre décret qu'il faudrait encore anéantir, vous avez accordé 15 ans aux municipalités et 12 aux particuliers pour payer leurs acquisitions. Sur la foi de cette promesse, les fermiers, les gens de campagne, les voisins des terres à vendre, les locataires des maisons ont fait des soumissions, ils n'ont point assez d'argent; ils auraient économisé. Aujourd'hui ces soumissions deviennent inutiles; vous les chassez de leurs fermes, de leurs maisons, parce que n'ayant pas le moyen de payer leurs acquisitions en assignats, ils seront forcés de ne pas acheter. La manière la plus utile de vendre des biens-fonds n'est pas au complant; en les vendant à un terme long on en doublerait le prix, et il ne faut ni assignats ni argent pour acheter à termes. C'est une erreur de croire qu'il faille multiplier les signes de circulation, parce qu'il y aura beaucoup de terres à vendre. Pour que les biens-fonds profitent à celui qui les achète, il faut qu'il les garde. Ces sortes de transactions exigent donc très peu de capitaux.

On dit que nous n'avons pas assez de numéraire efectif; cependant tous les écrivains politiques, qui ont écrit sur cette matière, assurent que la France en a à elle seule autant que toutes les nations de l'Europe ensemble. N'y aurait-il pas un danger imminent à doubler tout à coup le numéraire du royaume? A-t-on bien calculé les convulsions qu'occasionnerait une émission aussi subite, aussi considérable, les variations dans les prix que la baisse ou la hausse peuvent produire? A-t-on songé aux murmures des campagnes, aux agitations des villes, à l'incertitude des manufacturiers et des négociants, lors des ventes et des rentrées?

Ici je dois relever un fait qui pourrait induire le public et plusieurs membres de cette Assemblée en

l'émission de deux milliards d'assignats forcés détruirait l'agiotage. Tous ces raisonnements s'appliquent à l'état de paix où nous sommes; mais si nous avions malheureusement la guerre avec l'Angleterre, par exemple, qui paie en argent ses approvisionnements, ses soldats et ses matelots, quel énorme désavantage n'éprouverions-nous pas vis-à-vis d'elle, et dans le Nord, pour les fournitures de notre marine, et dans nos marchés, pour l'armement de nos flottes et l'équipement de nos armées! J'abandonne ces idées sinistres de guerre, et je suppose une paix éternelle avec tous nos voisins; pouvons-nous renoncer aux relations que nous avons avec eux? Nous vendons habituellement aux étrangers pour 300 millions, nous achetous de leurs marchandises pour 240: mais si, au lieu de douze pour cent, la différence du change à notre perte est de quinze à vingt, nous achèterons tout à vingt pour cent de plus, nous vendrons tout à vingt pour cent de moins. Nous sera-t-il possible de continuer longtemps un pareil commerce?

Puisqu'il y a tant de motifs de nous métier d'un pareil projet, ne dédaignons pas les conseils de l'expérience. Le congrès américain, pendant la dernière guerre, avait mis en circulation une quantité considérable de papier-monnaie. Ce papier, après avoir quelque temps lutté contre le discrédit, s'est anéanti, pour ainsi dire, de lui-même, dans la main des propriétaires, au point que maintenant 100 dollars de papier valent à peine cinq dollars en espèces. Les Danois, les Suédois, les Russes ont aussi du papier-monnaie. Chez toutes ces nations il a produit les effets dont je viens de vous offrir le tableau; partout il a paralysé l'argent, partout il a entravé le commerce et l'industrie. Le papier-monnaie en Suède, quoiqu'il fût hypothéqué sur les terres du royaume, a été tellement avili, pendant un certain temps, qu'un ducat en es

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