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Nous vous annonçons une protestation des officiers municipaux : cet ouvrage seul est le fruit de la liberté. Signé ARNAUD Decorio, Ruster, députés de la ville de Saint-Pierre de la Martinique.

Copie de la lettre écrite par le secrétaire-greffier de la municipalité de Saint-Pierre, à MM. Ruster et Arnaud Decorio, députés de ladite ville auprès de l'Assemblée nationale.

« Messieurs, vous êtes loin de soupçonner l'affreux moment dans lequel nous sommes; il est tel, que la municipalité même ne peut écrire officiellement et que je suis obligé de me dérober pour vous en donner une imparfaite idée.

»M, de Damas a pris le gouvernement; l'assemblée, sans se dissoudre, a déclaré qu'elle s'en rapportait à la majorité des paroisses. Le général nous avait adressé les proclamations du roi et les décrets du 28 mars, lorsque tout l'édifice de notre prospérité a été renversé; et nous sommes tombés dans un état honteux d'avilissement sous le fer de nos ennemis, et ne subsistant encore que par une espèce de prodige. La gazette ci-jointe vous donnera une idée des événements du jeudi 3 juin. Nous étions à l'instant d'être égorgés par les mulatres; c'était de cette manière qu'ils prétendaient obtenir la qualité de citoyens. Je ne puis pas vous dissimuler que la rage du peuple a été poussée bien loin ce jour-là ; et parmi les mulâtres qui ont été pendus, il y en a eu d'arrachés impitoyablement des bras des citoyens qui voulaient les protéger. M. Dufau lui-même a été massacré et pendu, lorsqu'il eût été important de lui conserver la vie pour l'entendre au moins sur les faits dont il pouvait donner la révélation.

Le lendemain 4, nous avons été encore dans une crise violente: des forcenés voulaient aller poignarder dans les prisons tous les mulâtres qu'on y avait conduits. Pour arrêter leur rage, il a fallu former une cham bre prévôtale, pour laquelle les districts ont nommé chacun leurs commissaires; M. Dessales a été fait grand prévôt, et il est certain qu'on lui doit le salut de ceux qui n'avaient pas péri dans la première journée; l'activité avec laquelle il a travaillé a enchaîné l'effervescence, et nous avons eu l'espoir de sauver des innocents.

Cependant, au premier récit qui a été fait dans l'intérieur de la colonie, l'assemblée prétendue générale s'est mise en action. Les mulâtres fugitifs avaient rendu tout sous les traits les plus affreux, et les exagérations de toute espèce ont fait fermenter les esprits à un point inconcevable. On n'a pas vu des hommes qui avaient été provoqués par des nulâtres; on a vu les brigands, les assassins des mulâtres, et on a pris le parti le plus extraordinaire. L'assemblée a requis M. le général d'employer toutes ses forces, troupes réglées, marine, artillerie, milices, etc., pour marcher à nous, en lui donnant pour motif qu'il fallait nous délivrer des perturbateurs du repos public, qui ne nous laissaient aucune liberté, etc. Je vous envoie la réquisition à la suite de laquelle on a imprimé la lettre du général, mais une partie seulement, c'est-à-dire qu'elle était accompagnée d'une autre lettre très forte, qui nous a mis l'alarme dans le cœur et qui nous a décidés de nous mettre en état de défense.

» L'armée s'est mise en marche le 9 au matin; elle était composée de tout le régiment de la Martinique (on y avait joint deux des compagnies de Sainte-Lucie), du corps d'artillerie, de la marine, de tous les habitants commandés dans tous les quartiers, et des mulâ

tres eux-mêmes.

» Le vaisseau l'Illustre et deux brigantins en avaient une grande partie à bord. Le général, à la tête du corps d'armée, a débarqué au Carbet, d'où ils ont passé par les hauteurs jusqu'à l'hôpital, et nous ont embrassés de ce côté; les brigantins ont débarqué au fond Ganonville, et le détachement a été bientôt renforcé des ha

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bitants aristocrates du Prescheur et quartiers voisins; on a vu entre autres M. de Massias à la tête. Enfir M. de Soter est venu par le gros Morne, et s'est emparé du Parnasse. De tous côtés nous étions pris, et par des forces supérieures. M. le maire et M. Dert avaient pris des dispositions, mais il y avait ordre de ne point tirer le premier coup de fusil; en sorte que les ennemis s'avançant de tous les côtés à la fois, les postes étaient obligés de se replier, et sont rentrés en ville. Jugez de notre situation dans toute cette journée! Le moindre coup tiré, tout eût été exterminé. M. de Pontevès louvoyait dans la rade prêt à canonner la ville, s'il y avait de la résistance: la mort s'offrait de toutes parts. Comme on avait mis les troupes réglées en avant, c'est une des causes qui ont enchaîné l'ardeur de la jeunesse; mais on a eu bien de la peine à contenir celle des flibustiers, à la tête desquels était M. Lahorie. » Le soir, quand on s'est vu investi et qu'il n'y avait aucun moyen de défense, la fureur de quelques esprits s'est tournée contre la munisipalité. M. de Thoumaseau lui-même a manqué d'en eure la victime. Cependant le général lui a fait demander la permission de faire entrer sa troupe dans la ville, et il l'a accordée à condition que les mulâtres n'y entreraient pas, ce dont le général a donné sa parole d'honneur. En effet, ils sont campés sur toutes les hauteurs des environs, où ils ont dévasté les habitations, et d'où nous les voyons continuellement qui forment à nos yeux un cercle bien honteux à voir,

» Les habitants des campagnes sont entrés en foute avec le général, et se sont emparés de l'intendance où ils sont pêle-mêle avec les grenadiers. M. de Foulon s'est montré avec une intrépidité rare; et combien d'horreurs il a éprouvées! Il y a aujourd'hui quatre jours que nous sommes à la merci de nos ennemis. Après deux jours, le général nous a priés de convoquer une assemblée de deux cents notables : elle s'est tenue hier à l'intendance; c'est-à-dire qu'on s'y est rendu, mais pour être entassés debout dans la plus grande confusion, au milieu de tous ces habitants, qui semblaient nous dévorer. M. de Préclair, à la tête des aristocrates du Fort, a proposé une adresse de remerciments au général, aux corps militaires et à l'assemblée coloniale, et on disait là hautement que ceux qui signeraient seraient les bons citoyens, et que les autres seraient connus.

» Cette proposition nous a glacés: nous sommes sortis, et l'adresse a été rejetée par quelques personnes; cependant la position étant critique, on s'est retiré á la maison de ville, où une autre adresse a été rédigée pour le général, en conservant, autant qu'il a été possible, les principes. Le général a fait l'impossible pour nous engager à lui faire une réquisition d'agir contre les mauvais sujets; nous y avons toujours résisté, et il a pris son parti.

» Cette nuit les troupes ont été postées dans toute la ville; des canons dans les rues : les mulâtres forment le cordon à mi-côte. Des détachements ont été de côté et d'autre dans les maisons enlever des particuliers sans distinction, les citoyens les plus honnêtes MM. Duhamel, Enfanton, Toraille, Fourn, Leduff, etc. Plus de cent cinquante ont été enlevés ainsi, sous prétexte de chercher des coupables, Depuis ce matin on en a relâché quelques-uns; mais la consternation est universelle; on les conduisait à bord de quelques bâtiments; et pour que cette manœuvre pût réussir, depuis hier on empechait strictement tout le monde de sortir. Nous avons fait des réclamations générales; mais le comité, vous le connaissez, est là: l'esprit de M. de Damas est obsédé, il croit travailler pour le bien, et il sert toutes les passions particulières. Bon Dieu, que vous êtes heureux de n'avoir pas vu ces horreurs ! faites-les connaitre cependant; au premier instant nous aurons à vous en apprendre d'autres !

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MM, les députés de Saint-Pierre certifient l'authenticité de cette lettre.

Leur mémoire porte : « D'autres lettres annoncent qu'on a forcé l'intendant à établir tous les bureaux de l'administration au Fort-Royal: on veut donc faire de cette ville de guerre la seule place de commerce de la colonie? On n'a conservé qu'un imprimeur avec privilége exclusif, les autres ont été proscrits; il n'est pas étonnant qu'on s'oppose à la liberté de la presse, dans un pays où l'on enlève à ses habitants jusqu'à la précieuse faculté d'exprimer de vive voix leur façon de penser, et où l'on force les officiers municipaux à trahir le témoignage de leur conscience, pour donner des éloges aux oppresseurs du peuple....

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>> Comment, dans ces circonstances, pouvoir exécuter le décret du 8 mars? Comment connaitre le vœu général d'une colonie, dans laquelle on ne veut employer que la loi-baionnette? Quelle est la liberté qu'on peut se permettre dans les suffrages? Nous sommes requis d'annoncer que MM. les députés de la ville de Saint-Pierre ont été chargés par la municipalité, par la commune et la garde nationale du Fort-Royal, de présenter leurs doléances à l'Assemblée nationale, et de défendre leurs droits de citoyens le gouvernement. comme ayant été violés par

BULLETIN

DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

SÉANCE DU LUNDI 9 AOUT.

M. REGNAULT, député de Saint-Jean-d'Angely: Vous avez entendu parler des troubles survenus dans plusieurs villages situés aux environs de Fontenay-ledeComte, dans un moment de disette de grains; je mande que la sentence rendue à la requête du grand prévôt par le tribunal de cette ville, soit regardée comme non avenue, l'affaire n'étant pas de son ressort, et qu'elle soit renvoyée par-devant les juges de Saint-Jean-d'Angely.

Sur les observations de M. Moreau, cette affaire est renvoyée au comité des rapports, pour en rendre compte le plus tôt possible.

M. GEORGES: Dans un des procès-verbaux remis au comité des rapports, relativement à l'insurrection qui a eu lieu dans le Clermontais, il est dit qu'un of→ ficier du régiment de Condé avait annoncé à Stenai, que les Autrichiens étaient prêts à entrer en France; ce qui a fait rassembler autour de cette ville près de 30 mille gardes nationaux des environs. J'ai appris hier, par un courrier extraordinaire, que les cavaliers en garnison dans cette ville, ayant interrogé un officierchasseur sur ces bruits, il leur répondit que cela était vrai; qu'ils entreraient et puniraient tous ceux qui ne seraient pas pour le roi. Cette nouvelle répandit de la fermentation, et l'officier a été obligé de prendre la fuite. Le courrier attend la décision de l'Assemblée.

peut servir a détourner toute espèce de soupçons. Je pense aussi que la municipalité doit être réprimandée pour avoir ouvert un paquet qui passait sous le sceau de la foi publique. Il est bon d'observer que les lettres en chiffres n'ont rien qui puisse alarmer, que c'est l'usage dans les correspondances diplomatiques.

M. LE PRÉSIDENT : Un des membres du comité des recherches m'a instruit que deux commissaires ont été chargés de remettre cette lettre à M. Montmorin; ils en rendront compte à l'Assemblée.

Un de MM. les secrétaires fait lecture d'une lettre des habitants de l'ile de Bourbon; ils se plaignent de la conduite des administrateurs de cette ile.

Cette adresse est renvoyée au comité colonial. -M. ELBECO: Les habitants des provinces qui composent aujourd'hui le département du Nord, ont fait creuser grands frais des canaux de communication, pour se procurer une navigation intérieure libre et facile. Cependant les intendants qui ont successivement administré ces provinces, ont fait accorder, par des arrêts du conseil, aux bateliers de Condé, le privilége exclusif de transporter le charbon tiré de toutes les mines quelconques du Hainaut, et aux bélandriers de Dunkerque, celui d'exporter de cette ville toutes les marchandises qui arrivent dans son port ainsi les bateliers des deux extrémités du département ont à eux seuls la jouissance exclusive de toutes les rivières et canaux, dont l'entretien est cependant à la charge de tous les habitants. Vous ne souffrirez pas plus longtemps un abus aussi révoltant et aussi contraire aux intérêts du commerce. Déjà Vous avez prononcé que les rivières et canaux étaient aussi libres que les grands chemins. le demande donc que cette affaire soit renvoyée à votre comité d'agriculture et de commerce, pour être mise sous vos yeux dans huitaine. Cette proposition est adoptée.

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Suite de la discussion sur l'organisation de l'ordre judiciaire. Du ministère public.

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M. Beaumetz propose de poser ainsi la question: Comment seront exercées les accusations publiques? M. MENONVILLE: Elle peut l'être ainsi : Par qui les poursuites des délits publics seront-elles intentée el dirigées?

On demande que la discussion soit ouverte sur la question posée d'une manière plus générale.

M. Goupil propose le décret suivant: Il y aura, dans chaque tribunal de district, un procureur du roi chargé du ministère public. Il sera chargé de la cause des mineurs, des interdits, et de toutes celles où les droits de la nation pourraient être compromis. Il pourra intenter, de son chef, une accusation contre tout acte qui aurait troublé l'ordre public, et il pourvoira a ce que cet ordre ne soit jamais compromis.

M. MOUGINS: Le corps social, blessé par l'impunite des crimes, vous demande un homme chargé d'en poursuivre la vengeance et d'en découvrir les preuves. Cet homme doit-il être l'homme du peuple ou l'homme du roi? Ce doit être l'homme du peuple, parce que l'accusation publique est le droit le plus sacré, et que, d'après tous les principes, il émane des droits du peu

M. REWBELL: Il est d'autant plus instant de s'occuper de cette affaire, qu'il paraît qu'on travaille de toute part l'armée, et qu'on insinue aux soldats de renvoyer leurs officiers. La garnison de Bitche est sortie de la ville tambour battant, a déposé ses officiers, et est rentrée dans la ville le sabre à la main. Je persiste à demander que l'Assemblée s'occupe incessam-ple, qui dès-lors a incontestablement le pouvoir d'en ment de ces objets.

Cette affaire est renvoyée au comité des recherches. — M. MARTINEAU: Il a été remis au comité des rapports un paquet venant d'Allemagne, et arrêté par la municipalité de Saint-Aubin, qui l'a décacheté. Dans le paquet se trouvent deux lettres, l'une adressée à M. Montmorin, et l'autre à M. d'Oigny; elles sent écrites en chiffres. Il est peut-être nécessaire de nommer des commissaires pour assister à l'ouverture de ce paquet, en présence de M. Montmorin; cela

déléguer l'exercice. Pour démontrer cette vérité, il suffit d'invoquer les maximes consacrées à la nature, dictées par l'humanité, et adoptées par les lois de tous les peuples. Le droit naturel investit de la poursuite des crimes l'offensé ou la famille de l'offensé.... Ce pendant, si l'offensé néglige de poursuivre son injure, le crime ne doit pas pour cela rester impuni; c'est cette considération importante qui a fait créer le magistrat chargé de veiller à la punition des méchants. il le fut d'abord par le peuple; c'est donc le peuple

qui doit l'instituer encore aujourd'hui; c'est donc au nom du peuple, et non à celui du roi, qu'il doit exercer son ministère..... Le mode que votre comité de constitution vous propose, n'est donc qu'un retour à cette institution première que la constitution que vous donnez à l'empire français ne vous permet pas d'abandonner.... Il est clair que ce n'était que par la confusion de tous les pouvoirs et de tous les droits natioHaus, que le roi exerçait autrefois, que l'accusation publique lui tail dévolue. Aujourd'hinque l'on connaît la source et la distinction des pouvoirs, il m'est de montré que l'accusation publique appartient au peuple, et qu'il a seul le droit d'en déléguer l'exercice... Je conclus à l'adoption des articles proposés par votre 'comité de constitution.

M. BREVET, député d'Angers: Ainsi que toutes les grandes questions que vous avez agitées jusqu'à ce jour, celle qui occupe en ce moment l'Assemblée nationale renferme un assez grand nombre de questions secondaires, qui semblent devoir compliquer et embarrasser la discussion; mais peut-être est-il possible de la simplifier. Il s'agit uniquement d'une loi géné rale; tout le reste appartient à des détails, à des formules de procédures criminelles, applicables à tous les systêmes. Cette idée m'a dirigé dans la marche que je me suis prescrite; une autre pensée m'a conduit dans mes recherches. J'ai cru que cette cause, qui est véritablement celle de l'honneur, de la vie et de tous les droits du citoyen, devait être discutée d'après les règles immuables de la nature et de la raison; qu'il falTait oublie ces jurisconsultes des temps passés, qui, ne voyant et ne connaissant dans ce monde d'autres lois que la loi romaine, la loi canonique ou la loi coutumiere, traitaient des principes des lois comme un esclave dans les fers parle de la liberté. (On ap: plaudit.) A qui convient-il de déléguer le droit d'accusation? Pour résoudre ce problême il faut, avant tout, rechercher son origine, son sujet, ses caractères, et découvrir à qui, d'après les principes naturels de toute association publique, l'exercice en a été primitivement conféré. Nous trouverons avec facilité le principe que nous cherchons à consacrer, si nous parvenons à jeter quelque jour sur ces points préliminaires et fonda

mentaux.

Le droit d'accusation a pris naissance dans le contrat social, dont il forme une des bases les plus essentielles; par ce contrat, des hommes ont mis en commun leurs forces et leur volonté, pour garantir à chacun la plus grande aisance, les plus grandes retés, le plus grand bonheur possible.

citerai ni les Hébreux, m les Egyptiens, ni les Grecs mais je fixerai un instant vos regards sur la jurispru dence des accusations publiques chez un peuple sage de toute la sagesse des nations, et je m'appuierai principalement, dans ce rapide examen, des recherches d'un auteur très récent, d'un de ces hommes rares qui ont écrit sur la législation avec sens et philosophie: c'est de l'illustre chevalier Filangieri.

A Rome, dans les beaux jours de la république, tout citoyen avait la liberté d'intenter une accusation &ntre un autre citoyen, et l'exercice de ce droit était si heureusement conçu, que l'innocence n'eut jamais à s'en effrayer. L'accusation etait publique et connue de l'accusé dans les moindres détails; et l'accusateur ne pouvait plus la retirer avant l'intervention du jugement. Lui seul devait prouver le délit, et de l'insuffisance de la preuve résultait la justification de l'accusé. L'absolution de celui-ci entraînait donc ordinairement la perte de l'autre; et lorsque le prêteur avait prononcé la formule terrible qui déclarait l'accusation calomnieuse, l'accusateur subissait la même peine qui aurait frappé l'accusé. Ces précautions ne satisfirent pas les législateurs romains, et ils s'avisèrent d'un dernier expédient qui rendit presque impossibles les succès de la mauvaise foi. La loi autorisa l'accusé à placer un gardien auprès de son accusateur; ce gardien devait épier ses démarches et tous ies moyens dont il se servait pour appuyer son accusation. Soit qu'il conférât avec les juges, soit qu'il entretìnt les témoins, le gardien voyait tout, entendait tout. L'objet de ces lois était de punir la calomnie, d'autres lois étaient destinées à la prévenir. Il est impossible d'étudier cette belle partie de la législation romaine, sans admirer avec quel respect ce peuple sut conserver à chaque citoyen son droit naturel d'accusation, et avec quelle prudence consommée il en dirigea l'exercice vers le plus grand bien de la chose publique. Eh! qui le croirait? les barbares du huitième siècle étaient moins étrangers que nous à ces sublimes institutions. En feuilletant leurs codes de lois et nos capitulaires, on rencontre de nombreux vestiges qui attestent en effet que la liberté des accusations publiques était le droit et le devoir de chaque citoyen, et que les précautions avaient été multipliées contre la calomnie...

S'il est vrai que vous vouliez fonder notre constitution sur la base immortelle des droits des citoyens, et si d'un autre côté je suis convaincu que la liberté des accusations est un de ces droits primitifs et indessû-tructibles, il faut examiner maintenant s'il ne serait pas de notre devoir de consacrer cette liberté dans un principe constitutionnel. Il se présente ici trois questions. La liberté des accusations est-elle compatible avec la forme d'un gouvernement monarchique?

Toute infraction à la loi jurée blesse à la fois chaque individu, et met en péril la société tout entière. Chacun a donc un intérêt égal à ce que l'ordre public soit constamment maintenu; le droit de surveillance appartient donc à chacun; la liberté d'accusation est donc dans son origine un véritable droit de cité, attaché au titre de citoyen; mais, par une conséquence du pacte social également évidente, il faut que l'exercice de ce droit ne puisse jamais contrarier le but de son institution; il faut que, sous prétexte de protéger la sûreté individuelle et publique, il ne puisse servir à les ruiner toutes deux. Il faut surtout que jamais, sur de frivoles indices, on ne puisse impunément mettre un citoyen dans les fers. La combinaison de l'usage de ce droit doit donc être telle, qu'elle épouvante à la fois et le calomniateur et l'accusé coupable; en sorte que, d'une part, la liberté des accusations rende difficiles le secret et l'impunité du crime, et que de l'autre, le châtiment de l'accusateur calomnieux soit toujours assuré ne pensez pas que je vous entretienne ici d'une vaine théorie, elle était pratiquée avec succès chez les anciens peuples, qui, plus près que nous du berceau des sociétés, conservaient encore dans leurs institutions les premiers errements de la liberté. Je ne

Première question. Si cette liberté est compatible avec la forme d'un gouvernement monarchique, peutelle s'allier avec nos mœurs actuelles?

Seconde question. Si nos mœurs actuelles répugnent à cette alliance, à qui, de l'homme de loi ou de l'homme du peuple, l'exercice de ce droit doit-il être contié?

Troisième question. La liberté des accusations est elle compatible avec les formes d'un gouvernement monarchique?

Dès le premier pas je me vois arrêté par une autorité bien imposante; celle de Montesquieu. Il enseigne que la liberté des accusations est utile dans une républ que, et pernicieuse dans une monarchie, parce que, dit-il, dans la première, chaque citoyen doit avoir, pour le bien public, un zèle sans bornes, et être censé tenir dans ses mains tous les droits de la patrie; et que, dans la seconde, l'on pourrait abuser de ce droit pour favoriser les projets et les caprices du prince: c'est, selon lui, pour avoir suivi, sous les empereurs, les maximes de la république, que Rome

se vit infestée d'une troupe de délateurs. Il part de là pour faire un grand éloge de la loi qui confie la poursuite des crimes à un officier public. Il trouve que c'est par elle que les fonctions des délations sont anéanties parmi nous.

Pour apprécier les principes de Montesquieu sur cette matière, souffrez que je traduise ici quelques phrases remarquables de l'auteur italien que j'ai déjà cité. Si la liberté d'accuser emportait la facilité de calomnier, la loi ne pourrait, ni dans une monarchie, ni dans une république, donner ce droit barba e à au cun citoyen. Les conséquences en seraient également mortelles pour tous les gouvernements. Rome libre et Rome esclave auraient été également victimes d'un abus destructeur de tout repos et de toute liberté. Lors donc que l'on parle de la liberté d'accuser, on la suppose toujours combinée avec la plus grande difticulté de calomnier; et, dans ce cas, je ne vois plus comment elle pourrait être utile dans une république, et pernicieuse dans une monarchie. Il ne faut pas confondre la monarchie et le despotisme. Dans une monarchie, la loi existe, la loi est connue, la loi s'exécute. Si donc la liberté d'accuser est réglée d'après des lois sages et précises, le juge doit les suivre, ou il prévarique; le prince en doit protéger l'exécution, ou il renverse la constitution de l'Etat, et met son trône en péril. L'histoire de Rome même dépose contre les principes de Montesquieu.

Quand Sylla, Auguste, Tibère, Caligula, et les autres tyrans voulurent trouver des délateurs dans Rome, il fallut suspendre la rigueur des lois contre les accusateurs de mauvaise foi; il fallut séparer la liberté d'accuser d'avec la difficulté de calomnier; il fallut laisser un libre cours aux accusations, et ne mettre aucun frein à la calomnie; et comme ces infâmes chefs disposaient arbitrairement du sénat, du juge, du peuple et des lois, ils purent faire de leurs volontés momentanées le code unique de tous, et la seule règle des jugements. Alors, et quand d'un bout de l'empire à l'autre ils tarissaient le sang dans toutes les veines, lés délateurs, les seuls délateurs, encouragés, payés, honorés, n'eurent d'autre soin que de chercher et de marquer les victimes. Mais, de bonne foi, peut-on valablement argumenter d'un si féroce despotisme à une monarchie régulière? Et si, sous le gouvernement d'un seul, la liberté d'accuser devait entraîner de si funestes conséquences, pourquoi ne les poursuit-elle pas dans les temps postérieurs sous cette même forme de gouvernement? Et dans Rome elle-même, après que Tite et Néron eurent tiré de leur sommeil les lois contre les calomniateurs; et sous la monarchie tempérée des Trajan, des Adrien et des Antonin, la liberté d'accuser, combinée derechef avec le danger de calomnier, ne cessa-t-elle pas d'être pernicieuse? Ne devint-eile pas plutôt aussi salutaire, aussi protectrice qu'elle l'avait été jadis dans les beaux jours de la vertu républicaine? Non, tant qu'il y aura une loi au-dessus du prince, la liberté des accusations ne sera d'aucun danger pour l'innocence.....

Je vais maintenant expliquer, en peu de mots, ma pensée sur la liberté des accusations, considérée relativement à nos mœurs actuelles. Pour quiconque aime à réfléchir sur les gouvernements des peuples anciens, il est difficile qu'il ne se sente pas transporté souvent du vif désir de voir naturaliser dans sa patrie quelques-unes de ces belles institutions qui les honorent. Mais presque toujours aussi l'on découvre, avec chagrin, que la plupart de ces lois célèbres sont devenues impraticables et dangereuses dans leur application. J'avoue, avec douleur, que nous sommes indignes d'exercer ce premier droit du citoyen, la liberté des accusations. Nous touchons de trop près encore à ces déplorables jours où l'égoïsme avait changé la société dans une solitude affreuse, où chacun ne vovait que sa

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famille dans l'Etat, et que soi dans sa famille, pour qu'il puisse être sage de confier à chacun cette inspection mutuelle, cette censure active et inflexible qui exige tout le désintéressement, toute l'énergie, toute l'intrépidité de la vertu; car l'austère Romain qui traduisait un accusé au Forum, n'y déployait pas contre lui plus de courage qu'il n'en avait montré sur le champ de bataille contre les ennemis de la république. Et d'ailleurs le peuple, toujours si avide des nouveautés, et que les nouveautés rebutent si promptement, serait incapable encore d'apprécier l'importance et les charges du droit que vous lui avez rendu, vous le verriez presque nul entre ses mains....

Enfin mon premier et mon dernier mot sur cet article, c'est que nos mœurs sont trop mauvaises pour une aussi bonne loi. Mais si le peuple ne peut exercer aujourd'hui, par lui-même, le droit d'accusation publique, à qui donc le déléguerez-vous en son nom? En établissant que la liberté d'accuser est l'inaliénable propriété de chaque citoyen, qui a droit et qui, même dans un bon ordre de choses et dans toute espèce de gouvernement, a intérêt de l'exercer par lui-même, j'ai prouvé, ce me semble, que le droit d'accusation publique ne fait pas et ne peut pas faire partie des fonctions de la puissance exécutrice. En établissant ensuite que les inconstances particulières de nos mœurs ne permettaient pas à chaque citoyen de retenir sans péril l'exercice de ce droit, j'ai encore prouvé, ce me semble, qu'il était du moins pour lui d'une souveraine importance de déléguer cet exercice, de manière qu'il opérât le plus grand bien de tous et de chacun.

Si donc vous entendez que les commissaires du roi continueront de remplir cette grande fonction, il faut, dans le moment où vous divisez et reconstituez tous les pouvoirs, que vous commenciez par porter une loi équivalente à celle-ci : Nous, Français, après nous être dessaisis de notre droit naturel d'accuser, le déléguons au roi, pour qu'il le fasse exercer en son nom? Et voyez que d'inconséquences et de dangers dans ce peu de mots. D'abord vous violez ce principe si bien saisi par M. Thouret, et d'où résultent dans une monarchie les véritables contrepoids du pouvoir exécutif et la sauvegarde de toutes les libertés; ce principe qui veut que, dans l'exercice de ses délégations, le peuple n'abandonne pas à son représentant héréditaire ce qu'il peut confier à des représentants de son choix. Voyez ensuite sortir de là ce qui naîtra toujours d'une violation de principes, de grands inconvénients. Non seulement le citoyen pauvre perdra le droit naturel d'accuser, mais il ne connaîtra pas même celui qui l'exerce pour lui. Presque toujours son choix serait tombé sur un autre; mais trop souvent, en effet, cet irrégulier et faux représentant méritera peu d'inspirer cette confiance sans bornes, qui est pourtant le premier besoin d'une si haute fonction. Il y a toute raison d'appréhender qu'un homme nommé par le prince, qui tient son état du prince, qui attend du prince seul l'amélioration de son état, ne soit plutôt l'homme de la cour et du mi nistre, que l'homme du peuple et du citoyen. Que deviendraient et la liberté de chacun et la sûreté de tous, et la vengeance des crimes et le maintien de l'ordre, et toutes les lois constitutionnelles? Lionsnous étroitement aux principes.

Tout citoyen, par la force de l'acte qui l'a investi de ce titre, jouit du droit d'accuser. Quand il ne veut pas exercer par lui-même cette fonction, il importe à son repos de connaître celui qui l'exercera pour lui. Donc lui seul peut et doit nommer son représentant pour cette partie. Donc il faut apporter une modification à l'article même de votre comité. En effet, je ne vois pas pourquoi le comité place des intermédiaires électeurs entre le citoyen et le juge qui doit faire

pour

le citoyen la charge d'accusateur public. Tous une raison de plus de leur conserver cette qualificaLes juges, il est vrai, seront également du choix du tion qui ne dut jamais inspirer d'effroi qu'aux mepeuple; mais il n'est pas moins évident que, par ce chants, au lieu que celle de commissaires du roi, qu'ou mode d'élection, celle de l'accusateur public ne sera veut y substituer, a été si souvent la terreur de l'innopas le fruit immédiat de la confiance du peuple, et cence.... Comme chef suprême de la justice, votre qu'il est possible que les juges ne connaissent pas tou- comité a pensé que le roi ne devait pas paraître en jours entre eux celui que ses suffrages auraient pré-nom devant les tribunaux dans l'état d'une partie qui féré; je crois donc utile et conforme à vos maximes plaide; mais si ce motif est constitutionnel, il ne pare de décréter que dans les tribunaux où il y aurait deux pas à tous les inconvénients; car pour opérer la réchambres, le second ou le troisième juge élu par le génération complète de l'administration de la justice, peuple, sera, par cela seul, désigné pour vaquer votre comité vous exposait la nécessité de créer ce aux accusations criminelles. Alors vous aurez fait qu'il appelait lui-même des procureurs du roi, D'où pour chaque citoyen ce qu'il était en droit d'exiger je conclus qu'il ne considérait pas cette dénomination de lui. Vous aurez respecté ensemble et son droit na- comme abusive..... Ce n'est point comme partie deturel et le libre exercice de sa confiance. Vous lui au- vant les tribunaux que le roi parle, lorsqu'il s'agit de rez présenté un délégué qui sentira bien qu'on peut mandement de justice qu'un procureur général ne usurper pour quelque temps la confiance du peuple, pourrait donner; ce n'est plus le roi qui parle, mais mais qu'il n'est qu'une seule voie pour se la conserver son procureur général qui paraît comme partie pulongtemps, savoir de remplir ses fonctions avec zèle, blique, lorsqu'il s'agit d'exercer le ministère que le courage et impartialité. roi lui a confié, que le roi ne pourrait exercer luimême et qu'il est dans l'obligation de faire exercer. L'officier chargé par le roi de requérir l'observation des lois dans les tribunaux, et de procurer en son nom, par l'intervention des magistrats, le maintien de l'ordre, doit done, par la nature même de ses fonctions, s'appeler procureur du roi.... Il est constant que le droit d'accuser a fait jusqu'ici partie du ministère public; il est certain que, par votre décret du 8 mai dernier, vous avez statué que les officiers chargés du ministère public seront nommés par le roi. On vous propose aujourd'hui, non seulement de décomposer le ministère public et de lui enlever sa principale prérogative, mais de le priver de toute action, en ne lui attribuant que la voie de réquisition dans les procès dont les juges auront été saisis; il ne pourra donc agir ni faire aucune réquisition contre les réfractaires à la loi, que le roi est cependant chargé par la Constitution de faire exécuter et sera forcé de la voir violer impunément : c'est donc en connaissance de cause, puisque le décrét a été discuté, que l'Assemblée à attribué à l'officier qui sera nommé par le roi les fonctions du ministère public; elle a pu se réserver facilement le droit de modifier les fonctions, mais les modifier ce n'est point les anéantir.-La qualité d'accusateur public appartient essentiellement à l'officier chargé du ministère public, et c'est ce qui le constitue partie publique. Modifiez ce droit, assujettissez-le à des règles dictées par votre sagesse, mais vous ne pouvez l'anéantir, puisque vous ne pouvez détruire les articles constitutionnels que vous avez décrétés.

Enfin, et c'est un des plus singuliers avantages de la loi qu'on vous propose, par là vous fermez la seule porte peut-être par où la corruption puisse s'introduire dans votre ininistère public; par là vous enlevez aux séductions ministérielles, aux intrigues des puissances, toute action sur les fonctions des commissaires du roi, pour les rendre attentatoires à la liberté individuelle et nationale. Et n'appréhendez pas que cette distribution anéantisse cette belle magistrature, pour quiconque aura l'amour et la conscience de son état. Elle offrira toujours une vaste carrière de devoirs à remplir et d'éloges à mériter. D'après cela essaieraiton encore de jeter l'épouvante dans les esprits par d'impétueuses déclamations, et en vous criant que par vos lois le pouvoir exécutif se trouve sans nerf et sans action, que la monarchie est renversée? Je relisais naguère un petit ouvrage qui parut dans la fin des dernières querelles parlementaires, et qui était fort du goût des patriotes d'alors. Il a pour titre le Catéchisme du citoyen. L'auteur demande, au chapitre III, si la forme de la puissance exécutrice en France est simple ou composée....

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Voici sa réponse : « Elle est composée, puisqu'elle se trouve, par la constitution légale du royaume, partagée entre le roi et le sénat, que l'on nomme cour de France ou cour des pairs, par où il est évident que c'est une monarchie aristocratique. Une monarche aristocratique, quelle étrange idée! et comme aux yeux de celui qui compte pour quelque chose les droits des hommes, ces deux mots doivent être étonnés de leur rapprochement! Mais vous avez dissous cet alliage monstrueux d'une autorité légitime Un de MM. les secrétaires fait lecture d'une lettre et d'une autorité usurpatrice; mais vous avez heu- de M. Montmorin; ce ministre se plaint à l'Assemblée reusement développé l'idée grande et simple que de ce que la municipalité de Montauban s'est permis d'Argenson mit en fermentation, il y a 25 années, l'al-d'intercepter un paquet important envoyé par l'amliance de la démocratie et de la royauté, le peuple et le trône. Conçoit-on, dans la nature, deux moyens dont la réunion puisse opérer à la fois plus de véritable force, plus de gloire et de bonheur?

Le peuple et le trône, c'est avec eux que Lycurgue est parvenu à faire la plus belle constitution qui puisse jamais gouverner une petite famille; c'est uniquement avec le peuple et le trone que vous aurez fait la plus belle constitution qui puisse régir un vaste empire. Mon avis est que l'accusateur public soit nommé par le peuple.

Lassadeur de France à Vienne, et dans lequel étaient contenues des dépêches à M. Florida-Blanca; un autre à M. de Nunès, ambassadeur d'Espagne; et un troisième à un commis des affaires étrangères. Le ministre observe qu'il croit inutile de faire remarquer à l'Assemblée tout le danger d'une pareille conduite.

On donne lecture d'une lettre des officiers du Chatelet de Paris. La compagnie a vu avec la plus grande peine que l'on avait inséré, dans le Journal de Paris du 8, un arrêté sur les événements des 5 et 6 octobre dernier, comme émané de ce tribunal. La compagnie, M. DREVON Dans le premier plan que vous pré-justement indignée de cette conduite, fait connaître senta votre comité de constitution, au mois de dé-à l'Assemblée qu'elle n'a aucunement participé à cette cembre dernier, il confirmait aux officiers chargés du publicité, et que le procureur du roi ayant porté ministère public, la dénomination de procureurs du plainte, elle a ordonné qu'il en serait informé. roi, mais il en confiait le choix au peuple. D'après votre décret, ce choix appartient au roi; faut-il en conclure que ces fonctionnaires publics ne doivent plus porter le nom de procureurs du roi ? N'est-ce pas

M. le président annonce que la commune de Paris et le comité des recherches de cette ville demandent à être entendus à la barre à la séance de mardi soir. L'Assemblée décide qu'ils seront admis.

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