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De Bruxelles, & 16 juillet. - Le chargé d'affaires de France, M. Ruelles, après avoir été plusieurs fois insulté par le peuple, s'est vu assiéger dans sa maison par une troupe de volontaires armés ; sa porte a été brisée. Il a été saisi et conduit dans un couvent qui lui sert de prison. Les armes de France ont été arrachées. Voilà les suites des dispositions que l'on a faites pour rendre ici le nom français odieux. Tous ceux de cette nation qui se trouvent en Brabant sont observés et soumis à la plus rigoureuse inquisition de police. Le congrès, qui ne se croit pas à l'abri de tout reproche dans une violation aussi manifeste du droit des gens, sans doute permis à l'Ami des Belges et à l'auteur de la Gazette de Bruxelles, non pas de justifier, mais d'expliquer la conduite que l'on a tenue envers M. Ruelles. Voici comme on s'exprime dans ces papiers: « Ce personnage insignifiant s'avisait depuis quelque temps de prêcher en public une doctrine contraire à la tranquillité générale; il méprisait ouvertement les états, le congrès, le magistrat, les comités; aucune autorité n'était respectée par ce personnage qui, de plus, entretenait avec les ennemis de l'Etat une correspondance suspecte; c'était un espion dangereux qui s'est fait arrêter, après avoir épuisé la patience de la police.... D'ailleurs, poursuit-on, M. Ruelles n'était avoué ni directement, ni indirectement par la cour de France, etc. »

L'on vient de rendre de nouveaux honneurs à M. Henri-Charles Van-der-Noot. Hier 14 était le jour de sa fête. Un peuple immense s'est rassemblé pour voir passer un nombreux cortége. Un détachement de dragons volontaires à cheval ouvrait la marche. Venait ensuite une troupe de femmes vêtues de blanc; elles étaient suivies par les corps de métiers. Ces divisions étaient mêlées de groupes d'enfants, dont chacun portait au bras un petit écusson, orné d'une devise relative aux services rendus à la patrie. Alors s'avançait un char de triomphe, trainé par des chevaux chargés de plumes et richement équipés. Le postillon du char était une jeune fille habillée de blanc et représentant la Renommée, avec des ailes et une trompette.

D'autres jeunes filles parées, portant aussi des devises, montaient le char triomphal et y formaient un groupe duquel s'élevait un enfant qui tenait un carquois avec des flèches et représentait l'Amour. Mais dans cette fête poétique, le sacré s'est mêlé au profane. De jeunes filles encore représentaient, l'une la Religion, une autre la Vierge; et elles tenaient un vase rempli de fleurs. La marche était fermée par les volontaires et les chasseurs. Une autre commençait, toute en l'honneur de M. Van-der-Noot. De jeunes filles encore montaient un autre char à 6 chevaux, sur lequel on voyait le portrait du libérateur, peint par M. Heyrens, peintre du roi de Suède. Chacune de ces actrices avait au bras une devise tirée de la sainte Ecriture.... Cette longue cérémonie, malgré la pluie et les boues, a vivement occupé l'attention de toute la ville. Le soir on a allumé des feux aux portes de toutes les maisons, et les cris de vive Van-der-Noot! ont duré toute la nuit.... On donne aujourd'hui, au spectacle, Guillaume Tell avec la Récompense patriotique : le libérateur doit s'y rendre et s'y voir

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Deuxième année de la Liberté.

repoussés en plusieurs attaques et délogés de quelques postes. Les batteries placées et déplacées, tant d'hommes tués ou blessés d'un côté, et tant de l'autre ; c'est tout ce que l'on apprend. Une lettre particulière d'un officier de l'armée, datée d'Andenne du 13, parle d'un combat qui avait duré depuis 3 heures du matin jusqu'à 7 heures du soir, et où les volontaires se sont bien montrés.-La désertion continue dans les troupes autrichiennes 46 déserteurs, dont plusieurs sont des dragons de Wurmser, viennent de passer du côté des Brabançons. GENÈVE.

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Du 18 juillet. L'article Genève, dans le Moniteur, numéro 191, demande, Monsieur, d'être relevé. Le prétendu Français, effectivement maire du GrandSaconex, n'est cependant autre chose qu'un citoyen de Genève, qui est un des fougueux mécontents de la Constitution. La motion qu'il prétend avoir faite dans le club dont il est membre, a attiré contre lui la haine de presque tous ses compatriotes. Il est cependant certain que ses menées antipatriotiques avaient réveillé l'attention du gouvernement pour la journée du 14 juillet; et en conséquence les ordres qu'il a donnés pour maintenir la tranquillité, ont empêché l'insurrection qu'on avait lieu de craindre, et tout s'est passé tranquillement dans cette ville. Les Français patriotes, qui demeurent ici, ont célébré la fête par un souper joyeux, hors de la ville, accompagné de la musique et d'un bruit de guerre, qui s'est prolongé jusqu'au jour, au contentement et à la satisfaction de tous ceux qui ont assisté à cette fête patriotique.

On a célébré la journée du 14 juillet dans nos environs la ville de Gex s'y est distinguée. Les Génevois out remarqué avec plaisir un tableau représentant un aigle, portant au bec d'un geai un épi de blé, faisant allusion à la république, qui a nourri en dernier | lieu Gex et ses villages.

LIVRES NOUVEAUX.

Les Châteaux en Espagne, comédie en cinq actes et en vers, par M. Colin d'Arleville, représentée pour la première fois au théâtre Français, le 20 février 1789, et à Versailles devant LEURS MAJESTÉS le 20 mars suivant, avec cette épigraphe :

Quel esprit ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne?
Picrochole, Pyrrhus, la laitiere, enfin tous,
Autant les sages que les fous,

Chacun songe en veillant; il n'est rien de pfus doux.
LA FONTAINE.

A Paris, chez MM. Moutard, imprimeur-libraire, rue des Mathurins, hôtel de Cluni, et Desenne, libraire au Palais Royal. Prix: 30 sous.

ARTS. GRAVURES.

Portraits de MM. E.-M.-M.-P. Fréteau, député du bailliage de Melun à l'Assemblée nationale; M.-P.-J.-R.-Y.-G. Mothier de Lafayette, député d'Auvergne à l'Assemblée nationale; Honoré-Gabriel de Mirabeau, député de la sénéchaussée d'Aix à l'Assemblée nationale; dessinés par M. J. Guérin, et gravés par M. Fiesinger. A Paris, chez l'auteur, quai des Augustins, n° 72, au troisième.

MÉLANGES.

Lettre à M. le curé de Saint-André-des-Arts, 14 juillet. Vous avez fait insérer, Monsieur, dans le Moniteur da 13 juillet, une lettre infiniment pressante, pour prouver 27

que ce n'était ni au grand aumônier de France, ni à l'aumônier général de la garde nationale parisienne, mais au plus ancien des curés de Paris, que devait être déféré l'honneur de faire la cérémonie du 14. Je ne suis point étonné de la chaleur avec laquelle vous avez plaidė la cause de MM. les curés de Paris, vos collègues; mais s'il fallait maintenant s'étonner de quelque chose, ce serait de l'attaque bien injuste que vous livrez à cette occasion a vos anciens collègues les représentants de la commune. Il est à propos que je rappelle ici les propres termes que vous employez, lorsque vous voulez écarter de la cérémonie du 14 l'aumônier général de la garde nationale parisienne. « Ce n'est que depuis quelques jours, dites-vous, que j'entends parler de cet aumônier. Il n'a été nommé ni par les sections, ni par les bataillons: c'est peut-être encore une de ces places que les représentants de la commune ont créées pour y nommer un de leurs collègues; c'est encore une de ces places qui n'ont aucune fonction réelle ou utile, auxquelles il faudra des appointements. >>

Dans ces trois phrases, Monsieur, il n'y a pas un seul mot qui ne me confonde d'étonnement. Vous dites « que ce n'est que depuis quelques jours que vous entendez parler de l'aumônier général de la garde nationale parisienne; » et vous étiez représentant de la commune, lorsqu'il a été nommé; vous avez même concouru à sa nomination. Vous parlez d'appointements; et l'arrêté qui est du 13 septembre porte formellement que les fonctions de cette place seront à jamais gratuites. - Vous dites que « les représentants de la commune ont créé des places pour y nommer leurs collègues; » et M. l'abbé de Saint-Martin, conseiller au Châtelet, est le seul représentant de la commune que l'assemblée se soit permis de nommer à une place; et cette place était sans appointements. Vous devez savoir d'ailleurs, Monsieur, que d'abord l'assemblée n'a jamais créé de place que d'après le vœen des districts, ou d'après celui du comité militaire, ou enfin d'après celui de M. le commandant général. Vous devez savoir aussi qu'elle n'a jamais nommé et qu'elle s'est prescrit la règle de ne nommer à aucune place que sur la présentation de M. le commandant général, on du comité militaire. Et si votre district, rendant hommage à vos talents et à votre zèle, eût renouvelé vos pouvoirs le 18 septembre dernier, vous auriez vu par vous-même que l'assemblée ne s'est jamais écartée de la loi qu'elle s'était faite. Voilà, Monsieur, les observations que j'avais à vous présenter ; j'en ai fait part à l'assemblée le jour même où votre lettre a parn, en lui déclarant en même temps que je ne lui proposais pas de prendre un parti sur cette lettre, parce qu'il y avait des choses trop claires et trop peu importantes pour être l'objet d'une discussion. L'assemblée l'a jugé de même. Mais elle a reconnu, et le public a hautement reconnu avec elle la vérité de mes observations.

supériortte nécessaire, je vous dirais: Revenez sur vos décrets; anéantissez 83 départements, supérieurs de 540 districts; anéantissez ces districts, supérieurs de 40,000 municipalités; je dirais davantage: Armez-vous contre vous-mêmes, détruisez cette Assemblée, qui renferme tous les pouvoirs réunis, qui est supérieure à tous les pouvoirs séparés. Voyons maintenant si la 11berté est plus exposée que l'égalité. Si l'on adopte des tribunaux supérieurs, on craint que cette supériorité ne donne à ces corps les moyens d'attenter à la liberté. Si ces tribunaux se livraient à des projets funestes, n'aurait-on pas, pour les arrêter, les municipalités, les districts, les départements, la haute cour nationale et le corps législatif? Dites-moi que ces remparts, qui environnent ces tribunaux, sont insuffisants pour garantir la liberté, et je serai en droit de vous répondre que la liberté n'est qu'une chimère....

Vos décrets portent qu'il y aura deux degrés de juridiction: or, en adoptant la motion de M. Chabroud, vous attaqueriez ces décrets; en faisant porter l'appel au tribunal de même nature, il n'y a plus deux degrés de juridiction. Cette expression degré emporte des idées de comparaison, de supériorité et d'inferiorité... (Ici l'Assemblée est interrompue par un bruit de musique militaire, et par celui d'un commandement d'évolutions.) Pour déterminer l'étendue de compétence à donner aux tribunaux... (Le bruit redouble; il s'y mêle des acclamations et des cris répétés de vive l'Assemblée nationale!)

On annonce que les députés des gardes nationales du département du Mont-Jura, prêts à partir de Paris, sont rassemblés sur la terrasse des Tuileries.

M. ELBECO: Je demande qu'on envoie aux députés des gardes nationales du Mont-Jura une députation de deux membres, pour leur témoigner la sensibilité de l'Assemblée nationale aux honneurs qu'ils lui rendent.

M. LE PRÉSIDENT: Ces députés demandent à paraître un moment devant l'Assemblée.

Après quelques moments de délibération, l'Assemblée arrête qu'ils seront reçus, s'ils se présentent.

Un huissier est envoyé pour les en prévenir; ils s'étaient déjà retirés.

M. IRLAND: Sous tous les rapports, on ne peut admettre que les tribunaux de district soient juges en dernier ressort les uns des autres. Ces juges ne seraient pas assez instruits pour les causes importantes

GODARD, ancien président de l'assemblée des qui leur seraient portées par appel; il ne faut pas exreprésentants de la commune.

BULLETIN

DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

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SUITE DE LA SÉANCE DU VEndredi 23 JUILLET ET DE
LA DISCUSSION SUR L'ORDRE JUDICIAIRE.
M. IRLAND: M. Chabroud, en vous proposant de
décréter que les juges de district seront juges d'appel
à l'égard les uns des autres, a exposé plusieurs rai-
sons principales, qu'il est nécessaire d'examiner. Il
regarde la supériorité d'un tribunal sur un autre,
comme incompatible avec l'égalité, base essentielle
de la Constitution. Mais l'Assemblée nationale n'a-
t-elle pas la supériorité sur tous les corps administra-
tifs, les départements sur les districts, les districts sur
les municipalités? Ainsi donc la Constitution ne peut
reconnaître d'une manière plus évidente la nécessité
d'avoir des corps supérieurs à d'autres corps.

Comment penser qu'il doit en être autrement à l'égard des tribunaux? Tous les citoyens étant également appelés aux fonctions judiciaires, tous les juges devant être choisis par le peuple, ils seront égaux, et la supériorité de corps n'entraînera point la superiorité d'individus. Si vous vous décidiez à rejeter une

poser l'honneur, l'état et la vie des Français à l'inexpérience des juges: l'expérience est une partie essentielle de l'art de juger... Je pense donc que la motion de M. Chabroud doit être rejetée, et le plan du comité adopté. Il assure également l'équité, la célérité du jugement, et il offre des économies considerables.

-M. Bailly, maire de Paris, se présente à la barre: on demande qu'il parle à la tribune. Il y monte; une grande partie de l'Assemblée applaudit, ainsi que les spectateurs.

M. BAILLY: Je suis chargé de soumettre à l'Assemblée une difficulté qui ne prendra pas un temps considérable sur ses délibérations. Vous savez l'accident arrivé dimanche dernier. Plusieurs personnes ont péri en traversant la Seine dans un batelet. Parmi elles sont deux députés des gardes nationales confédérées. Leurs corps ont été retrouvés sur le territoire de la municipalité de Passy. La municipalité de Paris a dé cidé qu'elle se chargerait de leurs obsèques, pour leur rendre les honneurs qu'elle doit à des frères, et que soient dignes de ses regrets. La municipalité de Passy n'est pas disposée à rendre les corps: elle nous a proposé de nous transporter chez elle. Ma mission a pour objet de demander à l'Assemblée si elle enverra une députation à cette cérémonie, si la municipalité de Paris doit se rendre à Passy, ce qu'elle ferait avec empres sement, ou si celle de Passy doit se rendre à Paris.

M. LANJUINAIS : C'est dans les lieux où les corps ont été trouvés, que les députés sont censés être morts; c'est là, en suivant tous les principes, que l'inhumation doit se faire.

M. DELLAY: M. le maire de Paris a pénétré nos sentiments d'amour et de fraternité pour nos frères d'armes, et la proposition qu'il fait d'envoyer une depu tation aux obsèques de ceux que nous avons eu le mal heur de perdre, ne trouvera point ici de contradicteurs. M. MARTINEAU : Les corps trouvés à Passy doivent être transportés à Paris. C'est ici que les deux confédérés ont péri, puisqu'ils assistaient à une fête don née par la ville de Paris; ils avaient un domicile de mission à l'hôtel-de-ville de Paris. Dans la règle générale, la famille est autorisée à réclamer les corps en payant un droit au curé; ceux des deux confédérés appartiennent a la ville de Paris; elle les réclame, ils doivent lui être remis.

M. BAILLY: La ville de Paris est jalouse de rendre les derniers honneurs à ses frères d'armes; je suis chargé d'ordonner leurs obsèques, mais je ne doute pas que la municipalité de París ne se rende avec empressement à Passy, et qu'elle ne s'estime heureuse de donner ce premier exemple de fraternité.

M. VILAS: Je demande que les corps soient transportés à Paris. Ces deux confédérés sont les seuls enfants du maire d'Aurillac, homme respectable, qui mourra peut-être de douleur; tout notre département est plongé dans le deuil; il faut que les obsèques se fassent à Paris, afin que la députation entière du département du Cantal puisse s'y rendre.

M. BAILLY: Comme les honneurs qu'on rendra à nos deux frères d'armes, seront les mêmes à Passy qu'à Paris, je demande la priorité pour ma motion. Cette priorité est accordée.

L'Assemblée décrète, avec un assentiment général, qu'une députation de douze membres se rendra à Passy pour assister aux obsèques des deux confédérés. -Il est convenu que tous les députés du département du Cantal s'y rendront également.

que des juges plus éloignés, également choisis par le peuple, et que les juges de district sont dans la véritable position pour porter de bons jugements. Maintenant quel est le but de l'appel? C'est la faculté accordée à un plaideur de faire examiner de nouveau son procès par des juges aux lumières desquels il accorde plus de confiance. Pensez-vous que cette faculté d'appeier sera remplie d'une manière plus avantageuse à la confiance, lorsqu'au lieu de laisser aux plaideurs, dans une certaine latitude, la satisfaction de choisir leurs seconds juges, vous les obligerez à être rejugés forcément par un tribunal exclusif? Après avoir banni les priviléges, ne les conserveriez-vous que dans l'ordre judiciaire, et pensez-vous qu'il soit moins essentiel au bonheur public de laisser au plaideur, déjà si malheureux, la précieuse liberté du choix dans les cas d'appel, que ne l'eût été l'abolition de tant d'entraves dont la France vous doit la suppression? L'on peut appliquer ici l'exemple de ces marchands exclusifs d'une denrée nécessaire, qui, sous le prétexte de vous la procurer plus saine, vous forçaient à la prendre bonne ou mauvaise, et souvent mêlée de tout ce qui pouvait en enchérir l'achat, sans en augmenter le prix apparent et réel. Maintenant le citoyen est libre de choisir son magasin et sa marchandise, et vous avez décrété que rien ne pouvait compenser l'avantage de cette liberté, à laquelle vous avez sacrifié une partie importante des revenus publics. Portez dans l'ordre judiciaire la même liberté, et deux biens en résulteront nécessairement; le premier, c'est qu'au lieu de ces avenues longues, obscures, ruineuses, qu'il fallait nécessairement traverser avant d'arriver à son juge, et que les riches seuls pouvaient franchir; au lieu de cet abord dur, insolent, surtout vis-à-vis du pauvre, qu'offraient si souvent les procureurs, avocats et juges, aux malheureux condamnés à les solliciter, leur verrez succéder dans tous les tribunaux des gens de loi obligés de se concilier et de mériter la confiance de leurs clients, et qui deviendront nécessairement plus scrupuleux, plus exacts, moins ruineux.

VOUS

Le second bien, c'est qu'occupés à bien remplir -On reprend la discussion sur l'ordre judiciaire. leurs fonctions, puisque leurs intérêts tiennent à leur M. PIERRE DEDELAY: L'appel d'un tribunal de dis- réputation, ils dirigeront toutes leurs facultés vers ce trict au tribunal d'un district voisin, rencontrera de grand but, et seront moins susceptibles de cet esprit puissants adversaires: 1° les habitants des grandes d'ambition et de domination, qui porte toujours les villes, qui regardent comme une espèce de propriété hommes à opprimer ceux qu'ils n'ont pas intérêt de faisant partie de la suprématie dont se glorifient leurs ménager. Il est essentiel, je pense, de montrer aussi cités, la fixation dans leur sein de tous les grands éta- à ceux qui tiennent encore aux avantages prétendus blissements; 2° ceux qui, sans intérêt particulier, des hiérarchies, et dont la confiance ne peut se fixer tiennent encore fortement à toutes les idées d'hiérar- sur les officiers publics, décorés d'un titre et d'un apchie; 3° ceux qui ne peuvent concevoir la possibilité pareil plus imposant, que dans les jugements et les des lumières de l'instruction, qu'ont certaines castes appels, le juge de district et le juge d'une cour supéfavorisées; 4o enfin, ceux qui, sans bien démêler les rieure ne devant jamais que constater un fait et y apsentiments qui les dirigent, sans avoir même de pré-pliquer la loi, le juge supérieur s'en occupe souvent tentions bien directes aux places importantes atta- avec infiniment moins de sollicitude, parce que, plus chées aux grands tribunaux, envisagent cependant la environné d'objets de distraction, et comptant presque possibilité de disposer ou d'obtenir ces places comme toujours usurper sur le travail des sous-ordres, il parun avantage qu'ils veulent conserver. Au milieu de tage sa pensée entre ce qu'il aperçoit par lui-même tant d'obstacles, que reste-t-il à faire? Une seule et ce que lui fait apercevoir celui qui, pour ainsi dire, chose: bien démontrer l'utilité générale du projet qui prépare son opinion. C'est un malheur inséparable de vous est soumis, et pour cela commençons par nous tous les ordres émanés du pouvoir exécutif; ces orformer une juste idée d'un jugement et du but de l'ap- dres sont rarement le résultat essentiel de la pensée pel. Un jugement est l'application de la loi à un fait de celui qui est censé les donner; mais l'unité d'action constaté; cette opération étant la seule que l'on puisse nécessaire à la marche toujours active de ce pouvoir, permettre au juge, le juge le plus près du lieu où s'est ne permet pas de remède à cet abus. Il n'en est pas de passé le fait, est donc celui qui, par sa position, est le même pour les juges: si cet abus existait dans les plus en état de le bien constater. Or, rien ne peut nous anciens grands tribunaux, où le secrétaire dictait si faire présumer que le juge le plus à portée de consta- souvent au juge son opinion; si nous devons crainter le fait, soit le moins en état d'y appliquer la loi dre de le voir se rétablir dans les cours supérieures Les premiers jugements rendus chez tous les peuples proposées par le comité, il est possible de le prévenir du monde, l'ont certainement été par les voisins et les en supprimant ces grands corps, qui ne sont point esproches. Nous devons donc regarder comme démon-sentiels à la constitution judiciaire. Le juge attaché à tré qu'à égalité d'impartialité, les juges de district des fonctions publiques est provoqué par les citoyens, choisis par le peuple sont plus à même de bien juger il n'a pas besoin d'autre moteur, aucune unité d'ac

tion n'est nécessaire; chaque opération d'un juge est isolée de l'opération du juge d'un autre tribunal; ainsi nulle nécessité à gémir sur un abus que la nature même des choses ne rend pas indispensable à l'ordre judiciaire, comme dans le pouvoir exécutif. Eh! si vous craignez pour un juge de district continuellement sous les yeux de ses voisins, qui connaissent jusqu'à son intérieur, qui peuvent à chaque instant, et pendant toute sa vie, lui reprocher une négligence où la faiblesse d'avoir cédé à l'intrigue; si vous craignez, dis-je, que ce frein si puissant de l'opinion de ceux avec qui nous sommes forcés de vivre ne puisse le contenir, que ne devez-vous pas craindre d'un juge d'une cour supérieure éloignée, qui voit disparaître du lieu qu'il habite, aussitôt après le jugement, les victimes de son insouciance ou de son crime; et qui est assuré d'une espèce d'impunité, parce qu'il ne craint plus la présence et les réclamations journalières du malheureux, qui est forcé de reporter dans ses foyers son inutile désespoir!

Je pense donc que, sous quelque point de vue que l'on considère les choses, un bon juge de district, tout entier à votre affaire, en l'examinant lui-même, est bien préférable à un juge de cour supérieure, distrait par la multiplicité des devoirs et accessoires de sa place, et s'en reposant souvent sur des sous-ordres. Ainsi je vois dans l'appel au district voisin l'avantage de l'appel très bien rempli. Je vois surtout disparaltre par cette forme de procéder, les cours supérieures, dont la prépondérance, toujours croissante, quelles que soient les entraves dont vous les entourerez, doit sans cesse alarmer les amis de la liberté. Ces cours supérieures, fortes de l'état de servitude où les tribunaux de district ne manqueront pas de tomber sous leur régime, finiront par être, dans l'Etat et au milieu d'une Constitution qui a voulu séparer tous les pouvoirs, des corps intermédiaires participant à tous ces pouvoirs, commandant à l'opinion, et sous l'égide du respect que les peuples leur porteront bientôt exclusivement, feront de continuels efforts pour étendre leurs prérogatives. De très humbles pétitions seront d'abord mises en avant, bientôt ils seront consultés; peut-être même un jour tolérera-t-on une espèce d'initiative en écoutant leurs représentations, en délibérant même sur leurs propositions. De là il n'est qu'un pas vers l'asservissement; car dès que ces corps auront obtenu une préponderance suffisante, tous les abus de l'ancien régime reparaîtront peu à peu. Tremblez donc de perdre un jour une liberté si difficile à recouvrer, et que vos précautions, poussées jusqu'au scrupule, avertissent vos descendants de celles qu'ils doivent prendre eux-mêmes. N'admettez aucun établissement qui ne présente pas une nécessité absolue, car tout rouage dont on n'aperçoit pas une nécessité absolue, est une pièce hors d'œuvre qui complique la machine et hâte sa ruine. Les cours supérieures sont dans ce cas elles peuvent être suppléées par le mode d'appel au district voisin; donc elles sont inutiles, et conséquemment nuisibles. Le mode d'appel au district voisin ne vous présente rien d'alarmant; 540 tribunaux, tous égaux en considération, en fonction, continuellement contenus, stimulés les uns par les autres, roulant d'un mouvement égal, uniforme, présentent une belle simplicité d'action et de réaction digne de la plus belle Constitution. Cette simplicité doit réunir tous les suffrages, lorsqu'aux avantages déjà présentés elle en offre de plus précieux encore, celui des justiciables également traités, quant à l'éloignement de leurs juges; celui de la grande égalité dans l'instruction des juges, bien préférable à l'ineptie des premiers juges, si rarement réparée par la prétendue science des grands tribunaux; celui d'assurer à tous les juges nommés par le peuple une égalité de respect et de considération, qui fera germer dans leurs âmes toutes

les vertus; celui de propager, de maintenir de district à district, cet esprit de concorde et de fraternité, si essentiel au bien général de toutes les parties de l'empire; celui enfin d'augmenter la population, en la répartissant plus également; avantage toujours suivi d'une augmentation très active dans l'industrie, dans cette industrie si précieuse, qui vivifie les empires, lorsqu'elle est appelée et disséminée également sur toutes les parties, tandis qu'elle les conduit à leur ruine, des que, seulement accaparée dans certains points, elle y prend le caractère corrupteur du luxe.

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M. BRILLAT-SAVARIN (1): Si vous adoptez des tribunaux supérieurs dont le ressort sera de quatre départements, vous exposerez les plaideurs à des voyages considérables pour des objets de peu d'importance; vous ferez l'avantage des grandes villes seules. Mais pourquoi les petites ne le partageraient-elles pas? Les villes sont des centres de mouvements qui vivifient tout autour d'elles; il est bon de multiplier cette action vivifiante. Un inconvénient majeur du plan du comité, c'est la supériorité des juges d'appel sur les juges de district; ils doivent être tous égaux par vos décrets; mais les premiers se diront: Un juge de district a rendu une sentence, il est obligé de reconnaître notre puissance, sa décision peut être anéantie par nous; nous sommes au-dessus de lui. Il résultera de ces colloques intérieurs, que bientôt l'inégalité de fait succédera à l'égalité de droit. La tyrannie des parlements venait moins de la part qu'ils prenaient à l'administration et à la législation, que de leur supériorité judiciaire. Les regards d'un parlementaire disaient au citoyen: Incline-toi devant moi, ou crains que je ne sois ton juge. Les tribunaux de départements sont des parlements déguisés. Craignez le retour de la chose, si vous ne proscrivez réellement le mot. Je ne rappellerai pas comment de simples clercs étaient parvenus à usurper une haute puissance; mais pour peindre d'un trait ce qu'étaient les parlements, je rappellerai qu'au mois de novembre 1789, quand vous les avez paralysés par un décret plein de sagesse, pas une voix ne s'est élevée en leur faveur, pas une main ne s'est avancée pour arrêter la chute des idoles, que si longtemps la crainte avait fait encenser.

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La motion de M. Chabroud évite la naissance de cette puissance dangereuse, et présente de grands avantages. L'égalité sera pour jamais maintenue; le citoyen attaqué dans quelques-uns de ses droits, pourra se défendre sans se ruiner, instruire ses gens d'affaires sans voyager; l'argent porté dans les petites villes refluera facilement dans les campagnes, et la justice au lieu d'être un torrent rapide qui rongeait les bords, deviendra un fleuve tranquille, répandant également son limon salutaire sur toute la surface du royaume. Vous aurez excité une émulation nécessaire, une émulation de propriété entre les électeurs, les gens de loi et les juges. Les plaideurs iront chercher le tribunal le plus integre et le plus éclairé. Celui où ils seront mal jugés ou mal servis, sera désert. Ainsi vous ferez cesser les plaintes sans cesse renouvelées contre la justice, puisque pour leur intérêt même ses jection spécieuse que l'on ait faite à ce plan, c'est que suppôts seront devenus honnêtes gens. La seule obdans un tribunal de même nature, une seconde épreuve sont l'espoir qu'a le plaideur que les moyens présentés pourra n'être pas plus heureuse. Les motifs de l'appel le délai qu'il obtient pour rassembler de nouveaux en première instance feront une meilleure fortune, et moyens ou pour recouvrer ses preuves. Le tribunal de district serait composé de cinq juges; les jugements en première instance, rendus par trois juges, et par

(1) Brillat-Savarin, avocat au bailliage de Bugey, est le spirituel auteur de la Physiologie du goût. Il a parcouru une carrière honorable dans la magistrature. L. G.

cinq en cause d'appel. Les deux juges qui ne seraient point occupés dans les causes en première instance, feraient l'instruction des procès civils et criminels; on pourrait avoir encore des suppléants ou adopter tous autres moyens propres à augmenter le nombre des juges d'appel.

Le comité propose des tribunaux supérieurs de huit juges, qui se diviseraient en deux chambres; ainsi les jugements seraient rendus par quatre juges. Examinons laquelle de ces deux formations conduira à de meilleures décisions. Dans le tribunal du comité, il y aura, dans le jugement, trois opinions certaines et une opinion présumée; avec cinq juges, trois opinions certaines et deux opinions présumées; ce qui présente nécessairement plus de confiance. On a dit que les tribunaux de district, devenus tribunaux d'appel, ne seraient pas assez instruits pour les grandes causes. Cette assertion tient plus à la mémoire du passé qu'à la prévoyance de l'avenir. D'où partaient les embarras et les difficultés des affaires? Des matières bénéficiales, que vous avez réduites à la simplicité apostolique; des droits féodaux, des dîmes, du retrait lignager que vous avez abolis, et surtout des substitutions qui n'échapperont pas à votre sollicitude. Les questions désormais n'auront pour objet que des conventions simples, et exigeront plus souvent un jugement sûr, que de grandes études et une longue expérience. Qu'ont produit les lumières des grandes villes? Pas autre chose que les petits moyens, que les ruses de la chicane. On quitte ses affaires; on se transporte à grands frais dans le lieu du siége du tribunal supérieur; on obtient un jugement, et les deux parties ruinées reviennent sur leurs foyers après n'avoir trouvé que des regrets. C'est l'intérêt seul de vingt villes, qui se croient faites pour obtenir la préférence sur tout le reste du royaume; c'est une centaine d'officiers ministériels, redoutant de voir mettre des barrières à leur cupidité, qui sollicitent l'établissement des tribunaux supérieurs. On se laisse encore conduire par cette vieille erreur, que les justiciables sont faits pour la justice, et non la justice pour eux. J'adopte le plan de M. Chabroud dans son entier.

(Une partie de l'Assemblée applaudit à ce discours, que des applaudissemens ont déjà souventinterrompu.) M. PRUGNON C'est avec une juste défiance que je me présente pour combattre un projet, qui, si l'on en croit son auteur et ses défenseurs, va répandre l'abondance et la prospérité sur le royaume. Mais dans le plus beau diamant il est permis d'apercevoir quelques taches, et sans être grand lapidaire, j'en vois beaucoup dans celui de M. Chabroud. En écartant pour un moment le talent du metteur en œuvre, examinons le brillant nu. Adopter le plan de M. Chabroud, c'est anéantir l'appel en décrétant qu'il y aura lieu à l'appel, vous avez voulu faire juger de nouveau l'affaire par un juge réputé plus instruit, et sans intérêt à confirmer la sentence. L'appel est un appui donné au plaideur contre l'erreur ou l'injustice du premier juge. Votre objet serait absolument manqué. Il se ferait une alliance tacite entre les tribunaux de district, pour confirmer respectivement leurs jugements. L'une des parties désirerait tel ou tel tribunal, l'autre partie consentirait à ce que l'affaire fût portée au tribunal désigné, ou bien le sort en déciderait, tel est le projet. Examinons ce tribunal d'appel. Il serait juge en première instance, présidial pour l'appel des jugements de juges de paix, et tribunal supérieur pour l'appel des sentences des tribunaux de district: ainsi il réunirait tous les pouvoirs judiciaires. Ainsi vous auriez établi le despotisme judiciaire. (II s'élève des murmures.) Supposons trois districts, dont l'un s'appelle Paul, l'autre Pierre et l'autre Jean. Pierre est réformé par Paul, Paul par Jean et Jean par Pierre.

Si le jugement de Paul est infirmé, il se trouve humilié d'être réformé par son égal. Qu'arrivera-t-il? Pierre, Paul et Jean conviendront de confirmer respectivement leurs jugements; ainsi le circulaire sera le mot, et la réciprocité la chose. (On murmure.) Ainsi tous les juges étant élevés à la qualité de juges d'appel, tous les jugements seraient confirmés : la liberté civile et la liberté individuelle seraient com promises. Quand on renvoyait d'un parlement à un autre parlement, l'arrêt était toujours maintenu, Chacun de ces corps voyait son honneur intéressé au jugement rendu par l'un d'eux, et ici les tribunaux de district auraient bientôt un esprit de corps. L'appel serait un second jugement où toutes les chances se trouveraient contre la bonne foi. On appellerait du tribunal de la ville principale, au tribunal de district d'un village, c'est-à-dire d'un juge plus instruit à un juge moins instruit. A quelles mains abandonneriezvous, en dernier ressort, l'honneur et la fortune des citoyens? Vous les livreriez à l'inexpérience et souvent à quelque chose de pis. Quels juges trouverezvous dans un arrondissement restreint, où l'on aura déjà pris des administrateurs de district et de département, des officiers municipaux, des juges de paix? Les gens capables changeront-ils un état certain pour un état précaire? Quelle diversité de jurisprudence n'allez-vous pas introduire! Il y aura des réputations de tribunaux comme il y a des réputations d'individus: on saura que tel tribunal juge telle question de telle manière. Les enquêtes n'avaient-elles pas une jurisprudence opposée à celle de la grand'chambre? Vos districts seront-ils composés d'hommes ou d'anges?... L'appelant voudra saisir le tribunal qui jugera dans son sens; l'intimé sera obligé de le suivre, et de là une multitude de demandes en cassation. L'application de la loi à tous les cas, ne peut pas toujours être absolument directe, car tous les cas ne seront pas prévus par la loi. Les citoyens doivent se confier aux lois, les lois aux juges: c'est donc à des juges intègres qu'il faut livrer les jugements en dernier ressort. Je ne me permettrai pas de dire que c'est ici la cause des petites villes contre les grandes; c'est aussi la cause des juges contre le peuple qui serait à leur merci. Comptez-vous pour rien la crainte que le tribunal de district ne cède à un homme puissant, dont l'influence sera plus considérable dans une petite ville que dans une grande, tandis que cette influence serait moindre dans un tribunal supérieur dont la masse serait plus étendue? Cette crainte me touche, et si j'ai tort, l'histoire n'est qu'une longue calomnie contre le genre humain.... L'inégalité entre les juges est inévitable; vous l'avez décrété ; vous le décréterez encore. Le lé

gislateur présente au plaideur le juge d'appel comme plus digne de confiance; sans cela pourquoi l'appel serait-il établi? Le législateur doit donner au juge d'appel une place plus distinguée, sans cela il va contre ses vues, il contredit celles de la morale et de la raison. Le principe de l'égalité n'est pas là; il faut des échelons et des degrés. Si le juge de district dépend de son confrère, et son confrère de lui, ils seront bientôt une coalition; se réformant eux-mêmes, ils seront indifférents sur leur manière de juger, et le résultat d'une telle indifférence sera que vous n'aurez ni juge, ni défenseurs. Il ne suffit pas d'aller contre les choses établies, il faut faire mieux. Vous avez décrété qu'on serait jugé par le juge qu'on aurait élu ; cependant le plaideur en première instance, ne saura pas quel sera son juge d'appel. Un citoyen ne se déterminera à intenter une action, que parce qu'il dit:

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Si je suis mal jugé en première instance j'aurai la ressource d'un tribunal d'appel composé de magistrats intègres et éclairés, qui, ne connaissant pas les parties, ne connaîtront que la justice et la vérité. » 11 dira, dans le plan qu'on vous propose: Mon ad

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