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N° 188 bls.

Supplément à la Gazette nationale du Vendredi 2 JUILLET 1790.

MÉLANGES. Opinion de M. Necker, relativement au décret de l'Assemblée nationale, concernant les titres, les noms et les armoiries (1).

On répand que j'ai opiné dans le conseil contre l'acceptation du décret de l'Assemblée nationale, relatif aux titres, aux noms et aux armoiries. Je dois faire connaître la simple vérité. J'ai été d'avis, et avec beaucoup d'insistance, je l'avoue, que le roi, avant d'accepter le décret, envoyât des observations à l'Assemblée nationale; et comme je ne craindrai jamais la publicité de mes actions et de mes pensées, je profite de la permission du roi, en faisant imprimer ces observations, telles que j'en avais donné le projet; et je m'y détermine d'autant plus volontiers, que l'Assemblée nationale vient de charger son comité de constitution de lui proposer quelques explications sur ce même décret.

J'ai été d'avis encore que les observations fussent accompagnées d'une lettre du roi, qui aurait exprimé la disposition de S. M. à s'en rapporter aux lumières de l'Assemblée nationale; et comme cette lettre faisait partie de mon opinion, on en trouvera le projet à la suite des observations. Je puis m'être trompé, et je dois le croire, puisque mon avis n'a point été adopté; mais j'aime beaucoup mieux mettre à portée de juger clairement de mon erreur, si j'en ai commis une, que de laisser subsister un sujet vague de reproche, lequel, à la faveur de la malignité, s'étendrait chaque jour par de fausses interprétations. Je suis sûr de la pureté de mes intentions, je le suis également de mon attachement à la constitution et aux vrais intérêts du peuple, et ces sentiments, qui font ma confiance, m'inviteront toujours à la plus parfaite franchise.

NECKER.

PROJET D'OBSERVATIONS.

Lorsque le bien géneral l'exige, on est souvent obligé d'imposer des sacrifices à une classe particuière de citoyens; cependant, même à ce prix, on ne doit le faire qu'avec ménagement et circonspection, tant il est dangereux d'enfreindre, en aucun point, les droits que donne la possession, et de porter quelque atteinte aux règles ordinaires de la justice. Si telle est la rigueur des principes qui régissent l'ordre social, on ne doit pas, à plus forte raison, ordonner des privations dont il ne résulte aucun avantage réel pour personne.

Lorsqu'une des portions de la société a perdu les priviléges dont elle jouissait dans la répartition des impôts, lorsque l'étendue de ses revenus a réglé la mesure de sa contribution aux charges publiques, ces nouvelles dispositions, en portant préjudice à quelques-uns, ont favorisé le grand nombre.

Lorsqu'on a ordonné l'abolition de la partie des droits féodaux qui consistait dans une sorte de servage, et qui assujettissait à des obligations pénibles ou humiliantes la classe la plus nombreuse des citoyens, l'avantage du peuple est encore devenu le résultat des privations particulières.

Lorsque la carrière des charges et des emplois a été ouverte à tous les Français, la nation a gagné, sans doute, à la destruction des barrières qui bornaient ses espérances et son ambition, et qui circonscrivaient, dans un ordre particulier de la so

(1) Cette opinion de Necker contre l'abolition des titres et des armoiries lui enleva le reste de sa popularité. Déjà privé de la confiance du roi, et brouillé avec presque tous ses collègues, il se vit dès-lors négligé de plus en plus par l'Assemblée. Aussi, découragé, triste, épuisé d'ailleurs par le travail et les inquiétudes, il sentit qu'il n'avait plus qu'à se retirer. Pen de temps après, en effet, il donna sa démission, qui fat acceptée avec la plns humiliante in L. G.

difference.

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ciété, des prérogatives utiles et les occupations les plus enviées.

Enfin, lorsqu'en écartant toutes les distinctions, les habitants du royaume ont été appelés à concourir ensemble à la formation des assemblées nationales et législatives, une participation égale au plus précieux des droits politiques, a pris la place des ancennes disparités, et les regrets des uns ont été balacés par la satisfaction universelle des citoyens de l'empire.

C'est donc avec juste raison que ces diverses institutions ont été considérées comme des lois populaires et patriotiques.

En est-il de même du décret relatif aux titres, aux noms et aux armoiries? Il faut, pour en juger, examiner si le peuple, cette nombreuse partie de la nation, a quelque intérêt aux dispositions de la nouvelle loi. On ne l'aperçoit point; car ce n'est pas lui qui peut être jaloux des gradations honorifiques, établies au milieu des sections de la société avec lesquelles il n'a point de relations habituelles. Tous ceux en si grand nombre qui dévouent de quelque manière leur travail ou leur industrie au service des propriétaires, n'ont aucun intérêt à recevoir un safaire d'un simple particulier, plutôt que d'un homme décoré d'un titre ou de quelque autre distinction. Probablement même, si l'on consultait leur sentiment intérieur et leurs opinions irréfléchies, l'on trouverait que dans l'état où les a placés la fortune, et ne pouvant changer la nature de leurs fonctions sociales, loin d'être blessés par l'éclat des personnes auxquelles ils consacrent leurs travaux, ils se plaisent souvent à en recevoir le reflet.

C'est uniquement dans les relations particulières et sociales de la vie, que les plus petites distinctions affectent la vanité de ceux qui en sont les simples spectateurs: mais le peuple ne partage point ce sentiment, car il ne sort point de son cercle; il ne le désire jamais, et il nuírait à son bonheur, s'il avait cette prétention.

Quelle est donc la portion de la société appelée à jouir de la suppression de toutes les dénominations honorifiques? c'est uniquement celle qui, par sa fortance des hommes en possession des autres genres de tune ou par son éducation, se trouve à peu de disdistinction. Elle sera peut-être un moment satisfaite, si les petites sommités qui blessent encore sa vue, sont absolument détruites; mais pour un si léger soulagement, tout en opinion, pour un bienfait si est-il juste de priver une classe nombreuses de cicirconscrit, pour un bienfait indifférent aux sages, toyens des distinctions honorifiques qui forment une partie de leur héritage, et dont la perte doit leur être plus pénible que celle des avantages pécuniaires exigé d'eux tous les sacrifices profitables au peuple? dont ils avaient la possession? Ne suffit-il pas d'avoir Est-il généreux, est-il équitable d'en demander encore d'aut es; et les difficultés du temps présent, dont l'ensemble est bien grand, ne doivent-elles pas engager à diminuer, autant qu'il est raisonnablement possible, les soins de griefs ou les causes d'irritation?

On peut cependant sans inconvénient, et même evec les plus justes motifs, interdire la mention d'aucun titre dans toutes les assemblées nationales ou municipales; l'égalité y est nécessaire, même dans les apparences; tant il importe que l'ascendant dans ces assemblées ne soit jamais réservé qu'à la simple raison et à la confiance qu'inspirent le patriotisme et les vertus.

Il serait bien encore d'interdire toute qualificatiou honorifique sur le registre des citoyens actifs, afin de rappeler aux Français, dès le commencement de

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dégradation flétrissante n'arrête cette succession dans

son cours.

eur carrière, que, devenus égaux devant la loi, ils seront tous également soutenus dans les efforts qu'ils feront pour servir la patrie, et que c'est du Les prérogatives attachées à la noblesse peuvent titre de citoyen dont ils doivent surtout se rendre bien être rendues nulles dans un pays, par la volonté dignes mais poursuivre ensuite les distinctions jus- du législateur; mais ses décrets ne sauraient anéantir que dans les actes particuliers et jusque dans l'in- les valeurs d'opinion, comme ils ne peuvent pas non térieur de la vie civile, c'est au premier coup-d'œil plus étendre leur influence au-delà des frontières de une rigueur inutile. On ne pourrait veiller à l'exé- l'empire: ainsi les titres qui constituent la noblesse, ution d'une pareille loi dans le commerce de la so- ces titres encore en honneur chez les autres nations, ciété, sans une inquisition absolument contraire aux seront toujours un bien dont l'hérédité paraîtra préprincipes de la liberté. On obligerait plus facilement cieuse; et cette hérédité, considérée d'une manière à s'y conformer dans la teneur des actes particuliers, générale, aucune autorité ne peut la détruire, et le puisque les officiers publics, chargés de la rédaction consentement, la volonté même des pères, ne pourde ces actes, pourraient être rendus garants de l'exe-raient ôter à leurs enfants un droit qui est à eux dès cution de la loi; mais aurait-on le droit d'empêcher le moment de leur naissance. qu'une partie contractante, après avoir déclaré son nom patronimique, n'ajoutât qu'il est fils ou descendant de tel noble de race, ou de tel qui, à telle époque, était également qualifié? cependant par cette simple filiation, les distinctions qu'on veut éteindre, seraient constamment entretenues. Qu'on s'en fie d'ailleurs à l'industrieuse vanité, du soin de se replier de toutes les manières nécessaires pour entretenir les souvenirs qui la flattent. Les grands, dans un royaume voisin de la France, se tutoyent entre eux, et ils n'ont jamais avec d'autres la même familiarité: comment donc apporter un obstacle à toutes les distinctions, lorsque les formes destinées à exprimer les égards et le respect, peuvent elles-mêmes servir à manifester un sentiment de supériorité, et qu'ainsi tant de moyens divers suffisent en des mains habiles pour conserver les gradations établies par une longue habitude?

La veritable manière de faire tomber le prix de tous les hochets de la vanité, ce n'est pas de les proscrire avec inquiétude; on y réussit mieux en les considérant avec calme et avec indifférence: on y réussit mieux en portant simplement toute son estime vers les talents, les vertus et les services de tout genre rendus à la chose publique.

L'obligation prescrite à tous les citoyens de reprendre leur nom primitif, paraît encore un sacrifice inutile, imposé à une classe nombreuse de la société. C'est un sacrifice, parce que plusieurs de ces noms primitifs sont entièrement oubliés, et qu'il importe à plusieurs familles de paraître dans le monde avec le nom auquel s'est attaché le souvenir des services de leurs ancêtres; et il serait rigoureux, sans aucune utilité pour personne, de les obliger à renoncer à un genre de satisfaction dont la valeur doit être entretenue pour l'avantage même de la Société. On trouverait juste et louable le désir qu'aurait une famille estimable de changer de nom, si l'un de ses membres l'avait souille par un attentat contre la patrie. Le même principe doit expliquer l'intérêt que peuvent avoir beaucoup de maisons à conserver les dénominations sous fesquelles on les a vues paraître avec honneur dans les annales de l'histoire. De tels sentiments sont naturels, et ils entrent avantageusement dans le mécanisme moral de tous les systêmes politiques.

La confusion, inséparable de ces changements de nom, relativement aux actes de partage et à toutes les transactions qui s'enchaînent les unes aux autres, présente encore une considération digne de l'attention de l'Assemblée nationale.

Les observations qu'on a présentées en parlant des noms et des titres, s'appliquent de même à la proscription des armoiries. On aperçoit seulement que, devenues presque libres depuis longtemps, il y a d'autant moins de motifs pour en ordonner la sup

Ce n'est jamais par une loi que l'on peut détruire les antiques opinions dans un royaume aussi vaste que la France; ces opinions sont l'ouvrage du temps, et le temps seul peut les détruire tous les grands changements ont besoin d'être préparés. Un noble sentiment, une ardeur généreuse inspirent le désir de ramener les hommes à toute la simplicité des pre-pression. Rien n'est certainement plus indifférent au miers principes; mais de nouvelles mœurs, de nouvelles vertus seraient peut-être nécessaires pour réussir selon ses vœux dans une pareille entreprise. On doit présenter un autre genre de considération; il importe au peuple qui vit de la distribution des richesses et du travail ordonné par les propriétaires, que l'on n'impose pas à une classe nombreuse de citoyens des privations inutiles; car ces privations pourraient les engager à chercher dans d'autres pays la jouissance des avantages qu'ils tiennent de leur naissance, comme on voit les hommes d'une grande fortune s'éloigner des contrées où les lois somptuaires les empêchent de faire usage de toute l'étendue de leurs revenus.

On est en doute sur l'interprétation qu'on doit Jonner à l'article du décret de l'Assemblée nationale qui supprime la noblesse héréditaire. L'Assemblée a-t-elle supposé qu'il pourrait y avoir à l'avenir de nouveaux titres de noblesse, lesquels ne seraient point transmissibles? Une pareille idée fort simple et praticable, n'exigerait en ce moment aucun éclaircissement; mais si l'article est applicable aux personnes qui sont actuellement en possession de la noblesse, on ne comprend pas comment aucun décret, aucune loi pourrait empêcher que cette prérogative ne fût héréditaire; car la noblesse est, par son essence, transmissible de père en fils, à moins qu'une

peuple que l'existence de ces armoiries; cependant leur suppression peut facilement se lier dans son esprit à d'autres idées, et devenir ainsi un motif ou un prétexte pour s'élever contre ceux qui se détacheraient lentement de ces distinctions inhérentes, les unes aux vieilles pierres de leurs châteaux, et les au tres aux antiques marbres qui couvrent la cendre de leurs ancêtres. Il est des temps où la sagesse, où la simple bonté peut-être, invitent à n'ordonner aucune disposition, aucun mouvement qui ne soient essentiellement nécessaires.

Les livrées sont successivement devenues aussi li

bres que les armoiries; leur proscription néanmoins serait, entre tous les retranchements de distinctions extérieures, le seul qui pourrait être agréable à une portion du peuple, en supposant encore que la classe de citoyens vouée par choix à l'état de domesticité, attache quelque intérêt à ce changement; mais il occasionnera le désœuvrement d'un grand nombre d'ouvriers adonnés à la fabrication des galons et des rubans qui composent ces livrées. Les principales manufactures en ce genre sont à Paris, et les consommations certaines qu'offrait la capitale, avaient mis en état d'étendre ces établissements au degré nécessaire pour entretenir un assez grand commerce extérieur.

On croit devoir terminer les observations conte

nues dans ce mémoire, par une réflexion générale; c'est qu'en poursuivant, dans les plus petits détails, tous les signes de distinction, on court peut-être le risque d'égarer le peuple sur le véritable sens de ce mot égalité, qui ne peut jamais signifier, chez une nation civilisée et dans une société déjà subsistante, égalité de rang ou de propriété. La diversite des tra vaux et des fonctions, les différences de fortune et d'éducation, l'émulation, l'industrie; la gradation des talents et des connaissances, toutes ces disparités productrices du mouvement social, entraînent inévitablement des inégalités extérieures, et le seul but du législateur est, en imitation de la nature, ac les réunir toutes vers un bonheur égal, quoique different dans ses formes et dans ses développements.

Tout s'unit, tout s'enchaîne dans la vaste étendue des combinaisons sociales, et souvent les genres de supériorité qui paraissent un abus aux premiers regards de la philosophie, sont essentiellement utiles pour servir de protection aux différentes lois de subordination, à ces lois qu'il est si nécessaire de défendre, et qu'on attaquerait avec tant de moyens, l'habitude et l'imagination cessaient jamais de leur servir d'appui.

Projet pour la lettre du roi.

si

Le décret de l'Assemblée nationale, concernant les titres, les noms et les armoiries, afflige, avec de justes motifs, une classe nombreuse de la société, sans procurer aucun avantage au peuple; et comme, malgré son importance, il a été adopté dans une seule séance, ces diverses considérations m'ont déterminé à communiquer à l'Assemblé nationale quelques observations à ce sujet; je lui demande de les examiner, et si elle persiste en tous les points dans son opinion, j'accepterai le décret, et par déférence pour les lumières de l'Assemblée nationale, et parce que j'attache un grand prix à maintenir entre elle et moi une parfaite harmonie.

M. La Luzerne vient de faire publier son mémoire en réponse aux dénonciations qui ont éte portées contre lui à l'Assemblée nationale.

M. La Luzerne discute chacun des chefs de dénonciation en particulier. Il répond d'abord à celui dans lequel on l'accuse d'avoir refusé obstinément des lettres de convocation à la colonie de Saint-Domingue, pour la tenue des états-généraux. Il fait sentir toute l'importance de cette question. Il prouve ensuite que, sur une discussion approfondie et portée au conseil, de l'intérêt que pourraient avoir les colonies et la métropole à cette convocation, le roi, qui désirait conserver les droits des colonies et ceux de l'Assemblée nationale, a décidé, le II septembre 1788, que les colonies n'enverraient pas de députés à la prochaine convocation; mais que si les états-généraux, d'accord avec les colonies, pensaient que celles-ci dussent avoir des députés, on réglerait le nombre des représentants qu'elles y auraient à l'avenir.

M. La Luzerne se justifie pleinement da reproche qu'on lui avait fait d'avoir mis des obstacles à la nomination des députés de la colonie. Il n'a donné aucuns ordres qui pussent y nuire directement ni indirectement.

Il passe au troisième chef de dénonciation, présenté sous le titre imposant d'état enlevé à un citoyen estimable, pour couvrir son calomniateur de ses dépouilles.

Une même personne cumulait, à Saint-Domingue, les fonctions vraiment incompatibles de médecin et d'apothicaire du roi. On l'a forcée d'opter. Elle a donné la préférence à la pharmacie; et c'est à son refus que la place de médecin du roi, restée vacante, a été conférée à un médecin déjà en possession de la confiance du public.

Nous avons vu avec plaisir que M. La Luzerne s'était senti ému d'indignation en lisant le chef de dénonciation intitulé: Citoyens vendus à un aventurier pour les puissances étrangères. Il paraît que cette imputation effrayante se réduit, quand on l'analyse, à l'embarquement volontaire de quelques hommes de différents royaumes qui sont passés sur les côtes d'Espagne avec M. Vidal, dans l'espoir d'une meilleure fortune. Le gouverneur n'a eu aucune part à cet embarquement, auquel il n'aurait pas en le droit de s'opposer, chacun étant libre d'aller où bon lui

semble.

On reprochait à M. la Luzerne, dans le cinquième chef de dénonciation, l'arrêtement scandaleux d'un citoyen innocent, et d'avoir rendu un jugement injuste et arbi

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traire. Ce ministre prouve qu'exerçant à Saint-Domingue, pendant qu'il en était le général, le pouvoir du tribunal des maréchaux de France, il avait pu condamner à trois jours d'arrêts un militaire qui avait voulu changer en affaire d'honneur la contradiction judiciaire que, comme ministre de la justice, un commissaire de la marine, d'ailleurs sexagénaire, lui avait fait éprouver.

Le sixième et le septième chef de dénonciation se trouvent traités sous le même paragraphe, dans le mémoire de M. La Luzerne. On y présente quelques réflexions sur la reunion des conseils supérieurs du Port-au-Prince et du Cap. On y prouve ensuite que M. La Luzerne n'y a eu aucune part, l'edit qui la prononçait ne lui ayant pas même été communiqué. Il est constant que M. La Luzerne a ete d'avis, lors de l'enregistrement, que le conseil fit des remontrances. Cette discussion a jete dans des épisodes; nous en avons remarqué une intéressante, sur la formation d'un grand chemin qui communique du Cap au Port-au-Prince. Il nous a semblé prouver jusqu'à l'évidence, que le chemin, tracé seulement à l'aide des corvées de negres, a été fait à prix d'argent. Les pieces justificatives, qui sont imprimées à la suite du mémoire, deposent de l'utilité de cette route nouvelle, dont les habitants reconnaissent aujourd'hui tout l'avantage.

La prétendue démission, injustement arrachée à un magistrat septuagénaire, doyen du conseil, n'est autre chose que l'ordre donné à un conseiller du conseil du Cap de se rendre au Port-au-Prince, où siégeaient les conseils réunis, pour y exercer ses fonctions; et cet ordre n'a été envoyé qu'après quinze mois d'attente et d'invitations restées sans effet. Il est prouvé que ce magistrat continuait de toucher ses appointements, pouvait-il refuser la justice aux justiciables, et se dispenser de remplir son devoir? Son temps était au public, et l'état lui en payait le prix.

M. La Luzerne était en France quand M. D. L. F., habitant du Cap, y est décédé; et c'est à l'occasion de sa mort, que, dans un chef de dénonciation, qui est le neuvieme, on reproche à M. La Luzerne une exaction publique, des poursuites tyranniques envers un père de famille innocent, et les suites cruelles de ce traitement barbare. Or, il est démontré que l'impôt, dont la perception était confiée à M. D. L. F., est sous l'inspection du conseil supérieur, qui avait décreté M. D. L. F. d'ajournement personnel. M. La Luzerne est donc absolument etranger à la perception de l'impôt, au décret et aux suites qu'on dit que ce décret a enes.

Les réunions au domaine des terres non cultivées, et les concessions de ces terres à ceux qui se présentent pour les mettre en valeur, sont l'objet du dixieme chef d'acensation. M. La Luzerne cite d'abord les ordonnances qui établissent ces reunions et ces concessions : il en fait sentir la nécessité. Il prouve, par des tableaux arithmétiques, que sous son gouvernement ces réunions ont été plus rares que sous tous les autres; que les anciens concessionnaires y ont été traités avec menagement; qu'il adoucissait en leur faveur la rigueur de la loi. Il s'attache surtout à faire voir que si la culture du café fait enchérir les negres, parce qu'elle exige beaucoup de bras, ce n'est pas une raison pour la negliger; le commerce y gagne, la denrée se multiplie, les jouissances en sont plus faciles, et l'intérêt général doit toujours l'emporter sur le particulier.

M. La Luzerne rassemble, sons un même paragraphe, trois chefs de dénonciation qui ont pour titres: Disette de farine. Insouciance criminelle du ministre. Rappel soudain d'un gouverneur cher à la colanie. Maintenue opiniâtre d'un intendant proscrit. Lettre d'approbation, dictée au roi, en faveur de l'intendant coupable.

Et il démontre, de la manière la plus satisfaisante, que Saint-Domingue n'a point éprouve de disette en 1789, et qu'il n'a cessé de veiller à la subsistance de cette colonie. On articulait entr'autres faits, dans ce chef de dénonciation, que du 5 juillet au 20 septembre, il n'était entré aucun bâtiment de France dans les ports de Saint-Domingue, et M. La Luzerne produit la liste de quarante-sept navires venant de France, et qui ont débarqué à SaintDomingue dans cet espace de temps.

Il prouve ensuite que le rappel de M. du C. n'a point été déterminé par l'ordonnance émanée de ce général seul, et dans laquelle il ouvrait tous les ports d'amirauté aux farines étrangères, mais bien par une autre ordonnance enregistrée le 11 mai 1789, à Saint-Domingue, qui associait les négociants étrangers aux nôtres, dans la traite des nègres destinés pour le sud de la colonie. Ces faits sont démontrés par les rapprochements de dates, sur lesquelles il est impossible de varier. D'ailleurs, le rappel de M. le ministre du conseil n'a été arrête à Versailles que le 28 juin 1789, et il a quitté volontairement la colonie le 10 juillet il était impossible qu'en douze jours il eut pu avoir à Saint-Domingue connaissance de ce qui s'était passé en France à son sujet.

M. La Luzerne rend compte des motifs qui ont déterminé le roi à donner des marques de confiance particulière à l'intendant de la colonie, chargé alors de l'administration de la justice et de celle des finances; il est démontré que ous l'administration de cet intendant les tribunaux judiciaires ont été au courant, qu'aucune affaire n'était arrié

rée, et que Saint-Domingue, endetté de II millions quand il arriva, n'avait plus, quand il l'a quitté, qu'une dette litigieuse de 500,000 liv. à payer. Il a laissé plus d'un million en réserve dans les caisses publiques.

Les quatorze et quinzième chefs sont moins des dénonciations que le rapport d'une délibération prise par les habitants de la partie du nord de Saint-Domingue. Elle est citée comme contenant les pouvoirs en vertu desquels les différents chefs de dénonciation ont été présentés à l'Assemblée nationale.

M. La Luzerne a fait une observation qui nous paraît frappante. Les habitants de la partie du nord n'auraient, suivant cette délibération, autorisé que deux chefs des dénonciations présentées, ceux relatifs à la réunion des conseils et des caisses publiques; ils n'y parlent pas des onze autres, qui forment cependant des chapitres paruculiers dans la masse de ceux accumulés contre lui.

Je remarque que l'on a négligé en France six chefs de dénonciation tres-prononcés contre lui dans la délibération de Saint-Domingue. Il se dénonce courageusement sur ces six chefs. Après en avoir démontré la futilité, il en conclut fort judicieusement qu'on abuse de la distance qui nous sépare de Saint-Domingue pour induire les colons en erreur; qu'on les a excites à se plaindre de faits que la notoriété publique dément en France, et qu'à ces allegations insoutenables à Paris, on en substitue qui portent sur des faits qui, bien connus à Saint-Domingue, n'avaient pas même fixé l'attention des colons.

La nature des preuves que produit M. La Luzerne, la promptitude avec laquelle il a fait paraître sa défense, le compte qu'il rend de son administration, la franchise avec laquelle il se présente, donnent une nouvelle force à sa justification. Il n'y a qu'un ministre vertueux qui puisse rendre raison de tout ce qu'il a fait à quiconque désire connaître les otifs de la conduite qu'il a tenue.

LÉGISLATION.

Projet de législation sur les bâtards. Quand l'Assemblée nationale n'aurait point fait une loi positive de l'égalité de droit de tous les hommes; quand elle n'aurait point établi sur les bases de la raison les moyens de bonheur et de liberté sociale, la justice naturelle, la religion et la philosophie se réuniraient pour demander la proscription de la bâtardise, pour rappeler tous les sujets de l'empire au partage égal de la protection, pour effacer de la législation française ces distinctions insensées et barbares, qui privent l'homme, en naissant, de ses droits les plus chers, et le frappent d'une excommunication qu'il n'a point méritée.

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Il faut alors que toutes les cérémonies publiques le ramènent aux notions primordiales, et qu'elles lui rappellent sans cesse que la meilleure forme de gouvernement étant un mal nécessaire, son bonheur ne peut se trouver dans un tel ordre de choses qu'autant qu'il en aura des idées précises, et que, respectueux devant les lois, il fléchisse devant elles avec obéissance, parce qu'il connaîtra positivement la pureté de leur source.

Ces fêtes auront un grand objet d'utilité publique, lorsqu'elles seront des allégories fortes qui frappent tous les sens à la fois.

La peinture fidèle des principes les imprimera dans les esprits, avec d'autant plus de facilité, que les signes extérieurs commandent impérieusement à l'imagination.

L'inauguration de la plus belle constitution du monde doit avoir tous les grands caractères, et se faire d'une manière solennelle, à une époque déterminée. Je propose d'ériger un autel au milieu d'une plaine spacieuse, d'y placer les lois constitutives de l'état à côté de la loi divine; que le tout soit surmonté d'une couronne, afin que le peuple apprenne que dans les pays constitués librement, les lois divines et humaines sont les souverains légitimes.

Mais pour que cette cérémonie, rappelant les droits de la nation, lui indique encore l'usage qu'elle a voulu et celui qu'elle doit en faire, cette couronne sera divisée par le président de l'Assemblée natioC'est par le bien être des individus que s'établit le nale (1) en autant de parties qu'il y aura de provinbonheur général; celui-ci n'est qu'une illusion, si ces confédérées, et sera distribuée aux représentants l'autre n'a point de réalité. Les erreurs de la morale, de chaque province, afin que l'emblême du pouvoir le célibat politique, des accidents, des fautes per- souverain sur la terre retourne légalement à la nasonnelles ont créé dans la société une classe persécution, qui seule a le droit de le conférer de nouveau. tée, méconnue de la loi civile, et que l'intolérance désigne sous le nom d'illégitime, comme s'il y avait des hommes plus légitimes les uns que les autres. Il est temps de faire cesser cette injustice, de rendre des enfants à leurs pères, des pères à leurs enfants, et de prononcer enfin qu'il ne peut y avoir deux espèces d'hommes partout où il n'y a qu'une loi, qu'un pouvoir et qu'un juge. En conséquence, je proposerais le projet de loi que voici :

1o La batardise et ses effets sont supprimés, comme contraires aux droits de l'homme, à la justice naturelle, au bonheur des familles, à l'amour filial et aux devoirs de l'autorité domestique.

2o La sainteté du mariage civil sera toujours respectée; mais l'enfant né hors des cérémonies qui le caractérisent, n'en aura pas moins tous les droits de famille du côté de sa mère, qui est toujours connue, et même du côté de son père, lorsqu'il voudra se faire connaître positivement.

3o Les distinctions de mère naturelle et de mère légitime sont détruites, comme étant sans aucun effet civil de l'enfant à la mère, et de la mère à l'enfant.

4o Les conditions du partage des biens entre les enfants nés avant ou après le mariage civil, suivront les lois des héritages et du partage entre les enfauts nés des divers lits.

5o Les devoirs et les droits de l'autorité domesti

!

Ce sera à cet instant que les représentants de la nation, ceux de tous les corps électoraux et de toutes les corporations du royaume qui auront été élus pour assister à cette solennité (2), rassemblaut les parties éparses de ce diadême, les présenteront au roi des Français, restaurateur de la liberté publique, et qu'il le tiendra des mains de ceux qui ont le pouvoir d'en disposer.

Le roi alors la posera sur sa tête, prêtera le serment de fidélité à la nation, en prononçant le serment civique, élevé sur un pavois et revêtu des ornements de la royauté; tandis que le peuple, mettant un genou en terre, promettra à son tour d'obéir en tout temps au monarque chargé de faire exécuter les lois qui auront été consenties (3).

(1) Le président de l'Assemblée nationale est institué l grand-prêtre de cette cérémonie civique, parce qu'il es l'organe du pouvoir constituant.

(2) Les corps électoraux de tous les départements e toutes les corporations des citoyens, enverront un certain nombre de députés pour assister à cette inauguration.

(3) Cette cérémonie se renouvellera à chaque changement de règne. Dans cet instant, ou traite avec un prince dont l'amour-propre n'est pas mis en action, et alors il y a moins de danger à reviser la constitution des empires. Les droits du peuple sont soigneusement conservés, les devoirs de la nation envers les lois rappelés, et le respect dů à la royauté indiqué. Cette espèce de réélection inspire un degre de plus de veneration pour celui qui est l'organe de

la volonte nationale,

N° 184.

POLITIQUE.

POLOGNE.

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Samedi 3 JUILLET 1790.

De Varsovie, le 12 juin. Dans la séance des états d'hier, après de longs débats qui l'ont prolongée depuis neuf heures du matin jusqu'à dix heures du soir, il a été enfin décrété, à la majorité de 108 voix contre 34, que la présente session serait prorogée jusqu'au 1er mars prochain, sans que cet exemple unique, commandé par des circonstances impérieuses, pût tirer à conséquence pour l'avenir.

La cour de Berlin vient de défendre tout à coup l'exportation des grains de ses ports de Koenigsberg et d'Elbeing. Les négociants prussiens de ces deux places, ne pouvant, d'après cette défense, acheter les grains que les Polonais leur avaient apportés, vu l'impossibilité de les revendre, ceux-ci ont été contraints de les donner aux commissaires du roi, qui les ont payés deux florins au-dessous du prix actuel de Dantzick. Cette opération excite beaucoup de murmures et de mécontentements.

On éprouve ici une sécheresse affreuse, et l'on regarde la récolte prochaine comme entièrement perdue, s'il ne vient pas de pluie d'ici à huit jours. ALLEMAGNE.

cabinet prussien répète que c'est aussi pour raison d'équilibre de ce côté, que le roi son maître n'y trouve au fond rien à gagner, sinon le calme et la tranquillité, troublés sans cesse jusqu'à présent par des plaintes de gens de port et des querelles de négociants; plus les ministres de l'Autriche se défient d'une négociation à laquelle on n'attacherait pas tant d'importance, si l'on en ignorait à ce point les prérogatives. D'après les demandes faites d'une part, et les observations présentées de l'autre, qui ne croirait que la guerre est inévitable entre les deux puissances? Aussi les deux monarques se conformentils dans leur conduite aux apparences que présentent leurs cabinets respectifs. Le roi de Hongrie a rassemblé, le long des frontières de la Silésie, une armée de 150 mille hommes; et le roi de Prusse a porté dans cette partie de ses états le plus grand rassemblement de ses forces. C'est à Reichenbach presque sous les yeux de Sa Majesté prussienne, qui a établi son quartier à Schonwalde; c'est au milieu des deux armées que va s'ouvrir un congrès où l'on prétend entamer les négociations définitives pour la guerre ou la paix. Déja M. le comte d'Hertzberg, ministre d'état, s'est rendu au lieu des conférences : l'Autriche, l'Angleterre, la Hollande, la Pologne y auront leurs plénipotentiaires. Ces divers ministres ont déjà suivi M. d'Hertzberg jusqu'à Breslau, et n'attendent que le moment de se rendre à Schoenwalde.

Mais d'autres conjectures sont fondées sur la correspondance mystérieuse des monarques. Un intérêt, que la diplomatie de leurs cours n'a pas l'air d'admettre dans ses combinaisons, occupe particulièrement ces deux rois. Notre souverain a les yeux sur les Pays-Bas, et le roi de Prusse, de concert avec ses alliés, et conformément à ses vues personnelles, veille aux conditions qu'il est en son pouvoir d'im poser au désir qu'a Léopold de se réintégrer dans la Belgique.

Tel est donc le plan combiné des deux princes et de leurs cabinets, que l'intérêt de leurs alliés pouvant être à la fois publiquement ménagé et secrétement entamé, selon la position respective et de l'Autriche et de la Prusse, ils espèrent temporiser avec plus de succès, toujours se menaçant, et toujours se conciliant, tandis que les Brabançons périssent, que les Liégeois se fatiguent, et qu'au midi de l'Europe un orage, peut-être artificiel, captive ou distrait du moins l'attention des peuples.

De Vienne, le 12 juin. — Il n'y a que des probabilités sur le contenu des dépêches que M. le comte de Podwitz a reçues le 9 de ce mois, par un courrier extraordinaire de Berlin. Les personnes les mieux instruites et les plus habituées aux conjectures politiques, pensent que le roi de Hongrie et le roi de Prusse ont deux manières de traiter entre eux : la première, par leurs ministres, selon l'usage des cours; l'autre, par une correspondance particulière et secrète, comme cela s'est pratiqué quelquefois entre souverains, dans des cas extraordinaires, et notamment entre le feu roi de Prusse et l'impératricereine, lors de la longue et épineuse négociation sur la Bavière. Il paraît que ce double mode de négociation entre les monarques régnants, continuera jusqu'à la catastrophe de la paix ou de la guerre. Les habiles distinguent donc parmi les bruits qui se répandent, les avis qui circulent, les nouvelles qui s'envoient aux gazettes, ce qui tient aux travaux ministériels, et ce qui transpire de la correspondance royale. Par l'entremise des ministres, le roi de Prusse semble disposé à consentir qu'une partie des possessions conquises sur les Ottomans reste entre les mains du roi de Hongrie, mais à la condition que la maison d'Autriche cédera à la république de Pologne une partie de la Gallicie, en proportion de la valeur des conquêtes qui lui seront conservées. La raison politique de cet arrangement est de maintenir l'équilibre dans le Nord. Mais le cabinet autrichien, qui ne peut pas douter que le roi de Prusse ne s'arrange pour se faire céder, aussi en qualité de négociateur et de modérateur, les villes de Dantzick et de Thorn, par les Polonais, en invoquant, à son tour, lorsqu'il en sera temps, la négociation et la moderation du roi de Hongrie, ce cabinet craint que la maison d'Autriche ne fasse mauvais marché, et qu'en échangeant des provinces fertiles et populeuses contre des provinces ravagées et presque désertes, elle ne soit trop fidèle aux principes d'agrandissement, Navires expédiés au bureau des classes du porî d'après lesquels elle semble se conduire depuis plus d'un demi-siècle.

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De Coblentz, le 23 juin. En exécution de l'engagement pris par la cour de Trèves, relativement aux troubles de Liège, de fournir pour son compte huit cents hommes d'infanterie et dix pièces de canon il est parti hier de cette ville cent vingt chasseurs à pied, qui emmènent avec eux une partie de cette artillerie, ainsi que des caissons renfermant des munitions de guerre. Cette espèce d'avant-garde sera suivie, vendredi prochain, du reste des troupes, et ils se rendront tous à Masseick pour y joindre celler des autres cercles. La réunion de ces différents corps formera environ quinze à seize mille hommes, contre lesquels les Liégeois se disposent à se défendre jusqu'à la dernière extrémité.

COMMERCE.

de Bordeaux.

Du 9. Les navires le Français, capitaine M. J. Laurent, allant au Port-au-Prince; les Six Sœurs, capitaine M. J. Guillet, allant à la Martinique.

Du 12. Les navires l'Invincible, de Bordeaux, du port de 250 tonneaux, capitaine M. Pierre Castex, aliant à la

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