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l'avenir? Si vous vouliez travailler avec plus d'assiduité, vous pourriez faire quelque réserve et vous ménager du repos dans un âge plus avancé. L'ouvrier lui répondit: J'ai fait mon calcul; j'ai un oncle droguiste dans Cheapside (c'est un quartier de Londres) qui vient de s'établir, avec la résolution de travailler 20 ans, jusqu'à ce qu'il ait gagné 4 mille liv. sterling; après quoi il se propose de vivre en gentilhomme il veut se faire gentilhomme en gros (by wholesale): moi, je le serai en détail, et j'aime mieux l'être et ne rien faire, la moitié de la semaine pendant 20 ans, que la semaine entière dans 20 ans d'ici. Après la déclaration de l'indépendance, chaque état de l'Amérique s'occupant de dresser et d'établir de nouvelles lois et une forme de gouvernement qui remplaçât celle qu'on venait de détruire, il y eut de grands débats dans l'assemblée de Pensylvanie, et au bout de 2 ou 3 mois on se trouva aussi peu avancé qu'en commençant : cependant tout allait dans la société comme de coutume; il n'y avait point de trouble, point de désordre public. Francklin dit un jour aux députés : Messieurs, vous voyez que dans l'anarchie où nous vivons, les affaires de la société se font comme auparavant : prenez garde, si nos disputes durent plus longtemps, que le peuple ne vienne à penser qu'il peut fort aisément se passer de nous.

Francklin expliquait, par l'apologue suivant, comment on peut corriger les défauts de son caractère avec de la patience et du temps. J'étais, dit-il, un jour dans l'atelier d'un taillandier; je vis un homme qui vint y acheter une hache. L'ouvrier n'en avait très bien poli que le tranchant, et toutes les parties qui en sont voisines. L'acheteur dit qu'il voulait que le tout fût luisant et poli. Le taillandier répliqua qu'il fallait beaucoup de temps pour cela, et qu'il n'avait personne pour tourner sa meule. L'acheteur s'offrit à la tourner lui-même. Les voilà tous deux à la besogne. Après un peu de temps, notre homme veut voir si le polissage avance. If voit bien peu de progrès; il se remet à la roue, et revient à diverses fois à un nouvel examen qui lui fait voir à peine quelques points rendus luísants; enfin, las de tourner: Ma foi, dit-il à l'ouvrier, je ne m'embarrasse plus de la polir davantage, je l'emporte comme elle est. C'est ainsi, disait Francklin, que nous en usons pour nos défauts; nous renonçons bien vite à tourner la meule pour les corriger; mais j'ajouterai que pourvu que la hache coupe bien, il n'est pas nécessaire qu'elle soit si polie.

Il visitait un jour les manufactures à Norwick. Un gros fabricant le promenait dans les ateliers, en lui disant: Voilà des étoffes pour l'Italie, en voilà pour l'Allemagne; celles-ci sont pour les îles de l'Amérique, et celles-là pour le continent. Pendant cet étalage, Francklin observait que les ouvriers étaient à demi nus, ou couverts d'habits tout déchirés. Il se retourne vers son guide, et lui demande: Est-ce que vous n'avez point de manufactures pour Norwick?

Cette anecdote est bonne à raconter aux gens qui voient, dans les manufactures, la richesse des nations. Après la paix de 1783, parlant de la corruption du parlement d'Angleterre, Francklin disait que si les Etats-Unis eussent voulu lui donner, avant la guerre, le quart de ce qu'elle leur avait coûté, il se serait tenu assuré d'acheter des Anglais eux-mêmes l'indépendance à ce prix.

Dépossédé par le roi d'Angleterre de la place de Post-Master (directeur des postes) de la NouvelleYorck, Francklin retourna en Amérique; la guerre s'y déclara, et le roi d'Angleterre perdit l'Amérique et le revenu des postes. Depuis la suppression de ma place, disait-il, je n'en ai plus rien tiré, ni le

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roi non plus. C'était lui qui avait établi les premières postes en Amérique.

Francklin assistait à une assemblée d'un muséc où l'on faisait beaucoup de lectures; entendant mal le français déclamé, et voulant être poli, il prit la résolution d'applaudir lorsqu'il verrait une femme de sa connaissance, madame de Boufflers, donner des marques de sa satisfaction. Après la séance, son petit-fils lui dit: Mais, mon papa, vous avez applaudi toujours, et plus fort que tout le monde, lorsqu'on vous louait. Il raconta son embarras et le parti qu'il avait pris pour s'en tirer.

Lord Schelburne, depuis Lansdown, dit qu'en traitant avec Francklin, il a observé que son caractère principal était en affaires de ne point s'embarrasser de faire naître les événements, mais seulement de bien profiter de ceux qui arrivaient, qu'il avait la médecine expectative.

Lettre au comité des rapports de l'Assemblée nationale.

Monsieur le président et Messieurs, nous venons d'être informés, avec autant de surprise que d'indignation, qu'un sieur Dufault, que nous croyons être de Nemours ou des environs, par une calomnie aussi atroce qu'inconcevable, a eu la témérité de diffamer la ville de Beaumont en Gâtinais, même jusque dans le sein de l'Assemblée nationale, en annonçant à plusieurs de MM. les députés que les droits de champart avaient occasionné en cette ville une insurrec-tion, dans laquelle deux huissiers de Beaumont avaient été pendus sous ses yeux.

Si nous gardions le silence dans cette circonstance, si nous nous abstenions de nous élever contre une imputation aussi outrageante, elle s'accréditerait sans doute. Il est donc de notre devoir et de notre honneur, Monsieur le président et Messieurs, de nous en disculper, en vous dénonçant le sieur Dufault comme un calomniateur insigne, et en vous assurant que la paix et la sûreté ont toujours régné dans notre ville et dans toutes les paroisses du canton dc Beaumont. Les officiers municipaux de Beaumont en Gâtinais.

Note du rédacteur. M. Noailles a rapporté ce fait dans la séance du mercredi 16 juin; nous sommes autorisés à annoncer que M. Dufault, député extraordinaire de la commune de Nemours, l'avait raconté en présence de la députation de Nemours et de M. le garde-des-sceaux.

Au rédacteur.

L'adresse à l'Assemblée nationale, Monsieur, que je vous envoie, contient une réclamation contre un déni de justice de la part de l'ancienne administration de la marine et des ministres.

On a trompé la confiance et la bonne foi de deux maisons de commerce, créancières de l'Etat; elles en demandent justice aux régénérateurs de la France.

Vous paraissez vous être imposé la loi, Monsieur, de prêter votre voix à ceux qui ont à se plaindre de l'injustice, et de fixer l'attention publique sur leur infortune; ces maisons de commerce peuvent donc, à bon droit, réclamer une place dans votre journal. J'ose vous prier de vouloir bien y faire insérer un article sur cette affaire. J. WERNBERG, négociant de Bordeaux, rue Coq-Héron, no 5, à Paris.

ANGLETERRE.

DE LONDRES.

P. S. L'opinion générale est défavorable aux vais

***: le Sa

*;

seaux de 64 canons, et il parait qu'il ne faut pas les nurch, de 74, cap, Rayner; le Lion, de 64, cap, faire entrer en ligne, car il est certain que nos offi-sir Saville-Finch; le Scipio, de 64, cap. ciers de marine ne servent sur de pareils navires qu'à lisbury, de 50, cap. Domelt; plus un certain nombre leur corps défendant; cependant un jour de combat de frégates, de sloops et de cutters, qui se rendront on en emploie non-seulement de cette force, mais à Spithead avec les vaisseaux ci-dessus nommés, même d'une inférieure, par exemple de 50 canons, tandis qu'on n'ignore pas que les Français n'en ont que peu ou point d'une si faible artillerie; aussi le désavantage est-il évidemment pour nous quand on met aux prises de pareils bâtiments avec des vaisseaux de 74 et de 80 canons.

— Les divers régiments qui doivent s'embarquer ont envoyé des recruteurs dans toutes les parties du royaume, pour faire des hommes et se compléter le plus tôt possible.

L'amirauté a, dit-on, signifié aux armateurs qu'on expédierait sous peu de jours des lettres de marque contre les Espagnols. On ajoute qu'une flotte anglaise tentera le bombardement de Cadix; cependant, malgré ces apparences d'hostilités prochaines, les fonds publics remontent un peu; les trois pour cent consolidés étaient, le 2 de ce mois, à soixantetreize et demi à soixante-treize cinq huitièmes.

Le nouveau parlement d'Irlande a dû s'assembler le 2 de ce mois, pour commencer à s'occuper des affaires de ce royaume. Le parti de l'opposition se proposait d'essayer ses forces dans le choix d'un nouvel orateur.

Le sieur Miller, de Dalwinston en Ecosse, voit se réaliser les espérances qu'il avait conçues d'un vaisseau double et à deux quilles; invention que ses détracteurs assurèrent, dans le temps, ne pouvoir jamais réussir. Le navire marchand le Commerce, capitaine Bisset, a rencontré ce vaisseau singulier sur les côtes de Suède : il cinglait vers Gothembourg, et filait cinq à six noeuds à l'heure, quoique le vent ne fût pas très favorable; marche supérieure à celle des vaisseaux ordinaires, et qui pourra bien faire adop ter généralement cette construction.

- Mardi, 22 du mois passé, les serres chaudes et les pépinières du marquis de Bath, à Longleat, ont été extrêmement maltraitées par une grèle prodigieuse, dont quelques grains avaient de quatre à sept pouces de circonférence.

-On s'attend à voir renouveler une grande partie du parlement; il y aura au moins deux cents membres nouveaux, ce qui n'était pas encore arrivé depuis plus de trente ans,

On assure qu'une seconde flotte de 25 vaisseaux de ligne va être équipée avec toute la promptitude possible. C'est, dit-on, l'amiral Howe qui la commandera; il arborera son pavillon sur la QueenCharlotte, superbe vaisseau de 100 canons, que monteront l'amiral Levison-Gower et sir Roger Curtis, l'un en qualité de capitaine de pavillon, l'autre en celle de capitaine du vaisseau amiral. Lord Howe est déjà à Portsmouth. Voici la liste du reste de la flotte. Le Royal-Sovereign, de 100 canons, cap. Knigth; le Royal-Georges, de 100, cap. Fisher; le London, de 98, cap. ***; le Formidable, de 98, cap. Kecth-Stewart; le Royal-William, de 84, cap. ***; le Gibraltar, de 80, cap. Gardner. On ne nomme pas encore les capitaines des 3 vaisseaux suivants, de 74 canons : le Courageux, VIllustrious le Saturne. L'Alfred, de 74 canons, cap. Hawey; le Bellerophon, de 74, cap. Pasley; le Brunswick, de 74, cap. sir Hyde Parker; l'Egmont, de 74, cap. Hope; l'Eléphant, de 74, cap. Thomson; l'Annibal, de 74, cap. Colpoys; le Canada, de 74, cap. sir Hugh-Seymour-Conway; l'Excellent, de 74, cap. Gell; le Marlborough, de 74, cap. Conrnish; le Leviathan, de 74, cap. le lord Malgrave; la Vengeance, de 74, cap. sir Robert Rich; le Mo

AVIS DIVERS.

MM. Ranisch et Wernberg, négociants étrangers, ont traité avec le gouvernement français, pendant la derniere guerre, pour des fournitures de matures et autres bois de marine. Ils ont rempli leurs obligations: leurs marchandises ont été reçues, mais on a refusé de leur en payer le prix sur le pied convenu. Ils se sont présentés au conseil du roi, Le ministre de la marine, le maréchal de Castries, avec qui ils avaient contracté, juge et partie, a rejeté leurs réclamations. En vain, ils ont renouvelé leurs tentatives auprès des ministres actuels, le même esprit d'injustice a écarté de nouveau la demande la plus legitime et la moins susceptible de contradiction; on s'est obstiné à les juger sans leur communiquer aucun des motifs de decision; c'est le gouvernement qui les a jugés, et c'est le gouvernement qui était leur cooblige; c'est le débiteur seul qui a détruit les titres du créancier, sans vouloir annoncer les raisons de cette iniquité. Qui ne reconnait pas, dans cette conduite des ministres envers des étrangers, le caractère d'ineptie, d'injustice, d'insolence et de despotisme qui s'est toujours montre dans ces ministres envers les Français mêmes? En vain, le traité avec les sieurs Ranisch et Wernberg a été signé par eux; en vain, les clauses en sont claires, expresses et positives, ils ne veulent pas plus reconnaître le traité que les droits de l'homme et la souveraineté de la nation. C'est une engeance bien perverse et bien mandite que ces ministres. Mais les sienrs Ranisch et Wernberg demandent à l'Assemblée nationale qu'elle leur donne des juges et un légitime contradicteur, ou qu'on leur rende les marchandises qu'ils ont fournies à l'Etat. Certes, l'Assemblée nationale ne leur refusera point cette justice; et il faudra bien savoir pourquoi les ministres s'evertuent si légèrement à manquer de foi, de loi et de religion à chaque instant envers les étrangers comme envers les Français. On decouvrira peut-être dans cette affaire quelque friponnerie de bureau, qu'il sera bon de faire connaître à toute l'Europe, et que nous ne manquerons sûrement pas de publier.

ANNONCES.

Vente en détail d'une grande collection de scènes et ariettes choisies en partition manuscrite, des plus célèbres auteurs italiens, Jomelli, Tracta, Cimarosa, Mayo, Sachini, Piccini, Paesiello, etc., dont plusieurs avec les parties d'accompagnements séparées, et différentes partitions gravées, d'opéras modernes français, au bureau d'adresse pour la vente des instruments de musique d'occasion, rue Saint-Magloire, n° 16, entre la rue Saint-Denis et l'hôtel Beaufort.

Les amateurs pourront voir tous les jours cette musique.

SPECTACLES.

ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE. - Aujourd. 15, Alceste; et Télémaque dans l'ile de Calypso.

THEATRE DE LA NATION. Aujourd'hui 15, la Coquette corrigée; et les Deux Pages.

THEATRE ITALIEN.- Aujourd'hui 15, la District de Fi lage; et Ferdinand.

THEATRE DE MONSIEUR. Aujourd'hui 15, à la salle d la foire Saint-Germain, il Barbiere di Siviglia

LE CONCERT de bénéfice annoncé dans le supplément da II, pour le lendemain 12, est remis à samedi 17.

WAUXHALL D'ÉTÉ, - Aujourd'hui 15, grande illumina tion, feu d'artifice, et la Prise de la Bastille, dont le siége sera fait, pour la majeure partie, par des gardes françaises et autres personnes qui ont contribué à celui du 14 juillet 1789; terminée par le Temple de la Liberté, élevé sur les ruines de ce fort; ensuite, fête analogue dans le salon. Prix du billet d'entrée : I liv. 10 s. Loges et amphitheatre: 3 liv. S'adresser pour louer des loges, au sieur Dubois, au Wauxhall d'été. Nota. MM. les abonnés du Ranelag de ce Wauxhall sont prévenus que le bal de demain 15 est remis à vendredi 18, à cause des circonstances.

Intérêt des assignats-monnaie. Aujourd'hui 15 juillet, de 200 liv. 11. 10s. 0d, 300 liv.

1000 liv.

Paris. Typ. Henri Plon, rue Garancière, &

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N⚫ 197.

Vendredi 16 JUILLET 1790. · Deuxième année de la Liberté.

POLITIQUE.

ESPAGNE.

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De Madrid, le 28 juin.—Un alcade de Corte reçut, lundi 21 de ce mois, l'ordre d'arrêter M. le comte Cabarrus et de le consigner au quartier des Invalides. Ayant néanmoins consulté un des principaux magistrats, il se contenta de lui donner les arrêts dans sa maison et d'y laisser deux huissiers pour le garder à vue. Pendant quatre jours qu'il a été ainsi arrêté et interrogé par le même alcade, M. le comte Cabarrus a reçu les principaux personnages de Madrid. Le vendredi au soir il a été, conformément à la teneur de l'ordre du lundi, transféré au quartier désigné. On inventorie ses papiers, en attendant qu'on nomme une commission présidée par le gouverneur du conseil de Castille pour prendre connaissance de cette affaire.

L'opinion que l'on avait eue, dès le premier moment, que les blessures de M. le comte de Florida Bianca n'étaient pas dangereuses, s'est heureusement vérifiée. La première fois que ce ministre s'est trouvé assez bien pour se rendre au palais, le roi a été au-devant de lui jusque dans les premiéres salles, et lui a fait, ainsi que la reine, le plus favorable accueil. Différents corps de la ville et plusieurs particuliers ont fait chanter le Te Deum en action de grâces de son rétablissement. L'assassin a été transféré d'Aranjuez au quartier des gardes-du-corps de Madrid. Il paraît que plus la procédure avance, plus on se confirme que ce malheureux a l'esprit aliéné.

FRANCE.

De Paris. La fête de la fédération générale a présenté hier le spectacle le plus imposant que puisse jamais offrir un peuple libre. Le Champ-de-Mars, destiné à recevoir la nation entière, avait été disposé pour cette grande cérémonie, et on a vu avec quel zèle les citoyens de toutes les classes s'étaient portés à terminer ceux des travaux de ce cirque auxquels ils pouvaient concourir. Le même zèle a animé les ordonnateurs des autres travaux; en deux jours ils ont été finis. Voici en quoi ils consistaient : un pont de bateaux a été établi sur la rivière; ce pont conduisait à un arc de triomphe qui marquait l'entrée du Champ-de-Mars. Il y avait trois grandes portes. La façade du côté de la rivière portait quatre inscriptions françaises: La patrie ou la loi peut seule nous armer, mourons pour la défendre et vivons pour l'aimer; la seconde, consacrés aux travaux de la Constitution nous la terminerons; la troisième, le pauvre sous ce défenseur ne craindra plus que l'oppresseur lui ravisse son héritage; la quatrième, tout nous offre un heureux présage, tout flatte nos désirs ; loin de nous écartez l'orage et comblez nos désirs. Si ce ne sont pas là des vers, ce sont des vœux et des vérités. La tyrannie de la langue latine nous retenait a la borne du style lapidaire en français; nous nous formerons à ce style.

La façade intérieure portait ces autres inscriptions: 1° Nous ne vous craindrons plus,subalternes tyrans, vous qui nous opprimiez sous cent noms différents; 2o Les droits de l'homme étaient méconnus depuis des siècles, ils ont été rétablis par l'humanité entière; 3o Le roi d'un peuple libre est seul un roi puissant; 4° Vous chérissiez cette liberté, vous la possédez maintenant, montrez-vous dignes de la con

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couverte, ornée de draperies bleu et or, au milieu de laquelle était un pavillon particulier et destiné pour le roí. Sous ce pavillon était placé le trône, et à côté dụ trône, sur la même estrade, était un fauteuil pour le president de l'Assemblée nationale; derrière le trône on avait pratiqué une tribune particulière pour la reine, M. le dauphin, et les princesses de la famille royale. Sur toute la longueur de la galerie couverte et en avant, régnait un vaste amphithéâtre où se sont placées les personnes invitées à la cérémonie.

Le reste du pourtour à grand cirque était fermé par des gradins destinés au peuple, et qui ont été occupés dès la pointe du jour.

Dans l'esplanade on avait marqué par des poteaux les places que devaient occuper les membres de la fédération, soit de l'armée de terre et de mer, soit des gardes nationales.

Toute cette vaste enceinte était dominée au milieu par l'autel de la patrie, élevé de plus de vingt-cinq pieds on y montait par quatre escaliers terminés chacun par une plate-forme couronnée de cassolettes antiques où on a brûlé de l'encens.

La façade du côté du midi portait deux inscriptions: 1o Les mortels sont égaux; ce n'est point la naissance, c'est la seule vertu qui fait leur différence; 2o La loi dans tout état doit étre universelle; les mortels, que' qu'ils soient, sont égaux devant elle.

Sur la face opposée on voyait des anges sonnant de la trompette, avec ces deux inscriptions: Songez aux trois mots sacrés qui garantissent ce décret. La nation, la loi, le roi; la nation, c'est vous; la loi, c'est encore vous, c'est votre volonté; le roi, c'est le gardien de la loi. 2o Sur le côté qui faisait face à la Seine, on voyait la figure de la Liberté avec tous les attributs de l'abondance et de l'agriculture; et de l'autre un génie planant dans les airs, avec ce mot: Constitution. Sur le côté qui faisait face au trône était tracé le serment fédératif. C'est sur cet autel que les bannières des départements et l'oriflamme de l'armée ont été bénites, et que la messe a été célébrée par M. l'évêque d'Autun.

Dès six heures du matin les fédérés civils et militaires se sont rassemblés sur le boulevard du Temple; chaque députation de département a reçu sa bannière, et cet immense cortége, dont le défilé a duré près de 4 heures,s'est mis en marche pour le Champ-de-Mars, en passant par les rues S.-Denis, de la Ferronerie, S.-Honoré, la place Louis XV, le Cours-la-Reine et le bas de Chaillot, jusqu'au pont de bateaux. Partout où passait le cortége il était accueilli par des applaudissements, et la joie publique ne cessait d'éclater malgré les grains de pluie et les averses qui n'ont presque pas discontinué jusqu'à 4 heures de l'aprèsmidi, que ce cortége a achevé d'entrer dans le camp de la fédération.

La marche était formée dans l'ordre suivant :

Une compagnie de cavalerie de la garde nationale avec quatre trompettes, le commandant a leur tête; une compagnie de grenadiers,précédée d'un corps de musique et de tambours; les électeurs de la ville de Paris; une compagnie de volontaires; les représentants de la commune; le comité militaire; une compagnie de chasseurs; les tambours de la ville; MM. les présidents des districts; MM. les députés des communes pour le pacte fédératif; les soixante administrateurs de la municipalité, entourés des gardes de la ville; l'Assemblée nationale précédée du bataillon des élèves militaires et de celui des vétérans, et entourée des détachements portant les drapeaux de la garde nationale parisienne.

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(Les députés se sont mêlés à la marche au pont tournant des Tuileries.)

Les députations des quarante-deux premiers départements par ordre alphabétique, ayant chacune à leur tête leurs bannières et leurs tambours.

ca

Les députations de l'armée de terre et de mer, pré cédées d'une oriflamme portée au milieu des deux ma réchaux de France qui étaient à la tête de cette dépu tation; suivaient les officiers-généraux, ceux de l'état major de l'armée, ceux de l'artillerie, du génie, et tous les députés des corps de l'armée, infanterie, valerie, dragons, chasseurs, hussards, suivant le rang qu'ils tiennent entre eux, ainsi que les troupes de la maison du roi et des princes, frères de Sa Majesté; les officiers de la marine et les députés de ce corps marchaient après les députés de l'armée de terre.

Les députations des autres 41 départements. La marche était fermée par un détachement de grenadiers et un de la garde nationale parisienne à cheval. En arrivant au Champ-de-Mars, tous les fédérés se sont rangés avec beaucoup d'ordre à leurs places indiquées, et dès que le cortége a paru, une salve générale de l'artillerie s'est fait entendre.

Les députations des départements ont fait approcher leurs bannières de l'autel, et l'armée son oriflamme; elles ont été bénites par le prélat officiant: les marches de l'autel étaient couvertes de lévites en aubes blanches.

Le roi et la famille royale ayant pris leurs places, ainsi que l'Assemblée nationale et toutes les députations, M. l'évêque d'Autun a dit la messe.

Dès qu'elle a été finie, M. Lafayette est monté à l'autel et, au nom de tous les fédérés, il a prononcé le serment de la fédération qui a été répété par tous les assistants au bruit du cliquetis de leurs armes. Tous les cœurs étaient élevés dans ce moment vers le ciel; ce mouvement majestueux et sublime a causé une émotion générale pendant que le canon se faisait entendre et portait au loin le témoignage du vœu solennel de toute la nation.

Ensuite le président de l'Assemblée s'est levé et a prononcé aussi le serment qui a été répété par tous les fédérés civils et militaires.

Enfin, S. M. s'étant levée, a prononcé son serment. C'est dans ce moment que les cris de vive la nation, le roi, l'Assemblée nationale, la reine et M. le dauphin se sont fait entendre dans le cirque et dans tous les environs.

Aussitôt le Te Deum a été entonné par le prélat officiant et exécuté par le corps de musique placé à côté

de l'autel.

Nous donnerons demain de nouveaux détails sur cette fête auguste, la plus majestueuse, la plus imposante qui, depuis que les fastes du monde nous sont connus, ait encore honoré l'espèce humaine.

La haine de la paix, l'esprit de vertige et l'amour du trouble semaient depuis longtemps des frayeurs sur le motif et l'exécution de la fête fédérale. Les cent bouches mensongères de la capitale avaient accru ces bruits, et trouvé dans leur absurdité même un moyen d'outrager ceux que l'ignorance ou l'intrigue ne cessent de présenter au peuple comme des coupables et dangereux ennemis de son bonheur.

Ces malheureuses idées fermentaient avec les dispositions publiques, et réagissaient péniblement sur la tranquillité des familles, les intérêts du commerce et de la société.

La municipalité de Paris et le département de police en particulier se sont efforcés, par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, de calmer ces inquiétudes, de dissiper ces vaines alarmes. On connaît la proclamation publiée à cet égard, et l'on sait que des commissaires nommés exprès ont rassuré la capitale contre

les soupçons malicieusemeut répandus de poudre cachée dans les souterrains, d'armes préparées et d'instruments de meurtre déposés dans les environs de l'Ecole militaire et du Champ-de-Mars. Ces atrocités, dignes de ceux qui les ont accréditées, ont fait peadant un mois le tourment des provinces et le motif des troubles de Paris.

Il ne suffisait point de tranquilliser les esprits; i fallait encore penser aux subsistances. L'abord d'un grand nombre d'étrangers devait nécessairement en accroître la consommation, et c'eût été un malheur public que la moindre disette dans un pareil instant. L'on a été rassuré par les soins de la municipalité pour l'abondance des farines, et S. M. a bien voulu, dès le 20 du mois dernier, accorder une prime de deux pour cent de la vente des bestiaux destinés aux marchés de Sceaux et de Poissy, jusqu'au 22 juillet inclusivement. A ces soins, l'on a joint ceux que la sûreté des individus, la commodité publique, l'état des choses et la disposition des lieux exigeaient. Le port d'armes, la marche des voitures, les travaux ordinaires, tout ce qui pouvait devenir une cause de gêne, de trouble ou d'inquiétude publique, a été sévèrement défendu ou positivement interdit.

L'ordre des gardes n'a point souffert de ces attentions multipliées. Dès la veille, chaque poste a eu son détachement disposé de manière à prévenir les besoins ordinaires ou accidentels de la ville.

Avec ces dispositions, le jour de la fête est arrivé. Dès le matin, les corps nombreux qui devaient assister au serment des fédérés, se sont trouvés au rendez-vous général. L'on y a vu successivement arriver la municipalité de Paris, la commune, l'assemblée du pacte fédératif, les électeurs, les présidents des districts, enfin les nombreux députés des troupes nationales et de s'étenligne qui, formés sur une colonne immense, daient de la barrière du Trône à l'arc de triomphe qui termine le boulevard Saint-Denis.

Ce cortége majestueux a traversé la ville dans sa plus grande longueur, et a reçu partout des témoignages de l'attachement et de la sensibilité du peuple. Une satisfaction calme a régné sur tous les visages, et le silence du sentiment n'a été interrompu que par les cris de vive la nation, vive le roi !

A deux heures le cortége a été aux Tuileries recevoir l'Assemblée nationale, où l'on avait arrêté que la réunion devait se faire.

On est arrivé au Champ-de-Mars: quel coup d'œil ! quel spectacle sublime! Deux cent mille hommes entourent l'autel de la patrie; ils attendent leurs frères, leurs législateurs et leur roi pour affermir une liberté encore agitée, sur les bases de la justice et de la foi des serments. Quel religieux sentiment domine cette multitude immense! Comme le peuple est sublime, lorsqu'il est tout entier au sentiment de sa propre grandeur!

Cependant l'Assemblée nationale et les corps civils se rangent autour du trône du monarque. Il n'a point encore paru; c'est à l'instant du serment que sa présence est nécessaire, c'est alors qu'il est attendu.

Déjà les fédérés sont entrés, les troupes de ligne rangées, un bataillon de jeunes enfants, l'espoir de la patrie, placés au-devant de l'autel; les vieillards sont derrière; les bannières ont reçu la bénédiction du ministre saint; le roi paraît. Quels cris d'allégresse! que de bras tendus vers lui! comme tout est agité!

Le silence renaît: le major-général de la fédération prononce, au nom des députés militaires, le serment fédéral; il est répété par tous, et reçu par le peuple, les législateurs et le roi.

Le président de l'Assemblee nationale le renouvelle conformémen ensuite, et tous les membres avec lui, au décret du 4 février dernier. Enfin le monarque, entouré de sa familie, de son

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Typ. Heuri Plon.

D'APRÈS DUPLESSI BERTAUX.

Fête de la Fédération au Champ-de-Mars (14 juillet 1790).

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