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marquer bien exactement le point où une telle devient invincible?

preuve

S'il y a dans le monde une histoire attestée, c'est celle des vampires; rien n'y manque, procès-verbaux, certificats de notables, de chirurgiens, de curés, de magistrats; la preuve juridique est des plus complétes. Avec cela, qui est-ce qui croit aux vampires? Serons-nous tous damnés pour n'y avoir pas cru?

Quelque attestés que soient, au gré même de l'incrédule Cicéron, plusieurs des prodiges rapportés par Tite Live, je les regarde comme autant de fables, et sûrement je ne suis pas le seul. Mon expérience constante et celle de tous les hommes est plus forte en ceci que le témoignage de quelques uns. Si Sparte et Rome ont été des prodiges elles-mêmes, c'étoient des prodiges dans le genre moral; et, comme on s'abuseroit en Laponie de fixer à quatre pieds la stature naturelle de l'homme, on ne s'abuseroit pas moins parmi nous de fixer la mesure des ames humaines sur celle des gens que l'on voit autour de soi.

Vous vous souviendrez, s'il vous plaît, que je continue ici d'examiner vos raisonnements en eux-mêmes, sans soutenir ceux que vous attaquez. Après ce mémoratif nécessaire je me permettrai sur votre manière d'argumenter encore une supposition.

Un habitant de la rue Saint-Jacques vient tenir ce discours à monsieur l'archevêque de Paris : « Monsei<«gneur, je sais que vous ne croyez ni à la béatitude « de saint Jean de Pàris, ni aux miracles qu'il a plu à « Dieu d'opérer en public sur sa tombe à la vue de la « ville du monde la plus éclairée et la plus nombreuse;

« mais je crois devoir vous attester que je viens de « voir ressuciter le saint en personne dans le lieu où « ses os ont été déposés. ›

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L'homme de la rue Saint-Jacques ajoute à cela le détail de toutes les circonstances qui peuvent frapper le spectateur d'un pareil fait. Je suis persuadé qu'à l'ouïe de cette nouvelle, avant de vous expliquer sur la foi que vous y ajoutez, vous commencerez par interroger celui qui l'atteste, sur son état, sur ses sentiments, sur son confesseur, sur d'autres articles semblables; et lorsqu'à son air comme à ses discours vous aurez compris que c'est un pauvre ouvrier, et que, n'ayant point à vous montrer de billet de confession, il vous confirmera dans l'opinion qu'il est janséniste, « Ah! ah! lui direz-vous d'un air railleur, « vous êtes convulsionnaire, et vous avez vu ressus« citer saint Pâris! cela n'est pas fort étonnant; vous << avez tant vu d'autres merveilles! >>

Toujours dans ma supposition, sans doute il insistera : il vous dira qu'il n'a point vu seul le miracle; qu'il avoit deux ou trois personnes avec lui qui ont vu la même chose, et que d'autres à qui il l'a voulu raconter disent l'avoir aussi vu eux-mêmes. Là-dessus vous demanderez si tous ces témoins étoient jansénistes. « Oui, monseigneur, dira-t-il; mais n'importe, << ils sont en nombre suffisant, gens de bonnes mœurs, « de bon sens, et non récusables; la preuve est com«pléte, et rien ne manque à notre déclaration pour << constater la vérité du fait. »

D'autres évêques moins charitables enverroient chercher un commissaire, et lui consigneroient le bon

homme honoré de la vision glorieuse, pour en aller rendre graces à Dieu aux Petites-Maisons. Pour vous, monseigneur, plus humain, mais non plus crédule, après une grave réprimande, vous vous contenterez de lui dire : « Je sais que deux ou trois témoins, hon" nêtes gens et de bon sens, peuvent attester la vie ou « la mort d'un homme; mais je ne sais pas encore combien il en faut pour constater la résurrection « d'un janséniste. En attendant que je l'apprenne, allez, mon enfant, tâchez de fortifier votre cerveau << creux. Je vous dispense du jeûne, et voilà de quoi « vous faire de bon bouillon. »

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C'est à peu près, monseigneur, ce que vous diriez, et ce que diroit tout autre homme sage à votre place. D'où je conclus que, même selon vous, et selon tout autre homme sage, les preuves morales suffisantes pour constater les faits qui sont dans l'ordre des possibilités morales ne suffisent plus pour constater des faits d'un autre ordre et purement surnaturels : sur quoi je vous laisse juger vous-même de la justesse de votre comparaison.

Voici pourtant la conclusion triomphante que vous en tirez contre moi : Son scepticisme n'est donc ici fondé que sur l'intérêt de son incrédulité 1. Monseigneur, si ́ jamais elle me procure un évêché de cent mille livres de rente, vous pourrez parler de l'intérêt de mon in

crédulité.

Continuons maintenant à vous transcrire, en prenant seulement la liberté de restituer, au besoin, les passages de mon livre que vous tronquez.

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Qu'un homme, ajoute-t-il plus loin, vienne nous << tenir ce langage: Mortels, je vous annonce les vo

« lontés du Très-Haut: reconnoissez à ma voix celui

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« cours,

qui m'envoie. J'ordonne au soleil de changer son aux étoiles de former un autre arrangement, « aux montagnes de s'aplanir, aux flots de s'élever, à « la terre de prendre un autre aspect : à ces merveilles, qui ne reconnoîtra pas à l'instant le maître de la na«<ture? » Qui ne croiroit, M. T. C. F., que celui qui s'exprime de la sorte ne demande qu'à voir des miracles pour être chrétien ?

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Bien plus que cela, monseigneur, puisque je n'ai pas même besoin des miracles pour être chrétien.

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Écoutez toutefois ce qu'il ajoute : « Reste enfin, dit«il, l'examen le plus important dans la doctrine an« noncée; car, puisque ceux qui disent que Dieu fait << ici-bas des miracles prétendent que le diable les imite quelquefois, avec les prodiges les mieux constatés << nous ne sommes pas plus avancés qu'auparavant ; <«et, puisque les magiciens de Pharaon osoient, en présence même de Moïse, faire les mêmes signes «qu'il faisoit par l'ordre exprès de Dieu, pourquoi, << dans son absence, n'eussent-ils pas, aux mêmes « titres, prétendu la même autorité? Ainsi donc, après avoir prouvé la doctrine par le miracle, il faut << prouver le miracle par la doctrine, de peur de pren

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« dre l'œuvre du démon pour l'œuvre de Dieu 1. Que

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<< faire en pareil cas pour éviter le dialėle? Une seule

'Je suis forcé de confondre ici la note avec le texte, à l'imitation de M. de Beaumont. Le lecteur pourra consulter l'un et l'autre dans le livre même. (Voyez tome IX, page 81 de cette édition.)

chose, revenir au raisonnement, et laisser là les mi<< racles. Mieux eût valu n'y pas recourir. >>

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C'est dire: Qu'on me montre des miracles, et je croirai. Oui, monseigneur, c'est dire : Qu'on me montre des miracles, et je croirai aux miracles. C'est dire: Qu'on me montre des miracles, et je refuserai encore de croire, Qui, monseigneur, c'est dire, selon le précepte même de Moïse : Qu'on me montre des miracles, et je refuserai encore de croire une doctrine absurde et déraisonnable qu'on voudroit étayer par eux. Je croirois plutôt à la magie que de reconnoître la voix de Dieu dans des leçons contre la raison.

J'ai dit que c'étoit là du bon sens le plus simple, qu'on n'obscurciroit qu'avec des distinctions tout au moins très subtiles: c'est encore une de mes prédictions; en voici l'accomplissement.

Quand une doctrine est reconnue vraie, divine, fondée sur une révélation certaine, on s'en sert pour juger des miracles, c'est-à-dire pour rejeter les prétendus prodiges que des imposteurs voudroient opposer à cette doctrine. Quand il s'agit d'une doctrine nouvelle qu'on annonce comme émanée du sein de Dieu, les miracles sont produits en preuves; c'est-à-dire que celui qui prend la qualité d'envoyé du Très-Haut confirme sa mission, sa, prédiçation par des miracles, qui sont le témoignage même de la Divinité. Ainsi la doctrine et les miracles sont des arguments respectifs dont on fait usage selon les divers points de vue où l'on se place dans l'étude et dans l'enseignement de la religion. Il ne se trouve là ni abus du raisonnement, ni sophisme ridicule, ni cercle vicieux 2.

I

Deutéron., cap. XIII. Mandement, § XVI.

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