Page images
PDF
EPUB

par cette considération si frappante et si naturelle, s'il fût né dans un autre pays, dans une autre

que,

secte, il prendroit infailliblement pour l'erreur ce qu'il prend pour la vérité, et pour la vérité ce qu'il prend pour l'erreur! Il importe tant aux hommes de tenir moins aux opinions qui les divisent qu'à celles qui les unissent! Et, au contraire, négligeant ce qu'ils -ont de commun, ils s'acharnent aux sentiments particuliers avec une espèce de rage; ils tiennent d'autant plus à ces sentiments qu'ils semblent moins raisonnables, et chacun voudroit suppléer, à force de confiance, à l'autorité que la raison refuse à son parti. Ainsi, d'accord au fond sur tout ce qui nous intéresse, et dont on ne tient aucun compte, on passe la vie à disputer, à chicaner, à tourmenter, à persécuter, à se battre pour les choses qu'on entend le moins, et qu'il est le moins nécessaire d'entendre; on entasse en vain décisions sur décisions; on plâtre en vain leurs contradictions d'un jargon inintelligible; on trouve.chaque jour de nouvelles questions à résoudre, chaque jour de nouveaux sujets de querelles, parceque chaque doctrine a des branches infinies, et que chacun, entêté de sa petite idée, croit essentiel ce qui ne l'est point, et néglige l'essentiel véritable. Que si on leur propose des objections qu'ils ne peuvent résoudre, ce qui, vu l'échafaudage de leurs doctrines, devient plus facile de jour en jour, ils se dépitent comme des enfants; et parcequ'ils sont plus attachés à leur parti qu'à la vérité, et qu'ils ont plus d'orgueil que de bonne foi, c'est sur ce qu'ils peuvent le moins prouver qu'ils pardonnent le moins quelque doute.

1

Ma propre histoire caractérise mieux qu'aucune autre le jugement qu'on doit porter des chrétiens d'aujourd'hui: mais comme elle en dit trop pour être crue, peut-être un jour fera-t-elle porter un jugement tout contraire; un jour peut-être ce qui fait aujourd'hui l'opprobre de mes contemporains fera leur gloire, et les simples qui liront mon livre diront avec admiration: Quels temps angéliques ce devoient êtrẻ que ceux où un tel livre a été brûlé comme impie, et son auteur poursuivi comme un malfaiteur! sans doute alors tous les écrits respiroient la dévotion la plus sublime, et la terre étoit couverte de saints.

Mais d'autres livres demeureront. On saura, par exemple, que ce même siècle a produit un panégyriste de la Saint-Barthélemi, François, et, comme on peut bien croire, homme d'église, sans que ni parlement ni prélat ait songé même à lui chercher querelle. Alors, en comparant la morale des deux livres et le sort des deux auteurs, on pourra changer de langage et tirer une autre conclusion.

Les doctrines abominables sont celles qui mènent au crime, au meurtre, et qui font des fanatiques. Eh! qu'y a-t-il de plus abominable au monde que de mettre l'injustice et la violence en système, et de les faire découler de la clémence de Dieu? Je m'abstiendrai d'entrer ici dans un parallèle qui pourroit vous déplaire : convenez seulement, monseigneur, que si la France eût professé la religion du prêtre savoyard, cette religion si simple et si pure, qui fait craindre Dieu et aimer les hommes, des fleuves de sang n'eussent point si souvent inondé les champs françois; ce peuple si

doux et si gai n'eût point étonné les autres de ses cruautés dans tant de persécutions et de massacres. Depuis l'inquisition de Toulouse jusqu'à la SaintBarthélemi, et depuis les guerres des Albigeois jusqu'aux Dragonades, le conseiller Anne Du Bourg n'eût point été pendu pour avoir opiné à la douceur envers les réformés ; les habitants de Mérindole et de Cabrières n'eussent point été mis à mort par arrêt du parlement d'Aix; et, sous nos yeux, l'innocent Calas, torturé par les bourreaux, n'eût point péri sur la roue. Revenons à présent, monseigneur, à vos censures et aux raisons sur lesquelles vous les fondez.

que

Ce sont toujours des hommes, dit le vicaire, qui nous attestent la parole de Dieu, et qui nous l'attestent en des langues qui nous sont inconnues. Souvent, au contraire, nous aurions grand besoin Dieu nous attestât la parole des hommes; il est bien sûr au moins qu'il eût pu nous donner la sienne sans se servir d'organes si suspects. Le vicaire se plaint qu'il faille tant de témoignages humains pour certifier la

' Il est vrai que Dominique, saint espagnol, y eut grande part. Le saint, selon un écrivain de son ordre, eut la charité, prêchant contre les Albigeois, de s'adjoindre de dévotes zélées personnes, pour la foi, lesquelles prissent le soin d'extirper corporellement et par le glaive matériel les hérétiques qu'il n'auroit pu vaincre avec le glaive de la parole de Dieu : Ob caritatem, prædicans contrà Albienses, in adjutorium sumsit quasdam devotas personas, zelantes pro fide, quæ corporaliter illos hæreticos gladio materiali expugnarent, quos ipse gladio verbi Dei amputare non posset. (Anton. in Chron. P. III, tit. 23, cap. 14, § 2.) Cette charité ne ressemble guère à celle du vicaire : aussi a-t-elle un prix bien différent; l'une fait décréter, et l'autre canoniser ceux qui la professent.

parole divine: Que d'hommes, dit-il, entre Dieu et moi!*

Vous répondez: Pour que cette plainte fût sensée, M. T. C. F., il faudroit pouvoir conclure que la révélation est fausse dès qu'elle n'a point été faite à chaque homme en particulier; il faudroit pouvoir dire: Dieu ne peut exiger de moi que je croie ce qu'on m'assure qu'il a dit, dès que ce n'est pas directement à moi qu'il a adressé sa parole 1.

Et, tout au contraire, cette plainte n'est sensée qu'en admettant la vérité de la révélation: car, si vous la supposez fausse, quelle plainte avez-vous à faire du moyen dont Dieu s'est servi, puisqu'il ne s'en est servi d'aucun? Vous doit-il compte des tromperies d'un imposteur? Quand vous vous laissez duper, c'est votre faute, et non pas la sienne. Mais lorsque Dieu, maître du choix de ses moyens, en choisit par préférence qui exigent de notre part tant de savoir et de si profondes discussions, le vicaire a-t-il tort de dire:

"

Voyons toutefois, examinons, comparons, vérifions.

« Oh! si Dieu eût daigné me dispenser de tout ce tra

«

**

<< vail, l'en aurois-je servi de moins bon cœur?» Monseigneur, votre mineure est admirable : il faut la transcrire ici tout entière : j'aime à rapporter vos propres termes ; c'est ma plus grande méchanceté.

Mais n'est-il donc pas une infinité de faits, même antérieurs à celui de la révélation chrétienne, dont il seroit absurde de douter? Par quelle autre voie que celle des témoignages humains l'auteur lui-même a-t-il donc connu

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

cette Sparte, cette Athènes, cette Rome dont il vante si souvent et avec tant d'assurance les lois, les mœurs et les héros! Que d'hommes entre lui et les historiens qui ont conservé la mémoire de ces événements!

de

Si la matière étoit moins grave et que j'eusse moins

respect pour vous, cette manière de raisonner me fourniroit peut-être l'occasion d'égayer un peu mes lecteurs : mais à Dieu ne plaise que j'oublie le ton qui convient au sujet que je traite et à l'homme à qui je parle! Au risque d'être plat dans ma réponse, il me suffit de montrer que vous vous trompez.

Considérez donc de grace qu'il est tout-à-fait dans l'ordre que des faits humains soient attestés par des témoignages humains; ils ne peuvent l'être par nulle autre voie : je ne puis savoir que Sparte et Rome ont existé que parceque des auteurs contemporains me le disent, et entre moi et un autre homme qui a vécu loin de moi, il faut nécessairement des intermédiaires. Mais pourquoi en faut-il entre Dieu et moi? et pourquoi en faut-il de si éloignés, qui en ont besoin de tant d'autres? Est-il simple, est-il naturel que Dieu ait été chercher Moïse pour parler à JeanJacques Rousseau?

D'ailleurs nul n'est obligé, sous peine de damnation, de croire que Sparte ait existé; nul, pour en avoir douté, ne sera dévoré des flammes éternelles. Tout fait dont nous ne sommes pas les témoins n'est établi pour nous que sur des preuves morales, et toute preuve morale est susceptible de plus et de moins. Croirai-je que la justice divine me précipite à jamais dans l'enfer, uniquement pour n'avoir pas su

« PreviousContinue »