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le bien-être de l'homme, puisque l'autre terme de la relation, qui est Dieu, est par sa nature au-dessus de tout ce que peut l'homme pour ou contre lui.

Mais ce sentiment, tout probable qu'il est, est sujet à de grandes difficultés par l'historique et les faits qui le contrarient. Les Juifs étoient les ennemis nés de tous les autres peuples, et ils commencèrent leur établissement par détruire sept nations, selon l'ordre exprès qu'ils en avoient reçu. Tous les chrétiens ont eu des guerres de religion, et la guerre est nuisible aux hommes; tous les partis ont été persécuteurs et persécutés, et la persécution est nuisible aux hommes; plusieurs sectes vantent le célibat, et le célibat est si nuisible1 à l'espèce humaine, que, s'il étoit suivi par

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La continence et la pureté ont leur usage, même pour la population: il est toujours beau de se commander à soi-même, et l'état de virginité est par ces raisons très digne d'estime : mais il ne s'ensuit pas qu'il soit beau, ni bon, ni louable, de persévérer toute la vie dans cet état, en offensant la nature et en trompant sa destination. L'on a plus de respect pour une jeune vierge nubile que pour une jeune femme; mais on en a plus pour une mère de famille que pour une vieille fille, et cela me paroît très sensé. Comme on ne se marie pas en naissant, et qu'il n'est pas même à propos de se marier fort jeune, la virginité, que tous ont dû porter et honorer, a sa nécessité, son utilité, son prix et sa gloire; mais c'est pour aller, quand il convient, déposer toute sa pureté dans le mariage. Quoi! disent-ils de leur air bêtement triomphant, des célibataires prêchent le nœud conjugal! pourquoi donc ne se marientils pas! Ah! pourquoi? parcequ'un état si saint et si doux en luimême est devenu, par vos sottes institutions, un état malheureux et ridicule, dans lequel il est désormais presque impossible de vivre sans être un fripon ou un sot. Sceptres de fer, lois insensées, c'est à vous que nous reprochons de n'avoir pu remplir nos devoirs sur la terre, et c'est par nous que le cri de la nature s'élève contre

tout, elle périroit. Si cela ne fait pas preuve pour décider, cela fait raison pour examiner ; et je ne demandois autre chose sinon qu'on permît cet examen.

Je ne dis ni ne pense qu'il n'y ait aucune bonne religion sur la terre; mais je dis, et il est trop vrai, qu'il n'y en a aucune, parmi celles qui sont ou qui ont été dominantes, qui n'ait fait à l'humanité des plaies cruelles. Tous les partis ont tourmenté leurs frères, tous ont offert à Dieu des sacrifices de sang humain. Quelle que soit la source de ces contradictions, elles existent est-ce un crime de vouloir les ôter?

La charité n'est point meurtrière; l'amour du prochain ne porte point à le massacrer. Ainsi le zéle du salut des hommes n'est point la cause des persécutions; c'est l'amour-propre et l'orgueil qui en sont lá cause. Moins un culte est raisonnable, plus on cherche à l'établir par la force: celui qui professe une doctrine insensée ne peut souffrir qu'on ose la voir telle qu'elle est. La raison devient alors le plus grand des crimes; à quelque prix que ce soit il faut l'ôter aux autres, parcequ'on a honte d'en manquer à leurs yeux. Ainsi l'intolérance et l'inconséquence ont la même source. Il faut sans cesse intimider, effrayer les hommes. Si vous les livrez un moment à leur raison, vous êtes perdus.

De cela seul il suit que c'est un grand bien à faire aux peuples dans ce délire que de leur apprendre à raisonner sur la religion : car c'est les rapprocher des devoirs de l'homme, c'est ôter le poignard à l'intolé

votre barbarie. Comment osez-vous la pousser jusqu'à nous reprocher la misère où vous nous avez réduits ?

rance, c'est rendre à l'humanité tous ses droits. Mais il faut remonter à des principes généraux et communs à tous les hommes; car si, voulant raisonner, vous laissez quelque prise à l'autorité des prêtres, vous rendez au fanatisme son arme, et vous lui fournissez de quoi devenir plus cruel.

Celui qui aime la paix ne doit point recourir à des livres, c'est le moyen de ne rien finir. Les livres sont des sources de disputes intarissables : parcourez l'histoire des peuples, ceux qui n'ont point de livres ne disputent point. Voulez-vous asservir les hommes à des autorités humaines; l'un sera plus près, l'autre plus loin de la preuve ; ils en seront diversement affectés avec la bonne foi la plus entière, avec le meilleur jugement du monde, il est impossible qu'ils soient jamais d'accord. N'argumentez point sur des arguments et ne vous fondez point sur des discours. Le langage humain n'est pas assez clair. Dieu lui-même, s'il daignoit nous parler dans nos langues, ne nous diroit rien sur quoi l'on ne pût disputer.

Nos langues sont l'ouvrage des hommes, et les hommes sont bornés. Nos langues sont l'ouvrage des hommes, et les hommes sont menteurs. Comme il n'y a point de vérité si clairement énoncée où l'on ne puisse trouver quelque chicane à faire, il n'y a point de si grossier mensonge qu'on ne puisse étayer de quelque fausse raison.

Supposons qu'un particulier vienne à minuit nous crier qu'il est jour, on se moquera de lui: mais laissez à ce particulier le temps et les moyens de se faire une secte, tôt ou tard ses partisans viendront à bout

de vous prouver qu'il disoit vrai: car enfin, dirontils, quand il a prononcé qu'il étoit jour, il étoit jour en quelque lieu de la terre, rien n'est plus certain. D'autres, ayant établi qu'il y a toujours dans l'air quelques particules de lumière, soutiendront qu'en un autre sens encore il est très vrai qu'il est jour la nuit. Pourvu que des gens subtils s'en mêlent, bientôt on vous fera voir le soleil en plein minuit. Tout le monde ne se rendra pas à cette évidence. Il y aura des débats qui dégénèreront, selon l'usage, en guerres et en cruautés. Les uns voudront des explications, les autres n'en voudront point; l'un voudra prendre la proposition au figuré, l'autre au propre. L'un dira: Il a dit à minuit qu'il étoit jour, et il étoit nuit. L'autre dira: Il a dit à minuit qu'il étoit jour, et il étoit jour. Chacun taxera de mauvaise foi le parti contraire, et n'y verra que des obstinés. On finira par se battre, se massacrer, les flots de sang couleront de toutes parts; et si la nouvelle 'secte est enfin victorieuse, il restera démontré qu'il est jour la nuit. C'est à peu près l'histoire de toutes les querelles de religion.

La plupart des cultes nouveaux s'établissent par le fanatisme, et se maintiennent par l'hypocrisie; de là vient qu'ils choquent la raison et ne mènent point à la vertu. L'enthousiasme et le délire ne raisonnent pas; tant qu'ils durent, tout passe, et l'on marchande peu sur les dogmes: cela est d'ailleurs si commode! la doctrine coûte si peu à suivre, et la morale coûte tant à pratiquer, qu'en se jetant du côté le plus facile on rachète les bonnes œuvres par le mérite d'une grande foi. Mais, quoi qu'on fasse, le fanatisme est un

état de crise qui ne peut durer toujours: il a ses accès plus ou moins longs, plus ou moins fréquents, et il a aussi ses relâches, durant lesquels on est de sang froid. C'est alors qu'en revenant sur soi-même on est tout surpris de se voir enchaîné par tant d'absurdités. Cependant le culte est réglé, les formes sont prescrites, les lois sont établies, les transgresseurs sont punis. Ira-t-on protester seul contre tout cela, récuser les lois de son pays et renier la religion de son père? Qui l'oseroit? On se soumet en silence; l'intérêt veut qu'on soit de l'avis de celui dont on hérite. On fait donc comme les autres, sauf à rire à son aise en particulier de ce qu'on feint de respecter en public. Voilà, monseigneur, comme pense le gros des hommes dans la plupart des religions, et surtout dans la vôtre; et voilà la clef des inconséquences qu'on remarque entre leur morale et leurs actions. Leur croyance n'est qu'apparence, et leurs mœurs sont comme leur foi.

Pourquoi un homme a-t-il inspection sur la croyance d'un autre? et pourquoi l'état a-t-il inspection sur celle des citoyens? C'est parcequ'on suppose que la croyance des hommes détermine leur morale, et que des idées qu'ils ont de la vie à venir dépend leur conduite en celle-ci. Quand cela n'est pas, qu'importe ce qu'ils croient ou ce qu'ils font semblant de croire? L'apparence de la religion ne sert plus qu'à les dispenser d'en avoir une.

Dans la société chacun est en droit de s'informer si un autre se croit obligé d'être juste, et le souverain est en droit d'examiner les raisons sur lesquelles chacun fonde cette obligation. De plus, les formes natio

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