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Je n'ai

pas toujours eu le bonheur de vivre seul; j'ai fréquenté des hommes de toute espéce; j'ai vu des gens de tous les partis, des croyants de toutes les sectes, des esprits forts de tous les systèmes; j'ai vu des grands, des petits, des libertins, des philosophes; j'ai eu des amis sûrs et d'autres qui l'étoient moins; j'ai été environné d'espions, de malveillants, et le monde est plein de gens qui me haïssent à cause du mal qu'ils m'ont fait. Je les adjure tous, quels qu'ils puissent être, de déclarer au public ce qu'ils savent de ma croyance en matière de religion; si dans le commerce le plus suivi, si dans la plus étroite familiarité, si dans la gaieté des repas, si dans les confidences du tête-àtête, ils m'ont jamais trouvé différent de moi-même ; si, lorsqu'ils ont voulu disputer ou plaisanter, leurs arguments ou leurs railleries m'ont un moment ébranlé; s'ils m'ont surpris à varier dans mes senti ments; si dans le secret de mon cœur ils en ont péné tré que je cachois au public; si, dans quelque temps que ce soit, ils ont trouvé en moi une ombre de fausseté ou d'hypocrisie: qu'ils le disent, qu'ils révélent tout, qu'ils me dévoilent; j'y consens, je les en prie, je les dispense du secret de l'amitié; qu'ils disent hautement, non ce qu'ils voudroient que je fusse, mais ce qu'ils savent que je suis qu'ils me jugent selon leur conscience; je leur confie mon honneur sans crainte, et je promets de ne les point récuser.

Que ceux qui m'accusent d'être sans religion, parcequ'ils ne conçoivent pas qu'on en puisse avoir une, s'accordent au moins s'ils peuvent entre eux. Les uns ne trouvent dans mes livres qu'un système d'athéisme:

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les autres disent que je rends gloire à Dieu dans mes livres sans y croire au fond de mon cœur. Ils taxent mes écrits d'impiété et mes sentiments d'hypocrisie. Mais si je prêche en public l'athéisme, je ne suis donc pas un hypocrite; et si j'affecte une foi que je n'ai point, je n'enseigne donc pas l'impiété. En entassant des imputations contradictoires, la calomnie se découvre elle-même : mais la malignité est aveugle, et la passion ne raisonne pas.

Je n'ai pas, il est vrai, cette foi dont j'entends se vanter tant de gens d'une probité si médiocre, cette foi robuste qui ne doute jamais de rien, qui croit sans façon tout ce qu'on lui présente à croire, et qui met à part ou dissimule les objections qu'elle ne sait pas résoudre. Je n'ai pas le bonheur de voir dans la révélation l'évidence qu'ils y trouvent; et si je me détermine pour elle, c'est parceque mon cœur m'y porte, qu'elle n'a rien que de consolant pour moi, et qu'à la rejeter les difficultés ne sont pas moindres; mais ce n'est pas parceque je la vois démontrée; car très sûrement elle ne l'est pas à mes yeux. Je ne suis pas même assez instruit, à beaucoup près, pour qu'une démonstration qui demande un si profond savoir, soit jamais à ma portée. N'est-il pas plaisant que moi, qui propose ouvertement mes objections et mes doutes, je sois l'hypocrite, et que tous ces gens si décidés, qui disent sans cesse croire fermement ceci et cela, que ces gens, , si sûrs de tout sans avoir pourtant de meilleures preuves que les miennes, que ces gens enfin dont la plupart ne sont guère plus savants que moi, et qui, sans lever mes difficultés, me reprochent de

les avoir proposées, soient les gens de bonne foi? Pourquoi serois-je un hypocrite? et que gagnerois-je à l'être? J'ai attaqué tous les intérêts particuliers, j'ai suscité contre moi tous les partis, je n'ai soutenu que la cause de Dieu et de l'humanité: et qui est-ce qui s'en soucie? Ce que j'en ai dit n'a pas même fait la moindre sensation, et pas une ame ne m'en a su gré. Si je me fusse ouvertement déclaré pour l'athéisme, les dévots ne m'auroient pas fait pis, et d'autres ennemis non moins dangereux ne me porteroient point leurs coups en secret. Si je me fusse ouvertement déclaré pour l'athéisme, les uns m'eussent attaqué avec plus de réserve, en me voyant défendu par les autres et disposé moi-même à la vengeance: mais un homme qui craint Dieu n'est guère à craindre ; son parti n'est pas redoutable; il est seul ou à peu près, et l'on est sûr de pouvoir lui faire beaucoup de mal avant qu'il songe à le rendre. Si je me fusse ouvertement déclaré pour l'athéisme, en me séparant ainsi de l'Église, j'aurois ôté tout d'un coup à ses ministres le de me harceler sans cesse et de me faire endurer toutes leurs petites tyrannies; je n'aurois point essuyé tant d'ineptes censures, et, au lieu de me blâmer si aigrement d'avoir écrit, il eût fallu me réfuter, ce qui n'est pas tout-à-fait si facile. Enfin, si je me fusse ouvertement déclaré pour l'athéisme, on eût d'abord un peu clabaudé, mais on m'eût bientôt laissé en paix comme tous les autres; le peuple du Seigneur n'eût point pris inspection sur moi, chacun n'eût point cru me faire grace en ne me traitant pas en excommunié, et j'eusse été quitte à quitte avec tout

moyen

le monde; les saintes en Israël ne m'auroient point écrit des lettres anonymes, et leur charité ne se fût point exhalée en dévotes injures: elles n'eussent point pris la peine de m'assurer humblement que j'étois un scélérat, un monstre exécrable, et que le monde eût été trop heureux si quelque bonne ame eût pris le soin de m'étouffer au berceau d'honnêtes gens, de leur côté, me regardant alors comme un réprouvé, ne se tourmenteroient et ne me tourmenteroient point pour me ramener dans la bonne voie; ils ne me tirailleroient pas à droite et à gauche, ils ne m'étoufferoient pas sous le poids de leurs sermons, ils ne me forceroient pas de bénir leur zèle en maudissant leur importunité, et de sentir avec reconnoissance qu'ils sont appelés à me faire périr d'ennui.

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Monseigneur, si je suis un hypocrite, je suis un fou, puisque, pour ce que je demande aux hommes, c'est une grande folie de se mettre en frais de fausseté. Si je suis un hypocrite, je suis un sot; car il faut l'être beaucoup pour ne pas voir que le chemin que j'ai pris ne mène qu'à des malheurs dans cette vie, et que, quand j'y pourrois trouver quelque avantage, je n'en puis profiter sans me démentir. Il est vrai que j'y suis à temps encore; je n'ai qu'à vouloir un moment tromper les hommes, et je mets à mes pieds tous mes ennemis. Je n'ai point encore atteint la vieillesse; je puis avoir long-temps à souffrir; je puis voir changer derechef le public sur mon compte: mais si jamais j'arrive aux honneurs et à la fortune, par quelque route que j'y parvienne, alors je serai un hypocrite, cela est sûr.

La gloire de l'ami de la vérité n'est point attachée à telle opinion plutôt qu'à telle autre : quoi qu'il dise, pourvu qu'il le pense, il tend à son but. Celui qui n'a d'autre intérêt que d'être vrai n'est point tenté de mentir, et il n'y a nul homme sensé qui ne préfère le moyen le plus simple, quand il est aussi le plus sûr. Mes ennemis auront beau faire avec leurs injures, ils ne m'ôteront point l'honneur d'être un homme véridique en toute chose, d'être le seul auteur de mon siècle et de beaucoup d'autres qui ait écrit de bonne foi, et qui n'ait dit que ce qu'il a cru: ils pourront un moment souiller ma réputation à force de rumeurs et de calomnies, mais elle en triomphera tôt ou tard; car, tandis qu'ils varieront dans leurs imputations ridicules, je resterai toujours le même, et, sans autre art que ma franchise, j'ai de quoi les désoler toujours.

Mais cette franchise est déplacée avec le public! Mais toute vérité n'est pas bonne à dire! Mais, bien que tous les gens sensés pensent comme vous, il n'est pas bon que le vulgaire pense ainsi! Voilà ce qu'on me crie de toutes parts; voilà peut-être ce que vous me diriez vous-même si nous étions tête à tête dans votre cabinet. Tels sont les hommes: ils changent de langage comme d'habit; ils ne disent la vérité qu'en robe-de-chambre; en habit de parade ils ne savent plus que mentir; et non seulement ils sont trompeurs et fourbes à la face du genre humain, mais ils n'ont pas honte de punir contre leur conscience quiconque ose n'être pas fourbe et trompeur public comme eux. Mais ce principe est-il bien vrai, que toute vérité n'est pas bonne à dire? Quand il le seroit, s'ensuivroit-il

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