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<< sence infinie, moins je la conçois : mais elle est, cela « me suffit; moins je la conçois, plus je l'adore. Je << m'humilie et lui dis: Être des êtres, je suis parceque « tu es, c'est m'élever à ma source que de te méditer « sans cesse; le plus digne usage de ma raison est de « s'anéantir devant toi; c'est mon ravissement d'esprit, « c'est le charme de ma foiblesse de me sentir accablé « de ta grandeur. »

Voilà ma réponse, et je la crois péremptoire. Fautil vous dire à présent où je l'ai prise? je l'ai tirée mot à mot de l'endroit même que vous accusez de contradiction *. Vous en usez comme tous mes adversaires, qui, pour me réfuter, ne font qu'écrire les objections que je me suis faites, et supprimer mes solutions. La réponse est déjà toute prête; c'est l'ouvrage qu'ils ont réfuté.

Nous avançons, monseigneur, vers les discussions les plus importantes.

Après avoir attaqué mon système et mon livre, vous attaquez aussi ma religion; et parceque le yicaire catholique fait des objections contre son Église, vous cherchez à me faire passer pour ennemi de la mienne : comme si proposer des difficultés sur un sentiment, c'étoit y renoncer; comme si toute connoissance humaine n'avoit pas les siennes; comme si la géométrie elle-même n'en avoit pas, ou que les géomètres se fissent une loi de les taire pour ne pas nuire à la certitude de leur art!

La réponse que j'ai d'avance à vous faire, est de

Émile, tome II, page 52.

vous déclarer, avec ma franchise ordinaire, mes sentiments en matière de religion, tels que je les ai professés dans tous mes écrits, et tels qu'ils ont toujours été dans ma bouche et dans mon cœur. Je vous dirai de plus pourquoi j'ai publié la Profession de foi du vicaire, et pourquoi, malgré tant de clameurs, je la tiendrai toujours pour l'écrit le meilleur et le plus utile. dans le siècle où je l'ai publiée. Les bûchers ni les décrets ne me feront point changer de langage; les théologiens, en m'ordonnant d'être humble, ne me feront point être faux ; et les philosophes, en me taxant d'hypocrisie, ne me feront point professer l'incrédulité. Je dirai ma religion, parceque j'en ai une ; et je la dirai hautement, parceque j'ai le courage de la dire, et qu'il seroit à desirer pour le bien des hommes que ce fût celle du genre humain.

Monseigneur, je suis chrétien, et sincèrement chrétien, selon la doctrine de l'Évangile. Je suis chrétien, non comme un disciple des prêtres, mais comme un disciple de Jésus-Christ. Mon maître a peu subtilisé sur le dogme et beaucoup insisté sur les devoirs : il prescrivoit moins d'articles de foi que de bonnes œuvres; il n'ordonnoit de croire que ce qui étoit nécessaire pour être bon; quand il résumoit la loi et les pro phètes, c'étoit bien plus dans des actes de vertu que dans des formules de croyance ; et il m'a dit par luimême et par ses apôtres que celui qui aime son frère a accompli la loi2.

Moi, de mon côté, très convaincu des vérités essen

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tielles au christianisme, lesquelles servent de fondement à toute bonne morale, cherchant au surplus à nourrir mon cœur de l'esprit de l'Évangile sans tourmenter ma raison de ce qui m'y paroît obscur; enfin, persuadé que quiconque aime Dieu par-dessus toute chose et son prochain comme soi-même est un vrai chrétien, je m'efforce de l'être, laissant à part toutes ces subtilités de doctrine, tous ces importants galimatias dont les pharisiens embrouillent nos devoirs et offusquent notre foi, et mettant avec saint Paul la foi même au-dessous de la charité 1.

Heureux d'être né dans la religion la plus raisonnable et la plus sainte qui soit sur la terre, je reste inviolablement attaché au culte de mes pères: comme eux je prends l'Écriture et la raison pour les uniques règles de ma croyance; comme eux je récuse l'autorité des hommes, et n'entends me soumettre à leurs formules qu'autant que j'en aperçois la vérité; comme eux je me réunis de cœur avec les vrais serviteurs de Jésus-Christ et les vrais adorateurs de Dieu pour lui offrir dans la communion des fidéles les hommages de son Église, Il m'est consolant et doux d'être compté parmi ses membres, de participer au culte public qu'ils rendent à la Divinité, et de me dire au milieu d'eux : Je suis avec mes frères.

Pénétré de reconnoissance pour le digne pasteur qui, résistant au torrent de l'exemple, et jugeant dans la vérité, n'a point exclus de l'Église un défenseur de la cause de Dieu, je conserverai toute ma vie un ten

'I. Cor., XIII, 2, 13.

dre souvenir de sa charité vraiment chrétienne. Je me ferai toujours une gloire d'être compté dans son troupeau, et j'espère n'en point scandaliser les membres, ni par mes sentiments ni par ma conduite. Mais lorsque d'injustes prêtres, s'arrogeant des droits qu'ils n'ont pas, voudront se faire les arbitres de ma croyance, et viendront me dire arrogamment : Rétractez-vous, déguisez-vous, expliquez ceci, désavouez cela; leurs hauteurs ne m'en imposeront point; ils ne me feront point mentir pour être orthodoxe, ni dire pour leur plaire ce que je ne pense pas. Que si ma véracité les offense, et qu'ils veuillent me retrancher de l'Église, je craindrai peu cette menace dont l'exécution n'est pas en leur pouvoir. Ils ne m'empêcheront pas d'être uni de cœur avec les fidèles ; ils ne m'ôteront pas du rang des élus si j'y suis inscrit. Ils peuvent m'en ôter les consolations dans cette vie, mais non l'espoir dans celle qui doit la suivre; et c'est là que mon vœu le plus ardent et le plus sincère est d'avoir Jésus-Christ même pour arbitre et pour juge entre eux et moi.

Tels sont, monseigneur, mes vrais sentiments, que je ne donne pour régle à pour régle à personne, mais que je déclare être les miens, et qui resteront tels tant qu'il plaira, non aux hommes, mais, à Dieu, seul maître de changer mon cœur et ma raison; car aussi long-temps que je serai ce que je suis et que je penserai comme je pense, je parlerai comme je parle : bien différent, je l'avoue, de vos chrétiens en effigie, toujours prêts à croire ce qu'il faut croire, ou à dire ce qu'il faut dire, pour leur intérêt ou pour leur repos, et toujours sûrs d'être assez bons chrétiens, pourvu qu'on ne brûle pas

leurs livres et qu'ils ne soient pas décrétés. Ils vivent en gens persuadés que non seulement il faut confesser tel et tel article, mais que cela suffit pour aller en paradis; et moi je pense, au contraire, que l'essentiel de la religion consiste en pratique; que non seulement il faut être homme de bien, miséricordieux, humain, charitable, mais que quiconque est vraiment tel en croit assez pour être sauvé. J'avoue au reste que leur doctrine est plus commode que la mienne, et qu'il en

coûte bien moins de se mettre au nombre des fidéles par des opinions que par des vertus.

Que si j'ai dû garder ces sentiments pour moi seul, comme ils ne cessent de le dire; si, lorsque j'ai eu le courage de les publier et de me nommer, j'ai attaqué les lois et troublé l'ordre public; c'est ce que j'examinerai tout-à-l'heure. Mais qu'il me soit permis auparavant de vous supplier, monseigneur, vous et tous ceux qui liront cet écrit, d'ajouter quelque foi aux déclarations d'un ami de la vérité, et de ne pas imiter ceux qui, sans preuve, sans vraisemblance, et sur le seul témoignage de leur propre cœur, m'accusent d'athéisme et d'irréligion contre des protestations si positives, et que rien de ma part n'a jamais démenties. Je n'ai pas trop, ce me semble, l'air d'un homme qui se déguise, et il n'est pas aisé de voir quel intérêt j'aurois à me déguiser ainsi. L'on doit présumer que celui qui s'exprime si librement sur ce qu'il ne croit pas, est sincère en ce qu'il dit croire; et quand ses discours, sa conduite et ses écrits, sont toujours d'accord sur ce point, quiconque ose affirmer qu'il ment, et n'est pas un dieu, ment infailliblement lui-même.

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