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appel un appel; c'est une grace qu'on implore en justice, un recours en cassation d'arrêt: on ne comprend pas ce que c'est. Croit-on que si le petit Conseil n'eût bien senti que ce dernier recours étoit sans conséquence, il s'en fût volontairement dépouillé comme il fit? Ce désintéressement n'est pas dans ses maximes.

Si les jugements du petit Conseil ne sont pas toujours confirmés en Deux-cents, c'est dans les affaires particulières et contradictoires, où il n'importe guère au magistrat laquelle des deux parties perde ou gagne son procès; mais dans les affaires qu'on poursuit d'office, dans toute affaire où le Conseil lui-même prend intérêt, le Deux-cents répare-t-il jamais ses injustices, protège-t-il jamais l'opprimé, ose-t-il ne pas confirmer tout ce qu'a fait le Conseil, usa-t-il jamais une seule fois avec honneur de son droit de faire grace? Je rappelle à regret des temps dont la mémoire est terrible et nécessaire. Un citoyen que le Conseil immole à sa vengeance a recours au Deux-cents; l'infortuné s'avilit jusqu'à demander grace; son innocence n'est ignorée de personne; toutes les règles ont été violées dans son procès : la grace est refusée, et l'innocent périt. Fatio sentit si bien l'inutilité du recours au Deux-cents, qu'il ne daigna pas s'en servir.

Je vois clairement ce qu'est le Deux-cents à Zurich, à Berne, à Fribourg, et dans les autres états aristocratiques; mais je ne saurois voir ce qu'il est dans votre constitution, ni quelle place il y tient. Est-ce un tribunal supérieur? en ce cas il est absurde que le tribunal inférieur y siège. Est-ce un corps qui représente le souverain? en ce cas c'est au représenté de nommer

son représentant. L'établissement du Deux-cents ne peut avoir d'autre fin que de modérer le pouvoir énorme du petit Conseil ; et au contraire il ne fait que donner plus de poids à ce même pouvoir. Or, tout corps qui agit constamment contre l'esprit de son institution est mal institué.

Que sert d'appuyer ici sur des choses notoires qui ne sont ignorées d'aucun Genevois? Le Deux-cents n'est rien par lui-même ; il n'est que le petit Conseil qui reparoît sous une autre forme. Une seule fois il voulut tâcher de secouer le joug de ses maîtres et se donner une existence indépendante, et par cet unique effort l'état faillit être renversé. Ce n'est qu'au seul Conseil général que le Deux-cents doit encore une apparence d'autorité. Cela se vit bien clairement dans l'époque dont je parle, et cela se verra bien mieux dans la suite, si le petit Conseil parvient à son but: ainsi, quand, de concert avec ce dernier, le Deux-cents travaille a déprimer le Conseil général, il travaille à sa propre ruine; et s'il croit suivre les brisées du Deux-cents de Berne, il prend bien grossièrement le change. Mais on a presque toujours vu dans ce corps peu de lumières et moins de courage; et cela ne peut guère être autrement par la manière dont il est rempli 1.

I

Ceci s'entend en général, et seulement de l'esprit du corps; car je sais qu'il y a dans le Deux-cents des membres très éclairés, et qui ne manquent pas de zèle : mais incessamment sous les yeux du petit conseil, livrés à sa merci, sans appui, sans ressource, et sentant bien qu'ils seroient abandonnés de leur corps, ils s'abstiennent de tenter des démarches inutiles qui ne feroient que les com

Vous voyez, monsieur, combien, au lieu de spécifier les droits du Conseil souverain, il eût été plus utile de spécifier les attributions des corps qui lui sont subordonnés ; et sans aller plus loin, vous voyez plus évidemment encore que, par la force de certains articles pris séparément, le petit Conseil est l'arbitre suprême des lois, et par elle du sort de tous les particuliers. Quand on considère les droits des citoyens et bourgeois assemblés en Conseil général, rien n'est plus brillant; mais considérez hors de là ces mêmes citoyens et bourgeois comme individus, que sont-ils? que deviennent-ils? Esclaves d'un pouvoir arbitraire, ils sont livrés sans défense à la merci de vingt-cinq despotes: les Athéniens du moins en avoient trente. Et que dis-je vingt-cinq? neuf suffisent pour un jugement civil, treize pour un jugement criminel 1. Sept ou huit, d'accord dans ce nombre, vont être pour vous autant de décemvirs: encore les décemvirs furent-ils élus par le peuple; au lieu qu'aucun de ces juges n'est de votre choix : et l'on appelle cela être libres!

promettre et les perdre. La vile tourbe bourdonne et triomphe; le sage se tait et gémit tout bas.

Au reste, le Deux-cents n'a pas toujours été dans le discrédit où il est tombé. Jadis, il jouit de la considération publique et de la confiance des citoyens : aussi lui laissoient-ils sans inquiétude exercer les droits du conseil général, que le petit conseil tâcha dès-lors d'attirer à lui par cette voie indirecte. Nouvelle preuve de ce qui sera dit plus bas, que la bourgeoisie de Genève est peu remuante, et ne cherche guère à s'intriguer des affaires d'état.

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Édits civils, tit. I, art. xxxvi.

LETTRE VIII.

Esprit de l'édit de la médiation. Contre-poids qu'il donne à la puissance aristocratique. Entreprise du petit conseil d'anéantir ce contre-poids par voie de fait. Examen des inconvénients allégués. Système des édits sur les emprisonnements.

J'ai tiré, monsieur, l'examen de votre gouvernement présent du réglement de la médiation par lequel ce gouvernement est fixé; mais, loin d'imputer aux médiateurs d'avoir voulu vous réduire en servitude, je prouverois aisément, au contraire, qu'ils ont rendu votre situation meilleure à plusieurs égards qu'elle n'étoit avant les troubles qui vous forcèrent d'accepter leurs bons offices. Ils ont trouvé une ville en armes; tout étoit à leur arrivée dans un état de crise et de confusion qui ne leur permettoit pas de tirer de cet état la règle de leur ouvrage. Ils sont remontés aux temps pacifiques, ils ont étudié la constitution primitive de votre gouvernement: dans les progrès qu'il avoit déjà faits, pour le remonter il eût fallu le refondre; la raison, l'équité, ne permettoient pas qu'ils vous en donnassent un autre, et vous ne l'auriez pas accepté. N'en pouvant donc ôter les défauts, ils ont borné leurs soins à l'affermir tel que l'avoient laissé vos pères : ils l'ont corrigé même en divers points; et des abus que je viens de remarquer, il n'y il n'y en a pas un qui n'existât dans la république long-temps avant que les médiateurs en eussent pris connoissance. Le seul

tort qu'ils semblent vous avoir fait, a été d'ôter au législateur tout exercice du pouvoir exécutif, et l'usage de la force à l'appui de la justice: mais en vous donnant une ressource aussi sûre et plus légitime, ils ont changé ce mal apparent en un vrai bienfait; en se rendant garants de vos droits, ils vous ont dispensés de les défendre vous-mêmes. Eh! dans la misère des choses humaines, quel bien vaut la peine d'être acheté du sang de nos frères? La liberté même est trop chère à ce prix.

Les médiateurs ont pu se tromper, ils étoient hommes; mais ils n'ont point voulu vous tromper, ils ont voulu être justes, cela se voit, même cela se prouve; et tout montre en effet que ce qui est équivoque ou défectueux dans leur ouvrage vient souvent de nécessité, quelquefois d'erreur, jamais de mauvaise volonté. Ils avoient à concilier des choses presque incompatibles, les droits du peuple et les prétentions du Conseil, l'empire des lois et la puissance des hommes, l'indépendance de l'état et la garantie du réglement. Tout cela ne pouvoit se faire sans un peu de contradiction; et c'est de cette contradiction que votre magistrat tire avantage, en tournant tout en sa faveur, et faisant servir la moitié de vos lois à violer l'autre.

Il est clair d'abord que le règlement lui-même n'est point une loi que les médiateurs aient voulu imposer à la république, mais seulement un accord qu'ils ont établi entre ses membres. et qu'ils n'ont par conséquent porté nulle atteinte à sa souveraineté. Cela est clair, dis-je, par l'article XLIV, qui laisse au Conseil

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