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<«<en a bien mérité; il l'a honorée dans l'Europe; et « tandis que ses compatriotes avoient honte du nom genevois, il en a fait gloire, il l'a réhabilité chez « l'étranger. Il a donné ci-devant des conseils utiles; * il vouloit le bien public; il s'est trompé, mais il étoit pardonnable. Il a fait les plus grands éloges des magistrats, il cherchoit à leur rendre la confiance de la <«< bourgeoisie; il a défendu la religion des ministres, il « méritoit quelque retour de la part de tous. Et de quel front eussent-ils osé sévir, pour quelques er<< reurs, contre le défenseur de la Divinité, contre l'apologiste de la religion si généralement attaquée, « tandis qu'ils toléroient, qu'ils permettoient même << les écrits les plus odieux, les plus indécents, les plus « insultants au christianisme, aux bonnes mœurs, les << plus destructifs de toute vertu, de toute morale, ceux i même que Rousseau a cru devoir réfuter? On eût « cherché les motifs secrets d'une partialité si cho« quante, on les eût trouvés dans le zèle de l'accusé << pour la liberté, et dans les projets des juges pour la « détruire. Rousseau eût passé pour le martyr des lois « de sa patrie. Ses persécuteurs, en prenant en cette << seule occasion le masque de l'hypocrisie, eussent « été taxés de se jouer de la religion, d'en faire l'arme « de leur vengeance et l'instrument de leur haine. <«< Enfin, par cet empressement de punir un homme dont l'amour pour sa patrie est le plus grand crime, <«< ils n'eussent fait que se rendre odieux aux gens de <«< bien, suspects à la bourgeoisie, et méprisables aux « étrangers. » Voilà, monsieur, ce qu'on auroit pu dire; voilà tout le risque qu'auroit couru le Conseil

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dans le cas supposé du délit, en s'abstenant d'en con

noître.

Quelqu'un a eu raison de dire qu'il falloit brûler l'Évangile ou les livres de M. Rousseau.

La commode méthode que suivent toujours ces messieurs contre moi! S'il leur faut des preuves, ils multiplient les assertions; et s'il leur faut des témoignages, ils font parler des quidams.

La sentence de celui-ci n'a qu'un sens qui ne soit pas extravagant, et ce sens est un blasphème.

Car quel blasphème n'est-ce pas de supposer l'Évangile et le recueil de mes livres si semblables dans leurs maximes qu'ils se suppléent mutuellement, et qu'on en puisse indifféremment brûler un comme superflu, pourvu que l'on conserve l'autre ! Sans doute, j'ai suivi du plus près que j'ai pu la doctrine de l'Évangile ; je l'ai aimée, je l'ai adoptée, étendue, expliquée, sans m'arrêter aux obscurités, aux difficultés, aux mystères, sans me détourner de l'essentiel : je m'y suis attaché avec tout le zèle de mon cœur ; je me suis indigné, récrié de voir cette sainte doctrine ainsi profanée, avilie, par nos prétendus chrétiens, et surtout par ceux qui font profession de nous en instruire. J'ose même croire, et je m'en vante, qu'aucun d'eux ne parla plus dignement que moi du vrai christianisme et de son auteur. J'ai là-dessus le témoignage, l'applaúdissement même de mes adversaires, non de ceux de Genève, à la vérité, mais de ceux dont la haine n'est point une rage, et à qui la passion n'a point ôté tout sentiment d'équité. Voilà ce qui est vrai; voilà ce que prouvent et ma Réponse au roi de Pologne, et ma Lettre

à M. d'Alembert, et l'Héloïse, et l'Émile, et tous mes écrits, qui respirent le même amour pour l'Évangile, la même vénération pour Jésus-Christ. Mais qu'il s'ensuive de là qu'en rien je puisse approcher de mon maître, et que mes livres puissent suppléer à ses leçons, c'est ce qui est faux, absurde, abominable; je déteste ce blasphème, et désavoue cette témérité. Rien ne peut se comparer à l'Évangile; mais sa sublime simplicité n'est pas également à la portée de tout le monde. Il faut quelquefois, pour l'y mettre, l'exposer sous bien des jours. Il faut conserver ce livre sacré comme la règle du maître, et les miens comme les commentaires de l'écolier.

J'ai traité jusqu'ici la question d'une manière un peu générale; rapprochons-la maintenant des faits, par le parallèle des procédures de 1563 et de 1762, et des raisons qu'on donne de leurs différences. Comme c'est ici le point décisif par rapport à moi, je ne puis, sans négliger ma cause, vous épargner ces détails, peut-être ingrats en eux-mêmes, mais intéressants, à bien des égards, pour vous et pour vos concitoyens. C'est une autre discussion, qui ne peut-être interrompue, et qui tiendra seule une longue lettre. Mais, monsieur, encore un peu de courage; ce sera la dernière de cette espéce dans laquelle je vous entretiendrai de moi.

LETTRE V.

Continuation du même sujet. Jurisprudence tirée des procédures faites en cas semblables. But de l'auteur en publiant la Profession de foi.

Après avoir établi, comme vous avez vu, la nécessité de sévir contre moi, l'auteur des Lettres prouve, comme vous allez voir, que la procédure faite contre Jean Morelli, quoique exactement conforme à l'ordonnance, et dans un cas semblable au mien, n'étoit point un exemple à suivre à mon égard; attendu, premièrement, que le Conseil, étant au-dessus de l'ordonnance, n'est point obligé de s'y conformer; que d'ailleurs mon crime, étant plus grave que le délit de Morelli, devoit être traité plus sévèrement. A ces preuves l'auteur ajoute qu'il n'est pas vrai qu'on m'ait jugé sans m'entendre, puisqu'il suffisoit d'entendre le livre même, et que la flétrissure du livre ne tombe en aucune façon sur l'auteur; qu'enfin les ouvrages qu'on reproche au Conseil d'avoir tolérés sont inǹocents et tolérables en comparaison des miens.

Quant au premier article, vous aurez peut-être peine à croire qu'on ait osé mettre sans façon le petit Conseil au-dessus des lois. Je ne connois rien de plus sûr pour vous en convaincre que de vous transcrire le passage où ce principe est établi, et, de peur de changer le sens de ce passage en le tronquant, je le

transcrirai tout entier.

(Page 4.) « L'ordonnance a-t-elle voulu lier les

«< mains à la puissance civile, et l'obliger à ne répri<< mer aucun délit contre la religion qu'après que le << consistoire en auroit connu? Si cela étoit, il en ré<< sulteroit qu'on pourroit impunément écrire contre la religion, que le gouvernement seroit dans l'impuis«sance de réprimer cette licence, et de flétrir aucun << livre de cette espéce; car si l'ordonnance veut que le << délinquant paroisse d'abord au consistoire, l'ordon«< nance ne prescrit pas moins que, s'il se range, on le « supporte sans diffame. Ainsi, quel qu'ait été son délit « contre la religion, l'accusé, en faisant semblant de << se ranger, pourra toujours échapper; et celui qui « auroit diffamé la religion par toute la terre, au moyen d'un repentir simulé, devroit être supporté « sans diffame. Ceux qui connoissent l'esprit de sévérité, pour ne rien dire de plus, qui régnoit lorsque « l'ordonnance fut compilée, pourront-ils croire que «< ce soit là le sens de l'article 88 de l'ordonnance?

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« Si le consistoire n'agit pas, son inaction enchaî<< nera-t-elle le Conseil? ou du moins sera-t-il réduit à << la fonction de délateur auprès du consistoire? Ce « n'est pas là ce qu'a entendu l'ordonnance, lorsque après avoir traité de l'établissement, du devoir et du pouvoir du consistoire, elle conclut la puis<<< sance civile reste en son entier, en sorte qu'il ne << soit en rien dérogé à son autorité, ni au cours de la

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que

justice ordinaire, par aucunes remontrances ecclé

siastiques. Cette ordonnance ne suppose donc point, «< comme on le fait dans les représentations, que dans <<< cette matière les ministres de l'Évangile soient des «juges plus naturels que les Conseils. Tout ce qui est

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