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ancêtres quand ils ont été admis à la bourgeoisie; car pour moi, n'ayant pas habité la ville, et n'ayant fait aucune fonction de citoyen, je n'en ai point prêté le serment. Mais passons.

Dans la formule de ce serment, il n'y a que deux articles qui puissent regarder mon délit. On promet, par le premier, de vivre selon la réformation du saint Évangile ; et par le dernier, de ne faire, ne souffrir aucunes pratiques, machinations ou entreprises contrè la réformation du saint Evangile.

Or, loin d'enfreindre le premier article, je m'y suis conformé avec une fidélité et même une hardiesse qui ont peu d'exemples, professant hautement ma religion chez les catholiques, quoique j'eusse autrefois vécu dans la leur; et l'on ne peut alléguer cet écart de mon enfance comme une infraction au serment, surtout depuis ma réunion authentique à votre Église en 1754, et mon rétablissement dans mes droits de bourgeoisie, notoire à tout Genève, et dont j'ai d'ailleurs des preuves positives.

On ne sauroit dire, non plus, que j'ai enfreint ce premier article par les livres condamnés, puisque je n'ai point cessé de m'y déclarer protestant. D'ailleurs, autre chose est la conduite, autre chose sont les écrits. Vivre selon la réformation, c'est professer la réformation, quoiqu'on se puisse écarter par erreur de sa doctrine dans de blâmables écrits, ou commettre d'autres péchés qui offensent Dieu, mais qui, par le seul fait, ne retranchent pas le délinquant de l'Église. Cette distinction, quand on pourroit la disputer en général est ici dans le serment même, puisqu'on y sépare

en deux articles ce qui n'en pourroit faire qu'un, si la profession de la religion étoit incompatible avec toute entreprise contre la religion. On y jure, par le premier, de vivre selon la réformation, et l'on y jure, par le dernier, de ne rien entreprendre contre la réformation. Ces deux articles sont très distincts, et même séparés par beaucoup d'autres. Dans le sens du législateur, ces deux choses sont donc séparables: donc, quand j'aurois violé ce dernier article, il ne s'ensuit pas que j'aie violé le premier.

Mais ai-je violé ce dernier article?

Voici comment l'auteur des Lettres écrites de la campagne établit l'affirmative, page 30:

I

« Le serment des bourgeois leur impose l'obligation « de ne faire, ne souffrir être faites aucunes pratiques, « machinations ou entreprises contre la sainte réforma« tion évangélique. Il semble que c'est un peu 1 pratiquer et machiner contre elle, que de chercher à « prouver dans deux livres si séduisants, que le pur Évangile est absurde en lui-même et pernicieux à la

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«

❝ société. Le Conseil étoit donc obligé de jeter un re

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gard sur celui que tant de présomptions si véhé<< mentes accusoient de cette entreprise. »

Voyez d'abord que ces messieurs sont agréables! Il leur semble entrevoir de loin un peu de pratique et de machination: sur ce petit semblant éloigné d'une petite manœuvre, ils jettent un regard sur celui qu'ils

1 Cet un peu, si plaisant et si différent du ton grave et décent du reste des Lettres, ayant été retranché dans la seconde édition, je m'abstiens d'aller en quête de la griffe à qui ce petit bout, non d'oreille, mais d'ongle, appartient.

en présument l'auteur; et ce regard est un décret de

prise de corps.

que

Il est vrai le même auteur s'égaie à prouver ensuite que c'est par une pure bonté pour moi qu'ils m'ont décrété. Le Conseil, dit-il, pouvoit ajourner personnellement M. Rousseau, il pouvoit l'assigner pour être ouï, il pouvoit le décréter... De ces trois partis, le dernier étoit incomparablement le plus doux... ce n'étoit au fond qu'un avertissement de ne pas revenir, s'il ne vouloit pas s'exposer à une procédure, ou, s'il vouloit s'y expode bien préparer ses défenses (page 31).

ser,

Ainsi plaisantoit, dit Brantôme, l'exécuteur de l'infortuné don Carlos, infant d'Espagne. Comme le prince crioit et vouloit se débattre : Paix, monsei gneur, lui disoit-il en l'étranglant, tout ce qu'on en fait n'est que pour votre bien.

Mais quelles sont donc ces pratiques et machinations dont on m'accuse? Pratiquer, si j'entends ma langue, c'est se ménager des intelligences secrétes; machiner, c'est faire de sourdes menées, c'est faire ce que certaines gens font contre le christianisme et contre moi. Mais je ne conçois rien de moins secret, rien de moins caché dans le monde que de publier un livre et d'y mettre son nom. Quand j'ai dit mon sentiment sur quelque matière que ce fût, je l'ai dit hautement, à la face du public; je me suis nommé, et puis je suis demeuré tranquille dans ma retraite : on me persuadera difficilement que cela ressemble à des pratiques et machinations.

Pour bien entendre l'esprit du serment et le sens des termes, il faut se transporter au temps où la for

mule en fut dressée, et où il s'agissoit essentiellement pour l'état de ne pas retomber sous le double joug qu'on venoit de secouer. Tous les jours on découvroit quelque nouvelle trame en faveur de la maison de Savoie, ou des évêques, sous prétexte de religion. Voilà sur quoi tombent clairement les mots de pratiques et de machinations, qui, depuis que la langue françoise existe, n'ont sûrement jamais été employés pour les sentiments généraux qu'un homme publie dans un livre où il se nomme, sans projet, sans vue particulière, et sans trait à aucun gouvernement. Cette accusation paroît si peu sérieuse à l'auteur même qui l'ose faire, qu'il me reconnoît fidèle aux devoirs du citoyen (page 8). Or, comment pourrois-je l'être, si j'avois' enfreint mon serment de bourgeois?

Il n'est donc pas vrai que j'aie enfreint ce serment. J'ajoute que, quand cela seroit vrai, rien ne seroit plus inouï dans Genève en choses de cette espèce, que la procédure faite contre moi. Il n'y a peut-être pas de bourgeois qui n'enfreigne ce serment en quelque article 1, sans qu'on s'avise pour cela de lui chercher querelle, et bien moins de le décréter.

On ne peut pas dire, non plus, que j'attaque la morale dans un livre où j'établis de tout mon pouvoir la préférence du bien général sur le bien particulier, et où je rapporte nos devoirs envers les hommes à nos devoirs envers Dieu, seul principe sur lequel la morale puisse être fondée, pour être réelle et passer l'apparence. On ne peut pas dire que ce livre tende en

Par exemple, de ne point sortir de la ville pour aller habiter ailleurs sans permission. Qui est-ce qui demande cette permission?

aucune sorte à troubler le culte établi ni l'ordre public, puisqu'au contraire j'y insiste sur le respect qu'on doit aux formes établies, sur l'obéissance aux lois en toute chose, même en matière de religion, et puisque c'est de cette obéissance prescrite qu'un prêtre de Genève m'a le plus aigrement repris.

Ce délit si terrible, et dont on fait tant de bruit, se réduit donc, en l'admettant pour réel, à quelque erreur sur la foi, qui, si elle n'est avantageuse à la société, lui est du moins très indifférente, le plus grand mal qui en résulte étant la tolérance pour les sentiments d'autrui, par conséquent la paix dans l'état et dans le monde sur les matières de religion.

Mais je vous demande, à vous, monsieur, qui connoissez votre gouvernement et vos lois, à qui il appartient de juger, et surtout en première instance, des erreurs sur la foi que peut commettre un particulier: est-ce au Conseil? est-ce au consistoire? Voilà le noeud de la question.

Il falloit d'abord réduire le délit à son espèce. A présent qu'elle est connue, il faut comparer la procédure à la loi.

Vos édits ne fixent pas la peine due à celui qui erre en matière de foi, et qui publie son erreur. Mais, par l'article 88 de l'ordonnance ecclésiastique, au chapitre du consistoire, ils réglent l'ordre de la procédure contre celui qui dogmatise. Cet article est couché en

ces termes :

S'il y a quelqu'un qui dogmatise contre la doctrine reçue, qu'il soit appelé pour conférer avec lui : s'il se range, qu'on le supporte sans scandale ni diffame; s'il est opi

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