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vrai, qu'il soit absolument nécessaire de demander à Dieu telle ou telle chose en particulier 1; il ne désapprouve point qu'on le fasse. Quant à moi, dit-il, je ne le fais pas, persuadé que Dieu est un bon père, qui sait mieux que ses enfants ce qui leur convient. Mais ne peut-on lui rendre aucun autre culte aussi digne de lui? Les hommages d'un cœur plein de zéle, les adorations, les louanges, la contemplation de sa grandeur, l'aveu de notre néant, la résignation à sa volonté, la soumission à ses lois, une vie pure et sainte, tout cela ne vaut-il pas bien des vœux intéressés et mercenaires? Près d'un Dieu juste, la meilleure manière de demander est de mériter d'obtenir. Les anges qui le louent autour de son trône, le prient-ils? Qu'auroient-ils à lui demander? Ce mot de prière est souvent

de termes, cinq ou six fois de suite, et toujours en me nommant. Je veux porter respect à l'Église; mais oserois-je lui demander où j'ai dit cela? Il est permis à tout barbouilleur de papier de déraisonner et bavarder tant qu'il veut; mais il n'est pas permis à un bon chrétien d'être un calomniateur public.

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Quand vous prierez, dit Jésus, priez ainsi. Quand on prie avec es paroles, c'est bien fait de préférer celles-là; mais je ne vois point ici l'ordre de prier avec des paroles. Une autre prière est préférable, c'est d'être disposé à tout ce que Dieu veut. Me voici, Seigneur, pour faire ta volonté. De toutes les formules, l'oraison dominicale est, sans contredit, la plus parfaite; mais ce qui est plus parfait encore est l'entière résignation aux volontés de Dieu. Non point ce que je veux, mais ce que tu veux. Que dis-je? c'est l'oraison dominicale elle-même. Elle est tout entière dans ces paroles: Que ta volonté soit faite. Toute autre prière est superflue, et ne fait que contrarier celle-là. Que celui qui pense ainsi se trompe, cela peut être. Mais celui qui publiquement l'accuse à cause de cela de détruire la morale chrétienne, et de n'être pas chrétien, est-il un fort bon chrétien lui-même ?

employé dans l'Écriture pour hommage, adoration; et qui fait le plus est quitte du moins. Pour moi, je ne rejette aucune des manières d'honorer Dieu; j'ai toujours approuvé qu'on se joignît à l'Église qui le prie: je le fais; le prêtre savoyard le faisoit lui-même. L'écrit si violemment attaqué est plein de tout cela. N'im-. porte: je rejette, dit-on, la prière; je suis un impie à brûler. Me voilà jugé.

Ils disent encore que j'accuse la morale chrétienne de rendre tous nos devoirs impraticables en les outrant. La morale chrétienne est celle de l'Évangile; je n'en reconnois point d'autre, et c'est en ce sens aussi que l'entend mon accusateur, puisque c'est des imputations où celle-là se trouve comprise qu'il conclut, quelques lignes après, que c'est par dérision que j'appelle l'Évangile divin'.

Or voyez si l'on peut avancer une fausseté plus noire, et montrer une mauvaise foi plus marquée, puisque, dans le passage de mon livre où ceci se rapporte, il n'est pas même possible que j'aie voulu parler de l'Évangile.

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Voici, monsieur, ce passage; il est dans le second tome d'Émile, page 234. « En n'asservissant les hon« nêtes femmes qu'à de tristes devoirs, on a banni du mariage tout ce qui pouvoit le rendre agréable aux << hommes. Faut-il s'étonner si la taciturnité qu'ils << voient régner chez eux les en chasse, ou s'ils sont << peu tentés d'embrasser un état si déplaisant? A force << d'outrer tous les devoirs, le christianisme les rend impraticables et vains: à force d'interdire aux femmes

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<< le chant, la danse, et tous les amusements du monde, « il les rend maussades, grondeuses, insupportables dans leurs maisons. »

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Mais où est-ce que l'Évangile interdit aux femmes le chant et la danse? où est-ce qu'il les asservit à de tristes devoirs? Tout au contraire, il y est parlé des devoirs des maris, mais il n'y est pas dit un mot de ceux des femmes. Donc on a tort de me faire dire de l'Évangile ce que je n'ai dit que des jansénistes, des méthodistes, et d'autres dévots d'aujourd'hui, qui font du christianisme une religion aussi terrible et déplaisante', qu'elle est agréable et douce sous la véritable loi de Jésus-Christ.

Je ne voudrois pas prendre le ton du père Berruyer, que je n'aime guère, et que je trouve même de très mauvais goût; mais je ne puis m'empêcher de dire qu'une des choses qui me charment dans le caractère de Jésus n'est pas seulement la douceur des mœurs, la simplicité, mais la facilité, la grace, et même l'élégance. Il ne fuyoit ni les plaisirs ni les fêtes, il alloit aux noces, il voyoit les femmes, il jouoit avec les enfants, il aimoit les parfums, il mangeoit

'Les premiers réformés donnèrent d'abord dans cet excès avec une dureté qui fit bien des hypocrites; et les premiers jansénistes ne manquèrent pas de les imiter en cela, Un prédicateur de Genève, appelé Henri de La Marre, soutenoit en chaire que c'étoit pécher que d'aller à la noce plus joyeusement que Jésus-Christ n'étoit allé à la mort. Un curé janséniste soutenoit de même que les festins des noces étoient une invention du diable. Quelqu'un lui objecta là-dessus que Jésus-Christ y avoit pourtant assisté, et qu'il avoit même daigné y faire son premier miracle pour prolonger la gaieté du festin, Le curé, un peu embarrassé, répondit en grondant: Ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux.

chez les financiers. Ses disciples ne jeûnoient point, son austérité n'étoit point fâcheuse. Il étoit à-lafois indulgent et juste, doux aux foibles et terrible aux méchants. Sa morale avoit quelque chose d'attrayant, de caressant, de tendre; il avoit le cœur sensible, il étoit homme de bonne société. Quand il n'eût pas été le plus sage des mortels, il en eût été le plus aimable.

Certains passages de saint Paul, outrés ou mal entendus, ont fait bien des fanatiques, et ces fanatiques ont souvent défiguré et déshonoré le christianisme. Si l'on s'en fût tenu à l'esprit du maître, cela ne seroit pas arrivé. Qu'on m'accuse de n'être pas toujours de l'avis de saint Paul; on peut me réduire à prouver que j'ai quelques raisons de n'en étre pas; mais il ne s'ensuivra jamais de là que ce soit par dérision que je trouve l'Évangile divin. Voilà pourtant comment raisonnent mes persécuteurs.

Pardon, monsieur; je vous excède avec ces longs détails, je le sens, et je les termine: je n'en ai déjà que trop dit pour ma défense, et je m'ennuie moimême de répondre toujours par des raisons à des accusations sans raison.

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LETTRE IV.

L'auteur se suppose coupable; il compare la procédure à la loi.

Je vous ai fait voir, monsieur, que les imputations tirées de mes livres en preuve que j'attaquois la reli

gion établie par les lois étoient fausses: c'est cependant sur ces imputations que j'ai été jugé coupable, et traité comme tel. Supposons maintenant que je le fusse en effet, et voyons en cet état la punition qui m'étoit due.

Ainsi que la vertu le vice a ses degrés.

Pour être coupable d'un crime, on ne l'est pas de tous. La justice consiste à mesurer exactement la peine à la faute; et l'extrême justice elle-même est une injure, lorsqu'elle n'a nul égard aux considérations raisonnables qui doivent tempérer la rigueur de la loi.

Le délit supposé réel, il nous reste à chercher quelle est sa nature, et quelle procédure est prescrite en pareil cas par vos lois.

Si j'ai violé mon serment de bourgeois, comme on m'en accuse, j'ai commis un crime d'état, et la connoissance de ce crime appartient directement au Conseil; cela est incontestable.

Mais si tout mon crime consiste en erreur sur la doctrine, cette erreur fût-elle même une impiété, c'est autre chose. Selon vos édits, il appartient à un autre tribunal d'en connoître en premier ressort.

Et quand même mon crime seroit un crime d'état, si, pour le déclarer tel, il faut préalablement une décision sur la doctrine, ce n'est pas au Conseil de la donner. C'est bien à lui de punir le crime, mais non pas de le constater. Cela est formel par vos édits, comme nous verrons ci-après.

Il s'agit d'abord de savoir si j'ai violé mon serment de bourgeois, c'est-à-dire le serment qu'ont prêté mes

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