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Tel est l'état où la querelle est restée. On n'a cessé de disputer sur la force des preuves; dispute qui n'aura jamais de fin, tant que les hommes n'auront pas tous la même tête.

Mais ce n'étoit pas de cela qu'il s'agissoit pour les catholiques. Ils prirent le change; et si, sans s'amuser à chicaner les preuves de leurs adversaires, ils s'en fussent tenus à leur disputer le droit de prouver, ils les auroient embarrassés, ce me semble.

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Premièrement, leur auroient-ils dit, votre ma<«<nière de raisonner n'est qu'une pétition de principe, car si la force de vos preuves est le signe de «< votre mission, il s'ensuit, pour ceux qu'elles ne convainquent pas, que votre mission est fausse, et qu'ainsi nous pouvons légitimement, tous tant que « nous sommes, vous punir comme hérétiques, comme « faux apôtres, comme perturbateurs de l'Église et du "genre humain.

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« Vous ne prêchez pas, dites-vous, des doctrines << nouvelles : et que faites-vous donc en nous prêchant « vos nouvelles explications? Donner un nouveau sens << aux paroles de l'Écriture, n'est-ce pas établir une « nouvelle doctrine? n'est-ce pas faire parler Dieu tout « autrement qu'il n'a fait? Ce ne sont pas les sons, <<< mais les sens des mots, qui sont révélés: changer <«< ces sens reconnus et fixés par l'Église, c'est changer « la révélation.

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Voyez de plus combien vous êtes injustes vous « convenez qu'il faut des miracles pour autoriser une <«< mission divine; et cependant vous, simples parti

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« culiers, de votre propre aveu, vous venez nous par

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« ler avec empire, et comme les envoyés de Dieu '. « Vous réclamez l'autorité d'interpréter l'Écriture à « votre fantaisie, et vous prétendez nous ôter la même « liberté. Vous vous arrogez à vous seuls un droit que « vous refusez et à chacun de nous, et à nous tous qui «< composons l'Église. Quel titre avez-vous donc pour «< soumettre ainsi nos jugements communs à votre esprit particulier? Quelle insupportable suffisance « de prétendre avoir toujours raison, et raison seuls <<< contre tout le monde, sans vouloir laisser dans leur « sentiment ceux qui ne sont pas du vôtre, et qui pen<< sent avoir raison aussi 2! Les distinctions dont vous « nous payez seroient tout au plus tolérables si vous << disiez simplement votre avis, et que vous en res« tassiez là; mais point: vous nous faites une guerre << ouverte ; vous soufflez le feu de toutes parts. Résis<< ter à vos leçons, c'est être rebelle, idolâtre, digne

'Farel déclara, en propres termes, à Genève, devant le conseil épiscopal, qu'il étoit envoyé de Dieu; ce qui fit dire à l'un des membres du conseil ces paroles de Caïphe: Il a blasphémé: qu'estil besoin d'autre témoignage? Il a mérité la mort. Dans la doctrine des miracles, il en falloit un pour répondre à cela. Cependant Jésus n'en fit point en cette occasion, ni Farel non plus. Froment déclara de même au magistrat qui lui défendoit de prêcher, qu'il valoit mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et continua de prêcher malgré la défense; conduite qui certainement ne pouvoit s'autoriser que par un ordre exprès de Dieu.

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* Quel homme, par exemple, fut jamais plus tranchant, plus impérieux, plus décisif, plus divinement infaillible, à son gré, que Calvin, pour qui la moindre opposition, la moindre objection qu'on osoit lui faire, étoit toujours une œuvre de Satan, un crime digne du feu? Ce n'est pas au seul Servet qu'il en a coûté la vie pour avoir osé penser autrement que lui.

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« de l'enfer. Vous voulez absolument convertir, con« vaincre, contraindre même. Vous dogmatisez, vous prêchez, vous censurez, vous anathématisez, vous «< excommuniez, vous punissez, vous mettez à mort : « vous exercez l'autorité des prophètes, et vous ne << vous donnez que pour des particuliers. Quoi! vous <«<novateurs, sur votre seule opinion, soutenus de quelques centaines d'hommes, vous brûlez vos ad<< versaires! et nous, avec quinze siècles d'antiquité, « et la voix de cent millions d'hommes, nous aurons « tort de vous brûler? Non, cessez de parler, d'agir « en apôtres, ou montrez vos titres; ou, quand nous << serons les plus forts, vous serez très justement « traités en imposteurs.

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A ce discours, voyez-vous, monsieur, ce que nos réformateurs auroient eu de solide à répondre? Pour moi je ne le vois pas. Je pense qu'ils auroient été réduits à se taire ou à faire des miracles: triste ressource pour des amis de la vérité !

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Je conclus de là qu'établir la nécessité des miracles en preuve de la mission des envoyés de Dieu qui prêchent une doctrine nouvelle, c'est renverser la réformation de fond en comble; c'est faire, pour me combattre, ce qu'on m'accuse faussement d'avoir fait.

Je n'ai pas tout dit, monsieur, sur ce chapitre; mais ce qui me reste à dire ne peut se couper, et ne fera qu'une trop longue lettre : il est temps d'achever celle-ci.

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LETTRE III.

Continuation du même sujet ( les miracles). Court examen de quelques autres accusations.

Je reprends, monsieur, cette question des miracles que j'ai entrepris de discuter avec vous; et, après avoir prouvé qu'établir leur nécessité c'étoit détruire le protestantisme, je vais chercher à présent quel est leur usage pour prouver la révélation.

Les hommes ayant des têtes si diversement organisées, ne sauroient être affectés tous également des mêmes arguments, surtout en matières de foi. Ce qui paroît évident à l'un ne paroît pas même probable à l'autre : l'un par son tour d'esprit n'est frappé que d'un genre de preuves; l'autre ne l'est que d'un genre tout différent. Tous peuvent bien quelquefois convenir des mêmes choses, mais il est très rare qu'ils en conviennent par les mêmes raisons, ce qui, pour le dire en passant, montre combien la dispute en ellemême est peu sensée : autant vaudroit vouloir forcer autrui de voir par nos yeux.

Lors donc que Dieu donne aux hommes une révélation que tous sont obligés de croire, il faut qu'il l'établisse sur des preuves bonnes pour tous, et qui par conséquent soient aussi diverses que les manières de voir de ceux qui doivent les adopter.

Sur ce raisonnement, qui me paroît juste et simple, on a trouvé que Dieu avoit donné à la mission de ses

envoyés divers caractères qui rendoient cette mission reconnoissable à tous les hommes, petits et grands, sages et sots, savants et ignorants. Celui d'entre eux qui a le cerveau assez flexible pour s'affecter à-la-fois de tous ces caractères est heureux sans doute; mais celui qui n'est frappé que de quelques uns n'est pas plaindre, pourvu qu'il en soit frappé suffisamment pour être persuadé.

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1 Le premier, le plus important, le plus certain de ces caractères, se tire de la nature de la doctrine, c'est-à-dire de son utilité, de sa beauté, de sa sainteté, de sa vérité, de sa profondeur, et de toutes les autres qualités qui peuvent annoncer aux hommes les instructions de la suprême sagesse et les préceptes de la suprême bonté. Ce caractère est, comme j'ai dit, le plus sûr, le plus infaillible; il porte en lui-même une preuve qui dispense de toute autre mais il est le moins facile à constater; il exige, pour être senti, de l'étude, de la réflexion, des connoissances, des dis

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Je ne sais pourquoi l'on veut attribuer au progrès de la philosophie la belle morale de nos livres. Cette morale, tirée de l'Évangile, étoit chrétienne avant d'être philosophique. Les chrétiens l'enseignent sans la pratiquer, je l'avoue; mais que font de plus les philosophes, si ce n'est de se donner à eux-mêmes beaucoup de louanges, qui, n'étant répétées par personne autre, ne prouvent pas grand chose, à mon avis?

Les préceptes de Platon sont souvent très sublimes; mais combien n'erre-t-il pas quelquefois, et jusqu'où ne vont pas ses erreurs! Quant à Cicéron, peut-on croire que, sans Platon, ce rhéteur eût trotivé ses Offices? L'Évangile seul est, quant à la morale, toujours sûr, toujours vrai, toujours unique, et toujours semblable à lui

même.

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