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ceux qui avaient conduit leurs soldats dans la ChampagnePouilleuse!

La retraite fut accompagnée de tous les désastres qui suivent les expéditions malencontreuses. «Des mesures de précaution extraordinaires, des ordres importans des chefs firent craindre que les ennemis ne voulussent pas rester spectateurs oisifs de notre départ; on avait vu avec anxiété, pendant la journée, s'avancer lentement dans des routes presque impraticables, tous les bagages, et même l'artillerie; des caissons brisés étaient tombés dans le lit du torrent: on se vit obligé, à regret, de laisser les malades sans secours. Pour peu que l'on examinât le pays, on était obligé d'avouer que nous étions perdus sans ressources, s'il plaisait à l'ennemi, que nous savions sur la droite, la gauche et les derrières, de nous attaquer; cependant, cómme les premières heures se passèrent sans attaque, on conçut quelque espoir, etc. »>

La misère s'accrut chaque jour; une grande partie des bagages fut laissée sur la route. On abandonna tout ce qu'on put, afin de sortir plus vite de ce terrain trempé par les pluies; on se jetait sur tous les objets propres à servir d'alimens, pour apaiser une faim dévorante. Les malades dont le nombre était prodigieux, furent confiés, dit l'auteur, à l'humanité de l'ennemi. Au gué de la Meuse, le duc de Brunswick, passant devant Goethe lui dit : «Je suis fâché de vous voir dans une position aussi désagréable; cependant, je me félicite de savoir qu'il y a un homme raisonnable et véridique de plus pour attester que nous avons été vaincus par les élémens, et non par l'ennemi. » Les élémens! voilà l'excuse ordinaire des folles expéditions. Que ne songe-t-on aux élémens, avant de s'y jeter et d'y entraîner des masses entières d'hommes?

L'auteur récapitule ainsi les événemens qui s'étaient passés dans le court espace de quelques semaines :« Un général français, La Fayette, chef d'un parti puissant, naguère l'idole de sa

nation, et jouissant de la confiance entière de ses soldats, se soulève contre le pouvoir suprême qui, depuis la captivité du roi, représente seul le gouvernement; il s'enfuit, et son armée, qui ne compte pas au-delà de 23,000 hommes, se trouve sans général, sans officiers supérieurs, entièrement désorganisée. En même tems un roi puissant pénètre sur le territoire français, avec une armée de S0,000 hommes; deux places fortes se soumettent à ses armes, après un peu d'hésitation. Alors, un général peu connu, paraît sur la scène; sans avoir jamais commandé en chef, Dumouriez a la sagesse et l'habileté de prendre une position très-forte; elle est emportée : il en trouve une seconde; il y est cerné, de manière que l'ennemi est placé entre lui et Paris. Un concours de circonstances fâcheuses naît inopinément par suite de longues pluies; la formidable armée des alliés, qui n'est plus qu'à 6 lieues de Châlons et à 10 de Reims, se voyant dans l'impossibilité de parvenir jusqu'à ces deux villes, se détermine à la retraite, abandonne les deux places conquises, perd plus d'un tiers de ses soldats (dans ce nombre, 2,000 tout au plus sont moissonnés par le fer ennemi), et se voit ramenée jusqu'au Rhin. Tous ces événemens qui tiennent du prodige, se passent en moins de 6 semaines, et la France est délivrée du plus grand danger dont ses annales fassent mention. >>

L'auteur confirme un fait déjà appuyé de quelques autres preuves; c'est que les émigrés fabriquaient de faux assignats qui furent mis en circulation, dès leur entrée en France avec les alliés, et qui devinrent la cause des plus grands désastres dans les contrées exposées à l'invasion. Goethe vit, dans la petite ville d'Arlon, la voiture qui contenait l'appareil entier nécessaire pour cette contrefaçon. Ce n'était pas, au reste, le seul papier avec lequel on payait les frais de cette expédition, que les alliés prétendaient si désintéressée : ils donnaient, en échange des fournitures, des bons payables par le gouvernement de

Louis XVI. On peut juger si de pareilles mesures étaient propres à alléger le sort de ce prince.

Sur les bords du Rhin, l'auteur entendit partout des expressions de mécontentement, au sujet des émigrés ; personne n'avait pu s'habituer à l'arrogance des anciens courtisans de Versailles, et à la vanité déplacée de ces alliés des Prussiens; ils poussaient ceux-ci à des mesures de rigueur qui heureusement ne furent pas adoptées. La lutte des partis en France occasionna des scènes déplorables, dans les lieux que les alliés occupèreut momentanément. Les émigrés y rentrèrent en triomphateurs, et les constitutionnels furent pros crits par ces royalistes purs et exclusifs; mais, quinze jours après, la fortune changea; les émigrés quittèrent une seconde fois leurs foyers, les constitutionnels triomphèrent à leur tour, et l'on dut craindre pour les jours de ces jeunes filles de Verdun qui avaient si imprudemment célébré l'arrivée du monarque étranger, venu pour envahir leur patrie.

Nous possédons des relations si détaillées du siége et de la prise de Mayence par les alliés, que le journal de Goethe ne nous apprend rien de nouveau, excepté quelques circonstances de peu d'intérêt. Au sujet de la capitulation des commissaires français, Goethe fait les réflexions suivantes : « On fut étonné de ce que la forteresse ne s'était pas défendue plus long-tems. Dans la nef de la cathédrale, dont les voûtes s'étaient conservées, il y avait un dépôt de sacs de farine auxquels on n'avait pas touché; on parlait d'autres provisions, et d'une réserve considérable de vin. On conçut donc le soupçon que la dernière révolution de Paris ayant livré le pouvoir au parti auquel appartenaient les commissaires mayençais, c'était la véritable cause de la prompte reddition de la forteresse. Merlin de Thionville, Rewbell et les autres désiraient être sur le terrain où, depuis la défaite de leurs adversaires, il y avait beaucoup à espérer et rien à craindre. Ils vou

laient se fortifier d'abord dans l'intérieur, participer aux changemens qui venaient d'avoir lieu, s'élever à des postes importans, et acquérir une grande fortune, avant de pousser vigoureusement la guerre étrangère, pour étendre au dehors l'influence des idées populaires, et reprendre possession de Mayence et d'autres places. »

Tout ce que Goethe insinue ici, fut dit bien plus vivement en France même; il en coûta la vie à Custines. Les généraux Doyné et Aubert-Dubayet furent arrêtés; Merlin eut quelque peine à échapper aux suites d'une accusation dans le sein mème de la convention. Il est heureux que le témoignage de Goethe n'ait pas été connu alors; il aurait pu devenir funeste aux commissaires et aux généraux. On est, du reste, embarrassé d'accorder les approvisionnemens de farine et de vin du narrateur allemand, avec la grande disette qu'on éprouvait dans la forteresse, suivant d'autres relations. Si j'avais l'honneur de connaître personnellement Goethe, je lui demanderais s'il est bien sûr que ces magasins de farine et de vin aient existé; car, ce fait touche à la réputation, je dirais presque à l'honneur de ceux qui ont signé la capitulation!

Le reste du volume, qui rappelle les voyages de l'auteur en Allemagne, n'a guère qu'un intérêt local pour les habitans de ce pays. Je ferai observer, en terminant, combien il est choquant de voir un écrivain du mérite de Goethe employer des phrases d'un courtisan subalterne, telles que celles-ci : « Je vis mon gracieux maître ; j'eus l'honneur de faire ma cour à ce seigneur très-gracieux, etc.» Ce ton d'une soumission humble et servile n'étonne pas moins que la froide réserve avec laquelle l'auteur parle d'événemens et de scènes qui, dans l'âge où son imagination brûlante créa Werther, et où il fit l'Eloge de Hutten, aurait quelquefois arraché à son âme des accens plus énergiques.

DEPPING.

OEUVRES DE RABELAIS, édition variorum, augmentées de pièces inédites, des SONGES DROLATIQUES DE PANTAGRUEL, ouvrage posthume, avec l'explication en regard; des remarques de LE DUCHAT, de BERNIER, de LE MOTTEUX, de l'abbé DE MARSY, de VOLTAIRE, de GINGUENÉ, etc.; et d'un NOUVEAU COMMENTAIRE historique et philologique, par MM. ÉLOI JOHANNEAU et ESMANGART, membres de la Société royale des antiquaires, et de plusieurs autres académies (1).

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Primores populi arripuit populumque tributim.

HORAT. Sermon, lib. 11, Satire 1, verš 69.

Pour comprendre Rabelais, pour l'apprécier comme il mérite de l'être, il est indispensable de bien connaître l'époque à laquelle il écrivait.

Il est, dans l'histoire du genre humain, des périodes vides de faits, stériles de résultats. Il en est d'autres, au contraire, que recommandent à la mémoire des hommes et aux méditations du sage l'importance du passé qui les a préparées, et l'importance de l'avenir qu'elles préparent à leur tour, et rendent inévitable: telle est la partie du XVIe siècle qui renferme les dernières années du règne de François Ier, et les premières du règne de Henri II.

Le XIVe siècle avait enrichi l'Europe de deux inventions, dont les effets sur la civilisation ne devaient se faire sentir qu'à une époque éloignée : la Boussole, qui, ouvrant à la hardiesse

(1) Paris, 1823. Dalibon, au Palais-Royal, galerie de Nemours. Huit vol. in-8°, avec 132 gravures, dont deux portraits de Rabelais. Prix par volume, 10 fr. Carré vélin, 20 fr.

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