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Je ne crois pas qu'on puisse trouver un meilleur flambeau pour nous éclairer sur la naissance, la marche, les obstacles et les progrès de la civilisation européenne.J'aurais voulu pouvoir justifier cet hommage par des citations. Mais comment choisir dans trois volumes si riches! Je me bornerai donc à indiquer sommairement au lecteur quelques points principaux, d'autant plus dignes d'exciter sa curiosité et de fixer son attention qu'ils ont été jusqu'à présent comme une sorte de problème, et l'objet de vives controverses renouvelées encore aujourd'hui, même par l'esprit de parti.

Le quatrième volume commence par des observations très¬ justes sur l'état du royaume pendant 240 années, c'est-àdire, depuis l'élévation de Hugues Capet jusqu'à la mort de Louis VIII.

« Pendant que la France fut confédérée sous le régime féodal, dit M. Sismondi, le pouvoir législatif fut suspendu. Hugues Capet et ses successeurs, jusqu'à l'avènement de saint Louis, n'avaient point le droit de faire des lois. La nation n'avait point de diètes, point d'assemblées régulièrement constituées, dont elle reconnût l'autorité. Le système féodal, taci← tement adopté et développé par la coutume, était seul reconnu par les nombreux souverains qui se partageaient les provinces ; il leur tenait lieu de lien social, de monarque et de législateur; il doit, dès le commencement de cette organisation nouvelle, devenir l'objet principal de notre attention. »

Cette observation préliminaire est suivie d'un tableau fort curieux et fort détaillé de ce régime féodal, dont les élé→ mens étaient bien antérieurs au règne de Hugues Capet, et dont les débris continuèrent à couvrir la France fort longtems après saint Louis.

Quoique l'auteur partage, avec raison, l'opinion de Montes, quieu, de Robertson et de tous les philosophes, contre le système monstrueux de la féodalité, il accorde cependant à ce

système une sorte de louange qu'il mérite, c'est qu'il donna chez nous naissance à l'esprit belliqueux de la nation, et au sentiment de liberté, du moins pour une classe des habitans, Sans lui, privés d'ailleurs d'institutions, après une longue servitude, nous aurions disparu de la terre comme les Daces, les Bulgares. Déjà le vaste territoire de la France, sous Louisle-Bègue, était traversé, conquis, dévasté sans obstacle par les Normands, les Hongrois, les Sarrasins. La hiérarchie féodale créa seule des châteaux forts, des populations armées, et des barrières sans nombre, qui nous garantirent pour toujours de l'invasion des barbares.

Ce morceau est si important et si essentiel à méditer, qu'on chercherait vainement à en donner une juste idée par de courtes citations; un extrait affaiblirait et romprait les pensées de l'auteur, dont l'enchaînement fait la force. Là, on trouvera clairement expliqué tout ce qu'on désire savoir relativement aux fiefs, au vasselage, et à la pairie, au service militaire, aux devoirs réciproques du roi, des grands, des seigneurs, et de leurs vassaux ; et, comme ce tableau politique est fait avec un grand soin, il devient aussi un tableau de

mœurs.

La stérilité des chroniques du tems nous instruit bien peu sur les détails de la révolution qui éleva au trône Hugues Capet; M. Sismondi satisfait autant que possible, à cet égard, la curiosité du lecteur, et nul autre n'a tiré plus de parti des faibles lumières de cette antique époque; peut-être même pourrait-on lui reprocher d'avoir ajouté trop de foi à des discours que le moine de Fleury prêtait aux princes pour l'intérêt de l'Église. Il est difficile de croire que ce moine ait su bien positivement les paroles que Hugues mourant adressait à son fils Robert; mais, comme leur objet est d'engager le nouveau roi, au nom de la Trinité, à ne jamais toucher aux trésors des abbayes, et à constamment respecter saint Benoît, qui

doit seul lui ouvrir les portes du ciel. je sais loin de blåmer de telles citations, parce qu'elles apprennent à connaître ce siècle, en faisant voir quelles leçons l'Église donnait aux princes sur l'art de régner.

Les bornes de cet article ne permettent pas de suivre l'historien dans le récit qu'il fait des événemens qui se sont passés pendant la vie des premiers rois de la troisième race. On voit que, trop frappé de la nullité de leur pouvoir, et par conséquent du peu de grandeur de leurs actions, il s'est efforcé de remplir ce vide, en rassemblant tous les faits et toutes les anecdotes propres à nous apprendre ce qui se passait alors dans toutes les parties de la France. Le résultat de ce travail donne une idée complète des querelles des seigneurs, des coutumes des différentes localités, et de la situation où se trouvaient les différentes classes d'habitans. Cette marche, utile à l'érudition, nuit nécessairement à l'intérêt. Les rois n'y paraissent que comme des ombres, au centre d'un tableau confus. M. Sismondi me semble un peu trop sévère pour ces monarques. Il dit que Robert porta le sceptre près de 35 ans; Henri, 30; Philippe, 48. « Tout un siècle se passe, ajoutet-il, et leur domination s'affermit. Cependant, ils n'ont fait, durant ce long tems, que sommeiller sur le trône ; ils n'ont montré que faiblesse, amour du repos, ou amour des plaisirs; ils ne se sont signalés par aucune grande action. Lą nation française, au contraire, s'ennoblit, s'agrandit d'année en année, etc. »

Je conviens que Robert, Henri, et Philippe, ne furent pas de grands rois; mais on ne peut disconvenir qu'ils se montrèrent braves, et que leur vie fut une longue et pénible lutte contre les grands et petits vassaux qui les attaquaient sans cesse; ils leur résistèrent, et c'était beaucoup. Sans leur longue résistance, leurs successeurs, loin d'en triompher, auraient probablement subi le sort des derniers princes Méro

vingiens et Carlovingiens, que les grands tenaient en tutelle. Louis-le-Gros, Philippe-Auguste, Saint-Louis, méritèrent certainement leur gloire par leur habileté ; mais, les voies leur avaient été préparées par ces premiers Capétiens, combattant sans cesse contre l'arnarchie qui les avait couronnés.

Philippe Ier est peut-être le seul qui mérite la sévérité de l'auteur, par l'indolence dans laquelle s'écoulèrent les dernières années de son règne. Mais il se reposait alors sur un fils associé au trône, et digne de porter avec honneur le sceptre et l'épée.

Au surplus, cette erreur de M. Sismondi, si c'en est une, est bien compensée par un mérite qui le distingue éminemment de nos autres historiens, qui n'ont tous suivi, pour ainsi dire, que le char de nos rois, tandis que lui, trop frappé peut-être du peu de grandeur de ces premiers princes, nous donne ée qui nous manquait, c'est-à-dire, l'histoire de la nation.

Ayant cherché comme lui à atteindre ce but, j'en apprécie d'autant plus peut-être l'utilité et les difficultés.

Ce premier article sur la troisième partie de l'Histoire des Français, paraîtra, j'espère, suffisant pour donner une idée générale de cet ouvrage important. Dans un second article, nous entrerons dans quelques détails sur les règnes plus éclatans de Louis-le-Gros, de Louis-le-Jeune, et de Philippe-Auguste. A cette époque, la nation sortit de l'enfance et de la barbarie, pour entrer dans l'adolescence, dans cet âge héroïque et chevaleresque qu'on admire par sentiment, au moment même où la raison en déplore les sanglantes erreurs et les belliqueuses folies.

Le comte DE SÉGUR, de l'Institut.

RECHERCHES HISTORIQUES SUR L'ANJOU ET SES MONUMENS, sur Angers et le Bas-Anjou.; par J. F. BODIN, député de Maine-et-Loire, Correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1).

Jusqu'à M. J. F. Bodin, ceux qui ont voulu écrire l'histoire de l'Anjou n'ont pas achevé leur entreprise, ou n'ont pas livré leur travail à l'impression. Ils ont manqué leur projet, parce qu'ils ont voulu tout dire ; ils se sont perdus au milieu des insvestigations les plus minutieuses.

Notre auteur a évité cet écueil; il a eu le bonheur d'achever et de publier son ouvrage.

Ici, l'histoire est liée aux monumens, et les monumens, dans l'ordre de leurs dates, sont rattachés à l'histoire. Les variations des costumes, du langage, des mœurs et des lois, dans chaque époque, sont décrites avec soin, et toutes les particularités sont extraites des documens historiques; les progrès de la religion, des lettres et des sciences, et des études dans l'Anjou, sont développés avec soin, et embrassent les travaux de l'Université d'Angers. Une Biographie angevine complète ces recherches; elle est accompagnée de tableaux chronologiques et historiques, rectifiés par la discussion des autorités citées. L'ouvrage est terminé par une histoire sommaire des consuls, comtes ou ducs, et des évêques d'Angers, et même des abbesses de Fontevrault, et par une liste des députés de l'Anjou aux assemblées nationales, depuis 1483 jusqu'en 1822; enfin, par des listes chronologi

(1) Paris, 1821 et 1823. Deux vol. in-8° de 1200 pages, avec sept gravures. Béchet. Saumur, de Gouy aîné; prix, 13 fr. On trouve, chez les mêmes libraires, les Recherches historiques sur Saumur et le HautAnjou, par le même auteur; 1813 et 1814. Deux vol. in-8°, avec gravures; prix, 13 fr.

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