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taphysiques; mais, quelle différence entre la position des Anglais, et celle de la France, en 1789! Les Anglais qui avaient conquis pièce à pièce l'ensemble de leurs libertés, n'avaient jamais eu besoin de renverser tout d'un coup, sous peine de ne le renverser jamais, l'édifice d'une domination absolue; pour réclamer leurs droits, ils trouvaient dans leurs précédens des droits non encore oubliés. En France, les anciennes libertés étaient tellement tombées en désuétude, qu'à défaut de précédens il fallut rechercher des autorités jusquè dans les sources mêmes de tout droit, dans la nature et la raison. Au reste, M. de Lalli rendait alors une pleine justice aux hommes qui voulaient une déclaration des droits : « C'est sans doute une grande et belle idée, disait-il, que celle d'exposer tous les principes pour en tirer toutes les conséquences, de faire remonter tous les hommes à la source de leurs droits, et de les pénétrer de la diguité de leur être, avant de leur assurer la jouissance de leurs facultés. » C'est encore ce que pensent aujourd'hui la plupart des hommes sincèrement amis de la liberté ; et M. Dumont lui-même avoue que « la Déclaration des droits conserve encore une place secrète dans le code démocratique de l'opinion, et qu'on ne doit pas se dissimuler que son anéantissement n'ait été plutôt l'ouvrage de la force que celui de la conviction. » Cela est vrai, et il faut savoir gré à l'auteur d'en convenir. Ce fut Bonaparte qui, le 18 brumai're, déchira la Déclaration des droits; cette logique des baïonnettes n'a convaincu personne ; nous doutons que les sophismes de M. Dumont aient plus de succès.

M. AVENEL.

HISTOIRE DES FRANÇAIS, par J. C. L. SISMONDE DE SISMONDI (1).

Deuxième article. (Voyez ci-dessus, T. XII, pag. 84-97-)

M. de Sismondi a publié la troisième partie de son Histoire des Français. Trois forts volumes écrits sur une matière si importante, par un auteur distingué, ne nous permettaient d'en rendre compte qu'après un long et profond examen.

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Les auteurs qui font beaucoup réfléchir méritent qu'on les juge avec lenteur; il faut réserver les décisions légères pour les écrits qu'une plume agréable et facile trace en cou

rant.

Le titre de cette troisième partie doit d'abord fixer l'attention, parce qu'il donne une idée du nouveau point de vue sous lequel M. de Sismondi considère cette époque de notre histoire. Voici ce titre : La France considérée sous le régime féodal. Ainsi, l'on voit que l'auteur, loin de croire à cette monarchie de 1400 ans, dont les prôneurs des tems anciens nous fatiguent sans cesse, veut nous prouver, par des récits exacts, des tableaux fidèles et de nombreux documens, que la royauté des premiers Capétiens n'avait pas plus de ressemblance avec la royauté du siècle dernier et de celui-ci, qu'il ́n'en existait entre les monarchies de Sparte, de Pologne, de Russie, de Suède, d'Autriche, de Perse, et d'Angleterre.

Mais, avant de suivre cet auteur dans ses riches et profondes observations, il paraît nécessaire. d'examiner en général son plan, son but, sa composition et son style.

On s'est constamment plaint de la fatigue que fait éprouver

(1) Paris, 1823. Trois vol. in-8°. Tomes IV, V, VI, 587, 568 et 620 pages. Treuttel et Würtz, rue de Bourbon, no 17; et même maison, à Strasbourg et à Londres; prix, 21 fr.

l'aride lecture des histoires modernes qu'on trouve dépouillées du charme qui s'attache à celles des peuples anciens; et trop souvent, ce sont les auteurs seuls qu'on accuse de ce défaut d'intérêt.

Cependant, il est facile de prouver que les législations, les institutions, les mœurs européennes, et les lecteurs eux-mêmes, méritent une part de ces reproches. Les règles dramatiques s'appliquent à tout; l'unité d'intérêt peut seule soutenir et fixer long-tems l'attention. Autrefois, les gouvernemens étaient la chose publique; leur élévation, leur grandeur, leur décadence, étaient celles de leur nation. Depuis leur commencement jusqu'à leur fin, vous ne voyez que le peuple romain dans l'histoire de Rome, que les peuples grecs dans celle de la Grèce. Tout a changé depuis: la chose publique est devenue la chose privée; les pays et les peuples n'ont plus été que la propriété de quelques familles; leurs histoires celles de quelques hommes; les querelles des états se sont transformées, pendant un grand nombre de siècles, en fastidieux procès.

Tout s'est à la fois rapetissé et compliqué : les vertus, comme les crimes, ont perdu leur grandeur; l'ignorance, la superstition, l'orgueil des grands, l'ambition anti-évangélique du clergé et la servitude des peuples, nous ont couverts, durant sept cents ans, d'épaisses ténèbres; et lorsqu'on veut dérouler les tristes et sanglantes annales qu'on retrouve si péniblement dans les ombres de cette longue nuit, si l'on excite la curiosité de quelques amis des sciences, comment espérer d'intéresser ou d'émouvoir par le récit de tant d'événemens confus une nation qui, en vous écoutant, se voit presque étrangère à sa triste histoire, ne s'y reconnaît qu'au bruit de ses chaînes, et n'y contemple que les rivalités, les progrès, les chutes, les vertus, les crimes de quelques princes et d'une multitude de seigneurs et de prélats?

La gloire militaire même ne réveille que faiblement et rarement le lecteur. Celle des guerres privées de l'anarchie féodale dégoûte par leur barbarie monotone; et l'intérêt national ne reparaît que dans ces luttes mémorables entreprises contre l'ambition étrangère, mais qui furent si rares tant qu'on vit les milices sans solde, les peuples sans lois, la féodalité sans frein, et les rois sans pouvoir.

Le défaut d'intérêt historique existe donc évidemment dans le sujet et dans la bizarrerie sauvage de nos antiques institutions. Ce chaos nuit également à tout intérêt dramatique. On y distingue à peine le premier plan des autres, le roi de ses sujets, le suzerain de ses vassaux. L'esprit ne peut saisir aucun ensemble, et il est presque impossible de composer un tout d'élémens si anarchiques.

D'un autre côté, les lecteurs sont à la fois exigeans et frivoles. Ils veulent bien qu'on les instruise, mais pourvu qu'on ne les fatigue pas. Une galerie qui présente aux regards, presque en même tems, un trop grand nombre de tableaux, les éblouit et jette l'attention dans une lassitude vague. C'est là malheureusement l'effet que produisent la plupart des ouvrages historiques des tems modernes. Plus l'auteur est profond et instructif, plus il devient difficile de le suivre dans ses savantes recherches; ainsi, quand l'historien veut être précis et rapide, le lecteur l'accuse d'une stérile aridité. S'il trace, au contraire, soigneusement, dans ses détails, le fidèle tableau de l'anarchie féodale, on l'accuse de pesanteur, de confusion; on lui impute les défauts de son sujet; les penseurs seuls l'apprécient, le public léger l'abandonne.

Ce dernier écueil était précisément celui que pouvait redouter M. Sismondi; car, saisissant avec justesse le but que la raison lui prescrivait d'atteindre, et frappé de la nullité forcée de nos premiers rois au centre d'une monarchie aristocratique, il a voulu faire l'histoire, non de quelques princes et de

quelques grands, mais celle des tems, de la nation et de l'arristocratie, soit civile, soit religieuse, qui l'opprimait.

Nul auteur, avant lui, n'a traité ce sujet difficile avec autant de profondeur et de clarté; nul n'a puisé avec plus de discernement dans les sources historiques, et nul n'a réuni un plus grand nombre de lettres, d'ordonnances, de traités, de décrets et de faits curieux, pour faire connaître les hommes, les lois, les mœurs, et pour justifier ses réflexions, qui toutes portent l'empreinte d'une sage impartialité, d'une saine philosophie, d'un constant amour de la justice, de la morale et de la vraie liberté.

En même tems, il a cherché, par un style clair, pur et sagement orné, à diminuer la fatigue qu'il est si difficile d'éviter en parcourant les annales de cette époque, que Robertson regarde avec raison comme la plus déplorable dans l'histoire du genre humain.

Cependant, malgré ses efforts, l'auteur n'a pu échapper totalement aux inconvéniens inséparables de son travail. Voulant tout peindre et tout expliquer, il lui a été impossible de trouver assez de transitions naturelles pour donner à ce vaste tableau une sorte d'unité, et cet intérêt dramatique, vif et animé, dont les historiens de l'antiquité semblent seuls avoir possédé le secret. D'ailleurs, il faut le dire, car la louange cesse d'être honorable dès qu'elle ressemble à la flatterie, le mérite de M. Sismondi n'est pas la verve, la couleur, la variété des tournures, mais il se distingue éminemment par la sagesse des jugemens, par la fidélité des tableaux, par la profondeur des recherches, par la justesse de la pensée. Ainsi, le public frivole ne l'appréciera peut-être point autant qu'il le mérite, mais tout homme qui voudra véritablement s'instruire, recherchera son ouvrage avec empressement, le méditera, y trouvera toutes les lumières qu'appelaient et désiraient en vain les vrais philosophes, les publicistes et les hommes d'état.

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