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la précipitation d'après ses affinités et sa fusibilité propres. Ces inductions ne paraissent point contredites par les observations, ni par les lois générales du monde physique, telles que nous les connaissons. Mais les motifs pour ne pas rejeter, ne sont pas des raisons pour admettre : le doute ne cède pas encore la place à la conviction; il faut chercher des lumières nouvelles, ou quelque disposition plus avantageuse de celles que nous avons.

Les corps en fusion peuvent changer d'état, ou par la perte de leur calorique, ou par de nouvelles combinaisons de ce principe avec les élémens de ces corps qui auraient formé de nouveaux composés, Cette cause d'absorption du calorique ou du refroidissement, doit avoir une mesure fixe, puisqu'elle dépend de la nature des corps et des lois générales de l'attraction moléculaire : mais cette mesure est encore à trouver. Si la théorie du calorique s'enrichissait de cette découverte, lefait dont on connaîtrait la loi serait tout-à-fait constaté. M. Breislak l'admet sans ce cortège de preuves, et lui attribue presque tous les faits relatifs à la première consolidation du globe terrestre. Cette partie de son système éprouva de bonne heure une forte opposition; on l'attaqua par des calculs, et c'est avec la même arme qu'il la défend, dans cet ouvrage : mais il reconnaît lui-même combien cette arme est faible dans de pareils combats. En effet, puisque la nature chimique des couches intérieures de la terre nous est inconnue, que conclure de calculs fondés uniquement sur des données prises à la surface? De plus, les esprits accoutumés à l'exactitude voient avec regret qu'on ne fait pas entrer dans ces évaluations tous les élémens dont elles se composent, et qu'on applique aux recherches sur ce qui se passe à de grandes profondeurs, des formules qui ne sont vraies qu'au-dessus de la surface de la terre. Notre auteur pense avec raison que, pour un très-grand nombre de faits géologiques, les moyens de mesure ne sont pas

encore en notre pouvoir, et qu'il faut presque toujours nous borner à examiner si les solutions des problèmes sont positives ou négatives, comme disent les géomètres. Voyons s'il est possible de répondre de cette manière à toutes les questions relatives au système de M. Breislak.

Dans ce système, l'état primitif du globe terrestre fut celui d'une masse où nulle combinaison n'était faite, où les élémens des corps étaient isolés, confondus, mais séparés les uns des autres par le calorique. Cet état ne put subsister qu'un instant, celui de la création; il est évident qu'aucun autre mode d'existence ne fut antérieur à celui-là. Mais, à cet instant même, l'atmosphère n'était-elle pas formée ? la coexistence et le rapprochement des molécules de calorique et de celles d'oxygène, d'azote, sont-ils autre chose que les gaz oxy. gène, azote, etc.? L'auteur affirme le contraire; mais il eût fallu le prouver. En admettant que ces gaz n'existèrent qu'après la combinaison de leur base avec le calorique, il appelle une hypothèse physique au secours de son hypothèse géologique. Observons, de plus, que la combinaison du calorique avec les bases des gaz, si elle eut lieu, fut presque instantanée dans toute la masse, qu'elle dura beaucoup moins qu'une détonation électrique, phénomène qui s'accomplit dans un espace visible, et qui ne peut être parcouru que successivement. Si, après la combinaison, la matière des gaz se trouva condensée, la masse encore liquide dut s'affaisser sur ellemême avec une vitesse accélérée; si, au contraire, les gaz formés augmentèrent de volume, une explosion universelle suivit immédiatement la création. Entre le premier et le second état de notre globe, l'intervalle de tems ne pourrait être sensible, et cependant la différence serait prodigieuse. Il eût été moins périlleux de prendre pour point de départ l'époque où les gaz étaient formés.

Notre auteur suppose que certaines combinaisons solides

ont absorbé du calorique, et contribué au refroidissement de la masse terrestre. L'oxygène seul paraît jouir de cette propriété, mais seulement dans quelques-unes de ses combinaisons. Les composés qui la manifestent, appartiennent tous à des formations récentes, et ne peuvent tirer leur origine d'une masse liquéfiée par le feu. Attribuer la même propriété à d'autres corps, ce serait encore une supposition physique au sujet de laquelle il serait difficile de prendre un parti; avant de la rejeter ou de l'admettre, les physiciens demanderont qu'elle ait été soumise à de nouvelles recherches, contredite ou fortifiée par des faits plus nombreux.

L'expérience nous montre constamment que les corps solides perdent du calorique, lorsque leur volume diminue, et lorsque leur dureté augmenté. On sait aussi que parmi les corps de même nature, les plus durs sont ceux qui ont pris la forme cristalline. La cristallisation n'est donc pas un moyen de refroidissement ; et même, cette disposition régulière des molécules diminuant la capacité des corps pour le calorique, ne peut qu'augmenter la température des corps voisins. La compression tend aussi à produire le même effet puisque les couches intérieures de la terre sont beaucoup plus denses que la croûte superficielle, elles sont également plus dépouillées de calorique, et tout ce qu'elles en ont perdu se trouve à la surface et dans l'atmosphère. On ne peut donc affirmer que la formation des corps solides et leurs modifications successives aient eu quelque part au refroidissement de la terre.

Suivant notre auteur, l'eau tire son origine de l'atmosphère où ses deux élémens se combinèrent. Cette production fut la cause d'une nouvelle répartition de colorique entre les gaz, les corps solides et le nouveau liquide. La température moyenne de ces corps fut augmentée, si l'eau se forma rapidement: si cette opération fut lente, l'accroissement de chaleur put n'être pas sensible. En résumant ces observations,

on est conduit à n'admettre qu'une seule cause d'absorption de calorique dans une masse en état de fusion ignée, savoir, la formation des gaz et des vapeurs. Mais, comme nous l'avons dit, cet effet de l'attraction moléculaire fut subit, et ne peut être séparé que par la pensée de ce que M. Breislak a considéré comme l'état primitif du globe.

Mais la combinaison des élémens des corps et la formation des premiers composés, fut aussi le résultat des attractions moléculaires: ce phénomène dépendant des mêmes causes et des mêmes lois que la formation des gaz, fut aussi universel dans toute la masse, et s'accomplit dans le même tems. Un instant suffit pour bouleverser, du centre à la circonférence, le monde primitif de notre auteur. Ce monde nous est présenté comme déjà soumis aux lois de la gravitation universelle, et disposé par couches condensées suivant ces lois : mais cette force et l'attraction moléculaire ne sont-elles pas également inhérentes à la matière? Si l'ordre de nos idées exige que nous les considérions successivement, nous savons qu'elles ne sont point séparées dans la nature. Notre imagination n'aperçoit, dans l'hypothèse de M. Breislak, rien autre chose qu'une masse uniforme et homogène; elle y associe naturellement l'idée du repos : en un instant, tout a changé, l'organisation est commencée, on peut en suivre les progrès, parce que les changemens seront gradués comme la marche de notre pensée. Il est à regretter que l'auteur ne se soit pas arrêté à ce point où ses lecteurs s'arrêteront nécessairement, faute de pouvoir l'accompagner plus loin. L'abstraction jusqu'à laquelle il a eru devoir s'élever, l'a mis dans la nécessité de traiter et de résoudre, par le seul raisonnement, une question qui exigeait du calcul : le calorique dont le globe terrestre est pénétré, suffirait-il pour tenir toute sa masse en fusion, si tous les composés étaient défaits et réduits à leurs élémens, et si, par conséquent, tout ce calorique devenait

libre? Pour savoir si une cause est capable d'un effet déterminé, il faut commencer par mesurer l'une et l'autre : mais nous n'avons encore ni données, ni méthodes pour cette application du calcul.

Nous ne pousserons pas plus loin ce long examien, et ces observations critiques sur le second livre de M. Breislak : nous les soumettons avec confiance à l'auteur d'un ouvrage aussi plein de savoir, de recherches profondes et de discussions judicieuses. que celui dont nous nous occupons. Il nous semble presque impossible, dans l'état actuel de nos connaissances, de traiter avec succès les questions sur lesquelles ni l'observation, ni l'analyse mathématique ne peuvent nous éclairer, Dans ces recherches aventureuses, aucun fanal ne s'élève pour remettre la pensée sur la bonne voie, si elle vient à s'égarer. Il est vrai qu'alors les méprises ne sont pas dangereuses; mais là où les erreurs sont sans importance, les vérités opposées à ces erreurs sont stériles, et peu dignes de nos méditations.

Ceux qui n'adopteront point dans leur entier les idées géologiques de M. Breislak, n'en seront pas moins empressés de lire son ouvrage, tant l'auteur a su rendre cette lecture facile et pleine d'intérêt. Ils ne négligeront point, dans le second livre, les chapitres sur l'Atlantide et sur la prétendue chaleur centrale de la terre; ils trouveront, dans le premier, l'érudition d'un antiquaire jointe à celle d'un géologue; et dans le second, d'excellentes raisons pour ne point admettre les systèmes de géologie fondés sur l'existence d'une haute température dans l'intérieur du globe, systèmes long-tems accrédités, et qui aujourd'hui même ont encore des sectateurs.

Nous serons forcés à ne jeter qu'un coup d'œil rapide sur les livres suivans, où l'auteur ne traite plus des questions aussi générales, mais fait passer sous les yeux de ses lecteurs tous les objets compris dans les grandes divisions de son ouvrage.

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