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dicule; mais tel que vingt ans plus tard les admirateurs de Ronsard auraient pu la croire écrite sérieusement par leur poète ou par quelqu'un de ses imitateurs.

ves,

Ce fut dans les différens dialectes parlés en France, que Rabelais chercha les matériaux propres à compléter la langue française. Il recueillit, dans nos diverses provinces, les expressions et les tournures les plus naturelles, les plus viles plus précises; et s'efforça de les mettre en œuvre assez habilement pour que, nulle part, elles ne parussent étrangères : idée heureuse, mais au succès de laquelle la vie d'un écrivain ne pouvait suffire. Dans la carrière qu'il s'était ouverte, Rabelais n'a pu faire que quelques pas, très-lents relativement à nous, très rapides si l'on considère le point dont il est parti! On aperçoit un progrès marqué pour l'aisance, la clarté, l'élégance de la diction entre le premier livre de Rabelais et les livres suivans: l'auteur s'était instruit à manier avec plus de souplesse l'instrument qu'il avait créé. On peut même, dans tous les livres, indiquer certains passages qu'un écrivain correct ne rédigerait pas mieux aujourd'hui. Mais, pour l'ensemble de l'ouvrage, un grand nombre de lecteurs réclameront toujours un commentaire.

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Peut-être serait-on en droit d'objecter aux personnes que rebute la diction de Rabelais, qu'elles se vantent pour la plupart de lire couramment les Essais de Montaigne, et de comprendre sans trop de difficulté, la Traduction de Plutarque par Amyot; de Rabelais à ces auteurs, la distance est moindre pourtant, que de Montaigne à Balzac... Mais il vaut mieux avouer de bonne foi qu'un homme de génie s'élève au-dessus des conceptions, plus facilement qu'au dessus du langage de son siècle; il vaut mieux confesser que Rabelais a besoin d'un commentaire, et ajouter encore que le soin d'éclaircir les obscurités du langage constitue à peine la

moitié de la tâche imposée à ses commentateurs : les allégories et les allusions exerceront aussi, et bien d'avantage, leur patience et leur sagacité.

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Aucun des commentateurs de Rabelais n'avait encore pleinement répondu à l'attente des hommes de goût; mais tous présentaient des conjectures heureuses et des recherches de quelque prix. En profitant du travail de leurs devanciers, MM. Éloi Johanneau et Esmangart ont conçu le projet trèslouable d'offrir au public une véritable édition variorum. A côté de leurs propres opinions sur le sens des allégories et sur celui des mots, ils rapportent les opinions émises antérieurement, et laissent au lecteur éclairé le droit de décider et de choisir. Nous pensons que le choix se portera le plus souvent de leur côté. Leur supériorité nous semble surtout incontestable dans l'art de soulever les voiles dont Rabelais a dû si souvent couvrir sa pensée. S'il est vrai, par exemple, que Gargantua soit François Ier, et Pantagruel Henri II, pourquoi est-il dit que Pantagruel naquit, lorsque son père avait quatre cent quatre-vingts et quarante-quatre ans (1)? Ce nombre si bizarrement exprimé est celui de 524 : retranchez, disent les nouveaux commentateurs, les cinq siècles ajoutés pour dépayser le lecteur, il reste vingt-quatre ans, âge qu'avait en effet François Ier à l'instant de la naissance de Henri II. L'Explication des Fanfreluches antidotées (2) avait jusqu'ici été tentée sans succès: celle que présentent les nouveaux commentateurs, est d'un bout à l'autre un tour de force, une sorte de divination, qui ne prouve pas moins de finesse que d'érudition et de critique. On fera sans doute à MM. Éloi Johanneau et Esmangart, sur ce morceau même et sur leur travail entier, quelques objections: ils sont trop sages et

(1) Livre I, chap. 2. (2) Livre 1, chap. 2.

trop éclairés pour prétendre qu'ils ont deviné juste, toujours et dans tous les détails. Mais, pour le fond, ils peuvent se croire à l'abri de la contradiction. C'est du moins ce que nous avons pensé, en lisant le premier volume qu'ils viennent de publier. Nous espérons que le lecteur en prendra la même opinion : il appréciera le mérite du travail des commentateurs et leurs recherches prodigieuses; il sera frappé du nombre de rapprochemens neufs, d'anecdotes et d'éclaircissemens qu'il trouvera dans ce volume, et qui n'importent pas moins à la connaissance des mœurs et des événemens qu'à l'intelligence de l'ouvrage de Rabelais.

Supérieure sous ce rapport et sous ceux de la typographie et de la gravure, à toutes celles qui l'ont précédée, la nouvelle édition de Rabelais est aussi plus complète. Indépendamment d'une bibliographie très-soignée, les éditeurs ont ajouté aux ouvrages de Rabelais généralement connus, des pièces qui l'étaient beaucoup moins. Tels sont les Songes drolatiques, recueil de cent vingt caricatures dessinées par Rabelais, et destinées à reproduire les principaux personnages de son roman satirique ; et la Sciomachie, opuscule si rare, que plusieurs érudits en ont révoqué en doute l'existence. ́

Une Vie de Rabelais, rédigée par M. Éloi Johanneau, et purgée des contes ridicules qu'avaient recueillis les précédens biographes, concourra, avec l'ouvrage même, à faire connaître sous ses traits véritables, le plus ancien et le plus gai des philosophes français (1). Eusèbe SALVERTE.

(1) Les personnes qui désireraient avoir des renseignemens précis sur les éditions antérieures du fameux roman de Rabeiais, dont la plus ancienue paraît remonter à l'une des deux années 1535 ou 1533, pourront consulter un article détaillé sur ce sujet, dans la Bibliographie de la France, par M. BEUCHOT, 12° année, no 30 (26 juillet 1823), pag. 443. M. Beuchot lui-même renvoie aussi ses lecteurs à l'article Rabelais, dont il a fourni la partie bibliographique, dans la Biographie Universelle dont les T. XXXV et XXXVI vont paraître incessamment.

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tème de géographie moderne, ou Tableau de l'état actuel du globe, avec un Appendice offrant des tables statistiques de la population, du commerce, des revenus, des dépenses et des divers établissemens des ÉtatsUnis; par Sydney E. MORSE, accompagné d'un atlas. Boston et NewHaven. In-8° de 676 pages.

Cet ouvrage paraît être ce qu'on a publié de mieux en ce genre jusqu'à présent aux États-Unis. L'auteur a disposé ses matières autrement que ses devanciers, et c'est la plupart du tems à l'avantage de la science et du lecteur. Il a su présenter en quelques mots les institutions politiques de chaque pays, d'une manière exacte et sage. Nos géographes d'Europe consulteront avec fruit quelques articles de la géographie de M. Morse, notamment celui des États-Unis, qui est assez étendu et fort bien fait.

118.

A*.

Journal The american Journal of science and arts, etc. américain des sciences et arts, rédigé par Benjamin SILLIMAN, professeur de chimie, de minéralogie, etc., au collége d'Yale, membre correspondant de plusieurs sociétés savantes, américaines et étrangères ; 6e volume, no 1 et 2. New-Haven, 1823. (Voy. Rev. Enc., T. XVII, pag. 571.)

Le 6o volume du recueil de M. Silliman est très-riche en faits géologiques il n'est donc pas moins nécessaire aux savans européens qu'à ceux d'Amérique; car la géologie, plus que toute autre science, a besoin de rapprocher les faits, malgré la distance des lieux. On trouve ici une description détaillée du bassin, ou, pour mieux dire, de la vallée

(1) Nous indiquerons par un astérisque (*) placé à côté du titre de chaque ouvrage, ceux des livres étrangers ou français qui paraîtront dignes d'une attention particulière, et dont nous rendrons quelquefois compte dans la section des Analyses.

du Connecticut jusqu'aux rapides de Bellow, par M. Edward Hitchcock. L'observateur s'est borné à un espace d'environ 60 lieues de longueur sur 12 de largeur; mais il l'a examiné avec soin. Les minéralogistes de tous les pays ont aujourd'hui l'avantage de suivre une même méthode, et de parler, à peu près, la même langue; il en résulte que leurs descriptions peuvent être brèves, quoique très-claires, et qu'un mémoire de peu d'étendue renferme quelquefois ce qui n'aurait pu être exposé que très-longuement avec moins de méthode et une langue moins précise. Le pays baigné par le Connecticut est, en général, d'ancienne formation. Les terrains secondaires et de transition y montrent, comme partout ailleurs, des débris d'animaux et de végétaux. Des roches amygdaloïdes, d'une structure très-remarquable, ont conduit M. Hitchcock à une discussion sur ces sortes de roches, sur les basaltes, sur le système géologique de Werner, comparé à celui d'Hutton, etc. : cette partie de son mémoire est digne de la plus grande attention. Il propose une série d'observations qui formeraient ce qu'il nomme un chronomètre cosmogonique, et qui consisterait dans la mesure des progrès de certaines formations qui continuent encore actuellement, et dont les produits peuvent être reconnus dans toute leur étendue. Le même procédé pourrait être appliqué à beaucoup de phénomènes analogues dans notre Europe. En parlant des mines métalliques que l'on trouve près du Connecticut, il conduit le lecteur dans une ancienne mine de cuivre dont l'intérieur est converti en prison. « Là, dit-il, 60 ou 70 prisonniers, blancs, mulâtres et noirs, sont difficilement distingués les uns des autres, tant leurs corps et leurs vêtemens sont souillés par leurs travaux et leur habitation. On les occupe à des ouvrages de forges : leur regard est sombre et terrible. Autrefois, on les enfermait chaque nuit dans des cachots taillés dans le roc; mais, aujourd'hui, l'on ne prend plus cette précaution que contre les plus mutins. A 70 pieds de profondeur, le guide, ayant tiré un verrou, me fit voir l'intérieur d'un roc humide, où un prisonnier venait d'être attaché toute une semaine, par punition extraordinaire. Dans son désespoir, ce furieux avait mis en pièces sa bible, et en avait dispersé les feuillets, bravant ainsi en même tems les lois de Dieu et celles des hommes (1). — Cette notice n'est pas encore terminée. D'après ce qu'on lit dans le 6 volume, la contrée décrite par M. Hitchcock offri

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(1) Il paraît que cette prison souterraine est un reste des anciens établissemens avant la formation de la république américaine, et que le gouvernement actuel n'a pas encore eu le tems ou les moyens de construire un lieu de détention plus convenable.

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