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Les traditions de la vie de Garat sont surtout celles de son talent : il en est pourtant d'associées à celles-là, et qui consacrent encore davantage son nom. Très-indépendant par caractère, et très au fait, quoiqu'il n'en parlât jamais, des idées sur lesquelles se fondait la révolution, lié au trône par une reconnaissance personnelle, il garda le silence; mais, dès que la reine fut menacée de périr sous les ruines de la royauté, une romance de sa composition rendit les larmes de ceux qui la pleuraient plus abondantes. Jcté dans les cachots de Rouen, plus remplis et plus menacés de l'échafaud que les autres, il y préparait d'autres chants pour la marche fanéraire ; mais les cachots furent ouverts avant qu'on pût entendre ces mots terribles : Les chants avaient cessé.

Dans un article sur la mort de Garat, les regrets qu'on lui donnait ont fait croire et dire que sa maladie et sa mort ont été douloureuses on sera bien aise d'apprendre qu'il a très-peu senti sa maladie, qui n'était qu'un affaiblissement graduel, et qu'il n'a pas du tout senti sa mort, qui n'en a été que le dernier degré.

Depuis le commencement jusqu'à la fin de cette langueur mortelle, mais douce, Garat a presque toujours reçu du monde, et il a toujours désiré de voir ses parens et ses amis. On chérissait ses bonnes qualités; jamais homme peut-être n'est sorti de la vie, à soixante ans, après y avoir fait moins de mensonges et de méchancetés. On lui pardonnait ses défauts, qui n'étaient que des singularités presque aussi étonnantes que ses talens: on riait des unes, en admirant les autres.

sa sœur,

L'un de ses parens les plus assidus à ses côtés, a été un fils de M. Emile Lubbert. Des goûts plus forts très-souvent que la parenté, les unissaient. Quoique plus varié dans les siens, le neveu aime la musique, autant que son oncle l'aimait. Entre eux c'était toujours de musique qu'il était question, ou des élèves de Garat, ses ouvrages, en quelque sorte :

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parmi les hommes, de M. Ponchard, surtout, ami de tous les deux, qui a déjà chanté sur les théâtres des compositions lyriques du neveu, avec toute la perfection de la méthode de l'oncle, ce qui donnera sans doute à M. Lubbert le courage, qu'il n'a pas eu encore, de présenter des pièces dont les paroles et la musique seront du même auteur; parmi les femmes, Mme Rigaut-Pallard, dont Garat lui-même a toujours parlé comme d'un talent pour lequel aucune beauté du chant n'est difficile à atteindre; éloge précisément le même que celui qu'il avait toujours reçu des nations qui ont pu l'entendre. Quels doux entretiens si près de la mort!

de

Voici quelque chose de plus difficile à comprendre. Un autre de ses amis lui demandait, dans les mêmes jours, si, lorsqu'il était seul, la musique l'occupait encore quelquefois. Toujours, répondit Garat.—Te la rappelles-tu très-exactement?-Mieux que mais.-Essaies-tu de chanter?-Non; je sais que cela m'est impossible; mais, ma mémoire chante en silence, et je n'ai jamais mieux chanté. Tout le monde en jugerait de même, si on l'entendait. »Ainsi, l'homme qui avait chanté avant de parler, a chanté en silence, au moment où il avait perdu la voix, et qu'il allait perdre la parole et la vie (1).

(1) GARAT, né à Bordeaux, vers la fin de l'an 1762, est mort à Paris, le 1er mars 1825. Il est inhumé au cimetière de l'Est, connu sous le nom du P. La Chaise, dans la même partie que Grétry, Méhul, Delille et Ginguené, et très-près de leurs tombes.

SCIENCES PHYSIQUES.

TRAITÉ SUR LA STRUCTURE extérieure dU GLOBE, OU INSTITUTIONS GÉOLOGIQUES, par Scipion BREISLAK, membre de plusieurs académies (1).

Cet ouvrage, composé en italien, et traduit en francais sous les yeux de l'auteur, vient d'être publié à Paris. Ainsi, l'Italie est son pays natal; mais la France est sa patrie adoptive: il n'a point à craindre d'y être accueilli avec indifférence. Quand même on voudrait le regarder comme étranger, nous nous empresserions de remplir à son égard les devoirs de l'hospitalité.

M. Breislak a traité dans sa préface une question qui n'est pas sans importance pour les progrès des études géologiques, et qui offre un exemple remarquable de la puissance des mots. La science dont le globe terrestre est l'objet doit-elle être nommée géologie (théorie de la terre), ou géognosie (connaissance de la terre)? Depuis que M. CUVIER a dit qu'on ne peut prononcer le nom de géologie sans exciter le rire, ce nom frappé de ridicule ne semble plus admissible en France, et il a fallu chercher une sorte d'équivalent. En effet, la nouvelle dénomination (géognosie) est moins ambitieuse, plus exacte, et désigne mieux, non-seulement ce que nous savons, mais peut-être même ce qu'il nous est possible de savoir sur le globe terrestre. Cependant, le mot géologie est consacré par

(1) Paris, 1822. Fantin, Bachelier. Trois vol. in-8° avec un atlas de 56 planches.

un long usage, et ne trompe point les esprits justes. Si la terminaison logie ne devait être appliquée qu'aux sciences perfectionnées et réduites en théories, la chronologie changerait de nom, à cause de ses immenses et irréparables lacunes; la météorologie et la physiologie n'auraient qu'une légitimité fort douteuse, etc. D'Alembert pensait de la médecine, à peu près comme M. Cuvier pense de la géologie; mais il exprimait son jugement avec sa précision accoutumée. Je crois à la médecine, disait-il, mais ni vous ni moi ne sommes médecins. On sait que cet illustre géomètre avait étudié la médecine, avant de se livrer exclusivement aux sciences mathématiques. Il ne riait point lorsqu'il entendait parler de médecine.

Le nom d'une science peut être comparé au titre d'un livre. L'amour-propre de l'auteur veut que le titre soit bien choisi; le lecteur ne s'y arrête point, et ne s'occupe que de ce que le livre contient. En étendant cette comparaison, ne pourrait-on pas dire que les divisions méthodiques des sciences ont le mérite et l'utilité des catalogues de bibliothèques, mais qu'elles n'ajoutent rien aux connaissances et aux idées? qu'une bibliothèque s'enrichit par l'acquisition de bons ouvrages, et non par le perfectionnement de son catalogue?

Nous avons dû commencer par çes observations, parce que l'ouvrage de M. Breislak est à la fois géognostique et géologique, et que cette dernière science n'est pas rétablie dans ses droits, malgré les soins de M. Cuvier pour expliquer sa pensée, et pour empêcher qu'on ne se méprît sur le sens de ses expressions. Notre auteur adopte un système, c'est-à-dire une hypothèse sur la formation des substances qui composent notre globe : il aura donc pour adversaires tous ceux qui préfèrent une autre hypothèse que la sienne, et ceux qui n'en veulent aucune. Les premiers ne repousseront pas un livre dont le sujet provoque leur attention, quoique l'auteur l'en

visage sous un aspect plus ou moins opposé à leurs opinions; mais les seconds seront peut-être peu curieux de connaître des doctrines qu'ils rejettent en bloc et sans examen. Essayons de leur montrer qu'ils n'auront pas perdu leur tems à examiner; que, s'ils ne sont pas dédommagés de leurs peines par quelques vérités de plus, ils en tireront au moins l'avantage de mieux savoir ce qu'ils savent, et d'être plus éclairés sur la route qui peut les conduire à de nouvelles connais

sances.

Lorsque les faits sont isolés, ils ne sont connus qu'imparfaitement; l'expérience le démontre chaque jour. Ainsi, l'étade des faits particuliers ne conduirait qu'à un très-faible degré d'instruction, si nous n'avions aucuns moyens de comparer les faits analogues, et de les généraliser. L'expérience fait voir aussi nos efforts que établir entre les faits une liaipour son que la nature n'a pas révélée, ne sont pas toujours infructueux; que ce qui est fiction dans nos hypothèses, disparaît peu à peu, et fait place à des observations; que c'est à ces essais répétés avec persévérance que nous sommes redevables d'un très-grand nombre de découvertes. Dans la science de la nature, l'examen des hypothèses consiste dans leur comparaison avec les faits connus, et par conséquent dans les rapprochemens, les généralisations, les opérations de l'esprit qui créent, augmentent et perfectionnent les sciences. Loin que cet examen soit, dans tous les cas, un mauvais emploi du tems, il offre, au contraire, à l'étude un motif et un but: on s'y livre avec des précautions, avec une défiance qui soutient l'attention, et préserve la pensée des habitudes de routine qu'elle est sujette à contracter, aussi bien que les facultés corporelles. En un mot, cet examen est une discussion qui ne peut être que très-utile, lorsqu'on s'y livre sans prévention, et par dévouement pour la vérité.

Mais toute hypothèse n'est pas digne de subir cette épreuve. T. XIX.-Juillet 1825.

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