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Coyer. Mais, ne voulant ni compromettre son repos, ni ajourner après sa mort une production qu'il jugeait utile, il imagina d'envoyer son manuscrit à Nuremberg, et d'en publier là, une traduction allemande, comme composition originale. On voit, par sa correspondance avec M. Hume, qu'il eut de même le dessein de se cacher, sous le masque d'une traduction anglaise. Sa mort prématurée, qui arrêta l'accomplissement de ces deux projets, ne fut pas tout-à-fait imprévue. Helvétius aimait profondément sa patrie; et, si quelquefois sa plume en gourmande les institutions, on sent dans ses reproches le dépit d'un amant, et non l'ingratitude d'un fils. Les parlemens étaient à ses yeux l'unique refuge de la liberté française, et leur destruction le frappa d'un découragement mörtel. On le vit reprendre alors le poème qu'il avait commencé dans sa jeunesse, comme dernier amusement d'une vie qui s'éteint. Sa constitution altérée par le chagrin, ne put résister à une attaque de goutte qui l'enleva, dans la force de l'âge, à la république des lettres, que son caractère honorait, au culte de sa famille dont il était chéri à tous les titres, et à la foule des infortunés que soutenait sa bienfaisance. Il laissait une veuve dont je parlerai bientôt, et deux filles qu'on surnommait dans la société les Etoiles, et qui épousèrent les comtes de Meun et d'Andlau. J'ai connu aussi un vieillard, mort depuis quelques mois à l'âge de 81 ans, et qui passait pour fils naturel d'Helvétius et d'une mère allemande. L'origine paternelle se trahissait en lui, par la ressemblance des beaux traits de son visage, par sa passion pour la vie champêtre, et par la vigueur de sa vieille âme trempée de philosophie.

La mémoire d'Helvétius fut moins enrichie par la publication posthume de son poème du Bonheur, que par un essai intéressant sur sa vie et ses ouvrages, dont M. de Saint-Lambert l'accompagna. Le manuscrit envoyé à Nuremberg, et in

titulé de l'Homme, parut ensuite. Le style plus chaud, et moins orné que celui de l'Esprit, s'y anime de l'indignation de l'auteur, Helvétius essaie de justifier ses premières opinions, et les étend à l'éducation des hommes et à la police des gouvernemens. Quoique la sagesse soit loin d'applaudir à toutes ses vues, quelques-unes méritent un sérieux examen, et ne respirent pas l'indiscrétion du novateur. Si cet ouvrage n'a jamais atteint à la renommée du précédent, c'est que la persécution lui manqua. Bien plus hostile et plus empreint de ces témérités qui courroucèrent justement la vicillesse du roi de Prusse, il ne fut cependant pas poursuivi, soit que l'expérience eût rendu l'autorité mieux avisée, soit que l'amour de la vérité ait en effet plus de patience que les factions; car, depuis la croisade contre le livre de l'Esprit, un grand mouvement avait changé la scène politique, et montrait les jésuites chassés, les jansénistes mal affermis, le nouveau parlement baffoué comme usurpateur, et la cour aux pieds d'une femme pour qui le nom d'aventurière eût presque semblé une flatterie.

Par une exception assez rare, la gloire d'Helvétius a reçu un nouvel éclat de l'édition complète de ses œuvres. L'abbé La Roche, qui la donna en 1795, fit preuve de discernement par le choix des écrits posthumes de l'auteur, tels que ses jugemens sur l'Esprit des lois, et sur la constitution de l'Angleterre, et cent soixante réflexions, morales ou politiques, extraites de ses manuscrits. Il me semble que dans ces fragmens, moins entachés de paradoxes que ses grands ouvrages, et remarquables par le jet de la pensée, le tour concis de l'expression, et la touche d'un esprit du premier ordre, on retrouve la finesse de l'observation jointe à la grandeur des vues, et quelque chose aussi de cette science de l'avenir qui est un attribut du génie. Ceux qui croyaient Helvétius maîtrisé par des principes trop absolus, l'entendront, au contraire, professer qu'il faut se défier des fausses idées d'une perfection impossible à la

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multitude, et que les bons gouvernemens se forment avec une extrême lenteur par le tems, l'expérience et les lumières (1). Sa politique conciliait ainsi la force et la modération, comme firent tous les grands philosophes, et Rousseau lui-même, si hardi dans le Contrat social, où il n'agite que des théories, et si timide dans le gouvernement de Pologne, où il s'agit d'opérer sur des hommes. Quand je me suis demandé quel sort attendait Helvétius, si le cours naturel de sa vie l'eût amené jusqu'au sein de notre révolution, je n'ai plus douté qu'il n'y eût partagé la fin déplorable de ses illustres amis, les Malesherbes et les Lavoisier. Mais, la capricieuse démocratie qui l'aurait immolé vivant, voulut l'honorer mort; elle donna son nom à la rue Sainte-Anne, qu'il avait habitée à Paris ; et je crois qu'aujourd'hui cette prérogative lui est disputée. Ceci me rappelle que la ville de Londres avait aussi une rue SainteAnne dont le nom fut changé, pendant la guerre civile, non sans de graves querelles pour un incident si puéril. Cette controverse populaire, plaisamment racontée dans un des plus agréables chapitres du Spectateur, nous laisse la preuve consolante qu'il y a au moins communauté de folie entre la Seine et la Tamise.

Le nom d'Helvétius fut surtout dignement gardé par sa veuve, qui lui survécut près de trente années, et refusa l'alliance de Turgot et de Frankiin. Cette femme respectable, morte à quatre-vingts ans, dans la dernière année du XVIIIe siècle, faisait revivre, avec l'originalité piquante qui lui était propre, la grandeur d'àme, la candeur et la bienfaisance de son époux. Dans ces jardins d'Auteuil, déjà chers aux muses par le séjour de Molière et de Boileau, elle groupa autour de sa vieillesse une élite d'hommes distingués par la supériorité des ta

(1) Helvétius, T. XIV. Réflexions 148° et 153o. Édition de Didot, 1795.

lens et du caractère, et tels qu'Helvétius les aurait choisis luimême. Franklin, qui par un ingénieux badinage, la nomme dans ses lettres Notre-Dame-d'Auteuil, a exprimé par ce mot le patronage délicat et généreux, dont l'exercice charma sa vie, et se prolongea encore dans les largesses de son testament. La considération publique, si clairvoyante dans ses jugemens, s'était reposée sur la pléiade philosophique d'Auteuil. Lorsque les bords du Nil rendirent à la France le vainqueur de l'Italie, il vint plusieurs fois, dans la retraite de Mme Helvétius, chercher les suffrages imposans qui naissaient sur ce petit coin de terre. Mais les sages d'Auteuil, qui avaient d'abord souri à la fortune du jeune libérateur, replièrent leurs suffrages, dès qu'ils virent l'ambitieux consul corrompre le pouvoir qu'il avait reçu de la France, par le pouvoir qu'il lui dérobait.

LÉMONTEY, de l'Institut.

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SCIENCES PHYSIQUES.

RECHERCHES HISTORIQUES, CHIMIQUES ET MÉDICALES SUR L'AIR MARÉCAGEUX, par M. JULIA, professeur de chimie médicale (1).

L'Académie des sciences de Lyon avait mis au concours, pour 1820, la question suivante : Déterminer, mieux qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, la nature des émanations insalubres qui s'exhalent des marais, le mode de leur formation et la manière dont elles infectent l'air. Ce sujet avait déjà été proposé par l'Académie de Bordeaux, par celle de Nancy, et par la Société de Médecine de Paris. En appelant de nouveau l'attention des savans sur cette matière importante, l'Académie de Lyon a voulu l'éclairer des lumières de la chimie moderne. Le prix a été décerné à l'ouvrage de M. JULIA.

:

L'auteur n'a pas borné ses expériences aux exhalaisons marécageuses il a aussi soumis à l'analyse les émanations des égouts, des latrines, des écuries, des bergeries, des lieux infectés de la fièvre jaune: il cite tous les lieux auquels se sont étendues ses recherches eudiométriques (ou relatives à la salubrité de l'air); il passe en revue tous les marais connus dans les deux mondes : il assure que ceux de la France occupent une étendue d'environ 1,500,000 arpens, et que ces sour

(1) Paris, Gabon, libraire, rue de l'École-de-Médecine. Un vol. in-8° de 155 pages; prix, 2 fr.' 50 c.; et par la poste, 3 fr. — Cet ouvrage a été couronné, en 1820, par l'Académie des sciences de Lyon.

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