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pèce de connaissances, et sans aptitude pour en acquérir!

La nécessité d'établir, à cet égard, un nouvel ordre de choses ne tarda pas à être sentie. Nommé par le gouvernement, comme les autres magistrats, le juge de paix n'est appelé aujourd'hui à ces fonctions importantes, que sur une présentation faite avec discernement. Institué pour dix ans, et, certain de conserver sa place, tant qu'il s'en montrera digne, il peut, au moins, se livrer à l'étude des connaissances indispensables à l'exercice de son ministère.

On a souvent répété que, pour être juge de paix, le bon sens suffit; que la science du droit, loin d'être nécessaire, serait plus dangereuse qu'utile. « Il faut que >> tout homme de bien, pour peu qu'il ait d'expérience » et d'usage, puisse être juge de paix.... La justice de >> paix sera dégagée des formes qui obscurcissent tel>>lement les procès, que le juge le plus expérimenté >> ne sait souvent pas qui a tort ou raison. La compétence de ces juges doit être bornée aux choses de » convention très simples et de la plus petite valeur, et >> aux choses de fait qui ne peuvent être bien jugées » que par l'homme des champs, qui vérifie, sur le lieu » même, l'objet du litige, et trouve, dans son ex

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périence, des règles de décision plus sûres que la » science des formes et des lois n'en peut fournir aux » tribunaux............. L'agriculture sera désormais plus ho»> norée, le séjour des champs plus recherché, les cam» pagnes seront peuplées d'hommes de mérite dans tous » les genres.»-Ainsi s'exprimait le célèbre Thouret, en présentant à l'assemblée nationale le projet de loi sur

les justices de paix : ce langage n'avait rien d'étonnant; les législateurs d'alors étaient bercés de l'illusion que la France régénérée allait revenir à la simplicité des premiers âges.

Mais, ce qui doit surprendre, c'est, après un demisiècle d'expérience, d'avoir entendu répéter dans nos chambres, que l'étude est inutile à un juge de paix, qu'il suffit d'être homme de sens et de conscience; funeste préjugé ! qui ne tendrait à rien moins qu'à paralyser tous les développements de l'émulation, à préconiser l'ignorance, et à favoriser l'arbitraire dont elle est la compagne inséparable.

Les matières dont la loi du 24 août 1790 attribuait la connaissance aux juges de paix, exigeaient déjà des études spéciales; et, en augmentant les attributions de ces magistrats, la loi nouvelle a beaucoup agrandi le cercle des connaissances qu'ils doivent acquérir.

Est-ce donc avec les seules ressources du bon sens, qu'un juge de paix peut être capable d'apprécier les actions possessoires, qui présentent souvent des difficultés dont la solution embarrasse les hommes les plus versés dans la science du droit? A quoi sert à un juge de paix de savoir, qu'il est compétent pour connaître des actions relatives aux loyers et fermages, aux dégradations et réparations locatives, aux effets apportés chez un aubergiste ou confiés à des messageries publiques, au bornage, aux dégâts ruraux, aux injures et voies de fait, etc., si ce juge n'a pas la moindre notion du contrat de louage, du dépôt, des lois concernant la possession, le voisinage, en un mot, des règles de droit et de procédure, qui se rattachent aux différents objets soumis à sa juridiction?

Les auteurs de la loi n'ont-ils pas vu, qu'en élevant à 200 fr. la compétence des juges de paix, en matière personnelle (compétence qui, n'étant autrefois que de 100 fr., les dispensait de recourir à la preuve légale ), cette disposition seule met ces magistrats dans la nécessité de se pénétrer des principes qui régissent les contrats et les obligations, la preuve testimoniale et les présomptions?

Il n'est pas jusqu'à la juridiction des justices de paix, en matière de simple police, qui ne présente des difficultés sérieuses. Les décisions rendues, à cet égard, paraissent de peu d'importance; cependant les recueils sont remplis d'arrêts qui cassent celles qui ont été l'objet d'un pourvoi. Il existe même, en cette matière, plusieurs cas sur lesquels la jurisprudence de la Cour suprême n'est pas encore fixée d'une manière invariable (1). Le juge de paix, dit-on, est plutôt un conciliateur qu'un juge! En n'ouvrant l'accès des tribunaux qu'après l'épuisement des voies de conciliation, les auteurs de l'institution des juges de paix étaient dominés par l'idée philanthropique, que cette mesure allait prévenir la plupart des discussions judiciaires. Mais combien cette espérance n'a-t-elle pas été déçue? Lors de la discussion du Code de procédure, plusieurs bons esprits proposèrent de supprimer la tentative de conciliation, qui, selon eux, était inutile, et ne servait qu'à retarder l'expédition des affaires (2). Et si cette tentative n'a pas été abolie complétement, du moins le Code en a dispensé une grande partie des procès. Je suis loin

(1) Voyez ce qui est dit sur les réglements municipaux. tome 1, pag. 56 et suiv., et sur les questions préjudicielles, pag. 81 ct suiv.

(2) Voyez tome 1, pag. 13.

de contester l'utilité de ce préliminaire : les idées d'indépendance, qui dominent toutes les classes de la société, sont, il est vrai, peu compatibles avec les mesui es conciliatrices, et l'esprit de chicane, surtout dans les villes, a fait dégénérer la tentative du bureau de paix en une pure formalité. Cependant il est des campagnes où la parole d'un homme, investi d'une juste considération, peut produire les plus heureux effets.

Mais, pour concilier d'une manière équitable, encore faut-il être à même d'apprécier les droits des parties. A quoi peuvent aboutir les efforts d'un médiateur qui, avec les meilleures intentions, serait étranger à toutes connaissances, si ce n'est à consacrer des injustices, à revêtir même d'une forme illégale l'arrangement qu'il aura déterminé? Ce sont les affaires les plus importantes la loi soumet à la tentative du bureau de paix. Et, si j'en juge d'après l'expérience, la conciliation exige autant et même plus de lumières que le jugement de la plupart des contestations soumises aux juges de paix.

que

Si donc il n'est pas besoin d'astreindre le choix de ces magistrats à la condition d'un diplôme; si la connaissance approfondie de la législation n'est pas indispensalle pour l'exercice de leur ministère, du moins doiventils s'appliquer à l'étude des lois spéciales qui fixent leurs attributions, à celle des principes et des règles de procédure, qui s'y rattachent. L'étude de ces lois, de ces principes, de ces règles, leur est d'autant plus nécessaire que, jugeant seuls, ils sont privés du secours des lu nières collectives, de la discussion qui frappe, éclaire et dirige les autres juges.

Préoccupé, depuis long-temps, de l'idée d'un travail

qui pût servir de guide à MM. les juges de paix, j'en rassemblais les matériaux, lorsqu'est survenue la loi nouvelle qui m'a imposé l'obligation d'étendre mes recherches. L'ouvrage que je présente n'est donc point une de ces productions fugitives que l'on se hâte de faire paraître, à l'instant même de la publication d'une loi; c'est le fruit de longues méditations: et si je n'ai pas atteint le but que je m'étais proposé, j'espère du moins qu'on me saura gré de l'intention qui m'a guidé dans une tâche laborieuse et importante.

Entreprendre le commentaire d'une loi nouvelle, c'est marcher dans une route pleine d'écueils. Les discussions auxquelles a donné lieu la loi du 25 mai 1838, sont loin de fournir des éclaircissements suffisants: bornées d'ailleurs, à la compétence, ces discussions ne pouvaient être d'un grand secours pour le dévelop→ pement des matières que j'ai entrepris de traiter à fond.

Il est vrai que cette loi reproduit plusieurs des dispositions de celle du 24 août 1790. Mais les commentaires de la loi ancienne ne présentent pas non plus beaucoup de ressources.

L'ouvrage le plus remarquable sur les justices de paix, est le Traité de la compétence de M. Henrion de Pansey. Un aussi grand nom devait nécessairement subjuguer la confiance, et plusieurs des questions que ce jurisconsulte a résolues, le sont, il faut en convenir, avec la plus grande justesse. Cependant cet ouvrage est loin de répondre à l'importance de son titre. C'est plutôt un livre de théorie que de pratique. Plein de recherches historiques, de savantes digressions, il est même peu à la portée de ceux auxquels il semblait devoir être spécialement destiné,

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