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S III.

Des actions relatives à l'élagage des arbres ou haies.

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26. C'est ici une nouvelle attribution que la loi confère aux juges de paix. En s'expliquant sur les dommages faits aux champs, fruits et récoltes, a dit M. Barthe à la chambre des pairs, la loi de 1790 se taisait sur les actions relatives à l'élagage, et au curage des fossés. Pour de telles causes, combien n'est-il pas regrettable de voir s'introduire devant les tribu»naux d'arrondissement, des procès qu'élève souvent l'amourpropre, plus qu'un véritable intérêt; et qui, plus tard, » n'entretiennent la mésintelligence entre voisins, qu'à raison des frais que chaque plaideur s'efforce de rejeter sur son adversaire. »

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Néanmoins, plusieurs auteurs avaient pensé, que l'action en élagage rentrait dans la compétence relative aux dommages faits aux champs; un arrêt de la Cour de cassation, du 9 décembre 1817, l'avait même décidé ainsi; mais c'était une erreur: celui qui plante un arbre à la distance prescrite, use de son droit; nul ne peut s'en plaindre. Si, par la suite, les branches s'étendent sur le fonds du voisin, celui-ci peut en requérir l'élagage, sans qu'il soit besoin d'examiner s'il en ressent un préjudice quelconque; mais, tant qu'il ne l'exige pas, il est censé consentir à supporter les inconvénients du voisinage de l'arbre, dont l'ombrage, en certains cas, peut même lui servir d'agrément. L'action en élagage n'a donc rien de commun avec celle pour dommages faits aux champs, fruits et récoltes. Aussi, par un second arrêt, la Cour de cassation a-t-elle reconnu que, l'ac» tion en élagage ne peut être confondue avec l'action pour dommages faits aux champs, fruits et récoltes, parce qu'il ne s'agit, dans celle-ci, que du dommage résultant d'un délit ou ⚫ quasi-délit ; tandis que le dommage qui donne lieu à la de, mande en élagage, se rapporte à un fait fondé sur le droit ⚫ de propriété, c'est-à-dire à une plantation d'arbres (1). ►

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(1) Arrêt du 29 décembre 1830, D., pag. 179 de 1831.

Dans son Traité de la compétence, chap. 25, § 4, M. Henrion de Pansey commet aussi une erreur, en prétendant que l'action en élagage devait être portée devant le juge de paix, et cela par le motif que cette action, absolument étrangère à la propriété, est purement possessoire. L'action possessoire ne peut être admise que pour les choses prescriptibles, et, comme on va le voir, le droit d'élagage ne saurait être prescrit.

Aussi l'action en élagage n'a-t-elle pas besoin d'être formée, dans l'année du trouble. La compétence du juge de paix ne peut être déclinée, qu'autant que le défendeur se prétendrait propriétaire du terrain sur lequel avancent les branches de l'arbre, ou s'il a un titre établissant une servitude sur ce fonds.

27. Le droit d'élagage est fondé sur l'art. 672 du Code. Le § 1er de cet article accorde, au voisin, le droit d'exiger l'arrachement des arbres et haies, qui n'auraient pas été plantés à la distance prescrite par la loi. Et le § 2 porte que celui sur la pro»priété duquel avancent les branches des arbres du voisin » peut contraindre celui-ci à couper ces branches. » Enfin, d'après le § 3, si ce sont les racines qui avancent sur son héritage, il a droit de les y couper lui-même. »

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Ainsi, quoique l'arbre ait été planté à la distance prescrite, s'il nuit, par l'extension de ses branches, le voisin peut en requérir l'élagage. Ce droit, d'ailleurs, est fondé sur l'art. 552. La propriété du sol emportant la propriété du dessus et du dessous, le propriétaire du terrain n'est pas obligé de souffrir l'avancement des branches d'un arbre au-dessus de son héritage.

Mais il n'en est pas de l'extension des branches, comme des racines qui croissent dans le sol : à l'égard des rácines, le propriétaire du terrain peut les couper lui-même, sans qu'il soit besoin d'avertissement; en cela, il ne fait qu'user du droit de propriété, tandis que, pour les branches, il doit requérir l'élagage. En ébranchant, de sa propre autorité, l'arbre du voisin, il commettrait une voie de fait, passible de peine correctionnelle (1).

(1) Arrêt du 15 février 1811, D., pag. 144. Telle est aussi la disposition de l'art. 150 du Code forestier, comne on va le voir.

28. Celui dont le terrain est ombragé, doit donc sommer le propriétaire de l'arbre d'avoir à le faire élaguer; et faute par celui-ci d'obtempérer à la sommation, l'assigner devant le juge de paix. Le même exploit peut même servir de sommation et de citation, pour le cas où l'on refuserait de s'y conformer. En conséquence, le juge de paix se transportera sur les lieux pour vérifier le fait, et ordonnera au défendeur d'avoir à faire élaguer dans un délai, passé lequel le demandeur sera autorisé à faire procéder lui-même à l'élagage, aux frais du défendeur, en condamnant, au besoin, celui-ci à telle somme de dommages-intérêts réglés par le jugement, en cas d'inexécution.

Sur quoi il est à observer que l'élagage ne doit être exécuté que dans le temps propre à la taille, autrement on risquerait de faire périr l'arbre.

Relativement à l'action pour dommages faits aux champs, fruits et récoltes, la compétence du juge de paix est limitée, comme on l'a vu, au cas où il existe un dommage réel: ici c'est différent; que l'arbre cause ou non du dommage, que le demandeur soit animé par un sentiment d'amour-propre plutôt que par un véritable intérêt, l'action est fondée, dès l'instant que les branches de l'arbre se projettent sur son terrain; en exigeant l'élagage, il ne fait, on le répète, qu'user de son droit de propriété.

Ici se présente l'examen de deux questions, celle de savoir, si l'action dont il s'agit peut être prescrite; et si le droit de requérir l'élagage s'étend aux arbres des forêts?

29. L'administration forestière élevait la prétention de soustraire au droit d'élagage les arbres des forêts; mais déjà avant la publication du Code forestier, les tribunaux avaient rejeté cette prétention (1). Et voici la disposition que porte l'article 150 de ce Code: Les propriétaires riverains des bois et » forêts ne peuvent se prévaloir de l'art. 672 du Code civil,

pour l'élagage des lisières desdits bois et forêts, si ces arbres » de lisières ont plus de 30 ans. - Tout élagage qui serait exé› cuté, sans l'autorisation des propriétaires des bois et forêts,

(1) Voy. notamment dans le recueil de Dalloz, p. 328, l'arrêt du 31 juillet 1827 qui a rejeté le pourvoi de l'administration forestière contre un arrêt de la Cour de Paris.

› donnera lieu à l'application des peines portées par l'art. 196.»

De cet article qui aurait pu être rédigé plus clairement, on tirerait en vain la conséquence qu'il a été dans l'intention du législateur d'interdire, à l'avenir, l'élagage des arbres qui auraient acquis l'âge de 30 ans. Il résulte de la discussion (et il est peu de lois qui aient été discutées plus nettement et plus largement), que la défense d'élaguer les arbres de lisière, parvenus à l'âge de 30 ans, loin d'être une prohibition perpétuelle, n'est qu'une disposition transitoire, pour les arbres ayant alors plus de 30 ans. Aussi le gouvernement, qui avait promis de fixer ainsi l'interprétation de la loi, a-t-il eu soin de lever tous les doutes, en publiant l'ordonnance réglementaire. Voici ce que porte l'article 176 de cette ordonnance: ⚫ Quand >> les arbres de lisière qui ont actuellement plus de 30 ans » auront été abattus, les arbres qui les remplaceront devront » être élagués, conformément à l'article 672 du Code civil, lorsque l'élagage en sera requis par les riverains (1). ►

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Ainsi le propriétaire de fonds voisins d'une forêt peut requérir le préfet, s'il s'agit d'un bois domanial, le maire, si le bois appartient à la commune, aussi-bien que le propriétaire d'un bois de particulier, d'avoir à faire procéder à l'élagage des arbres dont les branches s'étendent; et en cas de refus, c'est au juge de paix à ordonner que ces arbres seront élagués. Si le défendeur prétend qu'en 1827, époque de la publication du Code forestier, l'arbre avait déjà plus de 30 ans, il doit justifier de cette exception; autrement la demande en élagage devrait être accueillie. Mais on croit qu'en ce cas, le jugede paix serait incompétent, parce que le droit étant contesté, il s'agirait de statuer sur une question de servitude non conventionnelle, il est vrai, mais dont le titre se trouve dans la loi.

30. La solution de cette première question conduit à celle de savoir, si la prescription peut être opposée à une demande en élagage, sous le prétexte que, depuis plus de trente ans, les branches s'avancent sur l'héritage voisin.

(1) On peut voir, sur ce point, la discussion à laquelle je me suis livré dans lo commentaire du Code forestier, tome 2, pag. 406 et suiv., et dans le Traité d usage, tome 2, pag. 355 et suiv.

Pour ce qui concerne la plantation des arbres, plus près qu'à la distance prescrite, le propriétaire, si l'arbre existe depuis plus de 30 ans, peut opposer la prescription à la demande en arrachement, comme on le verra, en commentant le § 2 de l'art. 6, qu'il eût été naturel de réunir à celui qui nous occupe, les deux actions étant fondées sur le même article du Code. Mais en ce qui regarde l'élagage, l'âge de l'arbre est indifférent si le Code forestier a voulu que l'on respectât les arbres de lisière d'une forêt qui avaient plus de 30 ans, c'est, comme on vient de le voir, une exception purement transitoire. Pour ce qui concerne les arbres plantés à distance, la prescription du droit d'élagage ne pourrait commencer à courir que du jour où l'extension des branches devient préjudiciable à l'héritage voisin, et il serait difficile de préciser l'instant où ce préjudice a dû être senti.

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La prescription, dit l'auteur du Traité d'usufruit, ne peut ⚫ avoir lieu que là où la possession est absolument fixe et » certaine, parce qu'on ne peut admettre un effet, sans être sûr » que sa cause existe: or, lorsqu'il s'agit des branches d'un ⚫ arbre qui croissent et s'allongent annuellement; il est im⚫ possible de dire, quelle était déjà leur longueur il y a trente ans;

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il serait impossible d'affirmer avec sécurité, qu'alors elles ⚫ fussent déjà saillantes sur le fonds voisin; et, malgré toutes » les marques de vétusté que leur aspect pourrait offrir, il › serait surtout impossible d'assigner le terme précis de la projection que la nature leur aurait fait faire, pendant trente ans. » Du moment donc que, dans le fait, il y a impossibilité de » reconnaître quel était l'état de la possession il y a trente ▸ ans, il y a de même impossibilité légale d'admettre la prescrip⚫tion, puisqu'on ne peut jamais la déclarer acquise que sur » l'état des choses, tel qu'il existait, quand elle a commencé son cours. » Loi 7, ff. de servit. urban. prædiorum (1).

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(1) Traité d'usage, 2e édition, tome 2, page 374; voir aussi le Traité du domaine de propriété du même auteur, tome 2, no 581; M. Pardessus, des Servitudes, no 196, pag. 295, 7o édit.; Vazeille, Prescriptions, tome 1, page 132; Valla, De rebus dubiis, tract. 8, pag. 51; et Mornac, Ad leg. 13, tf. fin. regund.

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