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15. A l'égard des juges de paix qui sont tout à la fois juges civils et juges de police, la loi, sous ce dernier rapport, ne leur attribuant que la connaissance des contraventions, le jugement par lequel un tribunal de police aurait connu de faits constituant un délit, de la compétence du tribunal correctionnel, serait frappé d'une nullité radicale.

L'exercice de la juridiction civile des juges de paix est parfaitement distinct de leurs attributions en matière de police. Comme on le verra dans la section suivante, le juge de paix tenant le tribunal de police ne peut statuer sur l'action civile et prononcer des dommages-intérêts contre le prévenu, qu'en lui appliquant une peine, quoique la demande en dommages-intérêts soit de sa compétence comme juge civil: en cette dernière qualité, il ne pourrait pas non plus prononcer une amende ou toute autre peine applicable à une contravention.

Comme juges civils, les juges de paix n'exercent qu'une juridiction extraordinaire; par conséquent ils ne peuvent connaître que des affaires qui leur sont nominativement attribuées par la loi. Ainsi en matière réelle, les actions possessoires étant les seules dont la connaissance soit dévolue aux justices de paix, leur incompétence relativement à l'action pétitoire, aux questions de propriété, est absolue et ne saurait être couverte par le consentement exprès ou tacite des parties.

En est-il de même, en matière personnelle, pour le cas où la demande excéderait le taux de compétence fixé par la loi?

Par deux arrêts à la date des 22 juin 1808 (D., page 447 ) et 20 mai 1829 (p. 247), la Cour de cassation a décidé que, dans ce cas, l'incompétence du juge de paix est absolue et d'ordre public; qu'ainsi la sentence doit être réformée si la demande excédait le taux de sa compétence; que le jugement confirmatif ne saurait échapper à la cassation, lors même que l'incompétence n'aurait été proposée ni en première instance, ni en appel.

Un autre arrêt du 12 mars 1829 ( D., p. 384) semblerait avoir jugé le contraire; mais il est à remarquer que, dans l'espèce, il s'agissait d'un objet mobilier extrêmement minutieux, dont la valeur n'avait pas été déterminée; les parties, qui n'avaient proposé aucun moyen d'incompétence, étaient

censées, par-là même, avoir reconnu que la valeur de la demande, quoique indéterminée, n'excédait point la limite des attributions du juge de paix : ce dernier arrêt peut donc se concilier avec les deux autres.

Cependant, s'il était vrai que l'incompétence du juge de paix pour statuer sur une action personnelle excédant le taux fixé par la loi, fût absolue et d'ordre public, cette incompétence frapperait le juge d'une incapacité radicale; tout ce qu'il ferait, même du consentement des parties, serait affecté de nullité; tandis que, comme on le verra au paragraphe suivant, la juridiction du juge de paix peut être prorogée dans toutes les matières qui lui sont dévolues, usquè ad certam summam. Quoi qu'il en soit, les juges de paix doivent être attentifs à se renfermer dans les bornes de leurs attributions.

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16. C'est le montant de la demande qui fixe la compétence du juge de paix en matière civile, soit en premier, soit en dernier ressort la condamnation fût-elle restreinte au taux fixé par la loi, même à une somme très inférieure, le jugement ne devrait pas moins ètre réformé, dès l'instant que la demande excédait la limite des attributions du tribunal.

La compétence est-elle irrévocablement fixée par la citation? Il faut distinguer le cas où le défendeur paraît, de celui où il fait défaut. Dans ce dernier cas, le demandeur, pour rendre le juge de paix compétent, ne pourrait restreindre sa demande qu'en faisant signifier au défendeur ses conclusions restrictives, autrement le juge de paix devrait se déclarer incompétent en vertu de la citation; si, au contraire, le défendeur paraît et que, devant le juge de paix, le demandeur déclare restreindre l'action qui excédait primitivement la compétence, dans ce cas c'est la demande fixée par les nouvelles conclusions qui fixera cette compétence en premier ou dernier ressort (1).

Pour déterminer la compétence, on doit comprendre les intérêts et arrérages échus avant la demande et joints au capital, mais non ceux qui ont couru depuis l'instance, quelle qu'en soit la quotité.

(1) Arrêts des 4 septembre 1811, 6 juillet 1814, 11 avril 1831, 23 avril 1838, D., ., p. 465 de 1811, 403 de 1814, 140 de 1831, et 287 de 1838.

17. Dans le cas où le juge de paix a statué sur une demande qui, excédant ses attributions, n'a pas été restreinte comme il vient d'être dit, la sentence doit être réformée, sans que le tribunal supérieur puisse évoquer et faire droit aux parties.

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En effet, les tribunaux d'arrondissement exercent, au civil, deux sortes de juridictions qui ne doivent pas être confondues dans leur exercice: ils sont juges en premier ou dernier ressort de toutes les affaires non attribuées à des juridictions spéciales, et juges d'appel des sentences des juges de paix en cette dernière qualité, ils ne peuvent que maintenir ou annuler la sentence du juge de paix; et lors même qu'il s'agit d'une demande qui, n'excédant pas 1,500 francs, eût été de leur compétence en dernier ressort, si l'action avait été portée devant eux comme elle devait l'être, cependant sur l'appel, ils ne peuvent faire droit aux parties, l'évocation n'étant praticable que quand l'affaire rentre dans les attributions de la justice de paix (1).

Le tribunal ne pourrait pas non plus statuer en premier ressort, sauf appel à la Cour, sur une action possessoire; ce serait troubler l'ordre des juridictions établi par la loi qui confère aux juges de paix les actions possessoires en premier ressort, sauf l'appel devant le tribunal civil..

18. A l'égard des actions personnelles dont la connaissance est dévolue aux juges de paix d'une manière restreinte, ou à quelque somme que la demande puisse s'élèver, la jurisprudence a varié sur la question de savoir si, dans le cas où ces actions ayant été portées devant le tribunal d'arrondissement pour être jugées en premier ou dernier ressort, l'incompétence de ce tribunal était absolue ou seulement relative. (On peut voir à cet égard Dalloz, Dictionnaire général, au mot compétence civile, no 53 et 54.) Ce qu'il y a de certain, c'est que les juges de paix n'exercent qu'une juridiction extraordinaire, tandis qu'en matière personnelle, les tribunaux civils ont la plėnitude de juridiction; et c'est par ce motif que, comme on vient de le voir, ils statuent légalement sur les matières attribuées aux tribunaux de commerce, quand aucune des parties n'a demandé

(1) Voy. le Commentaire sur les art. 13 et 14 de la loi, tom. 2, § 3 de l'instruction et jugement sur appel, no 18.

le renvoi devant ces tribunaux : la question, à ce qu'il nous semble, doit recevoir ici la même solution.

On reviendra sur les règles de compétence, en discutant les art. 7,8,9 et 14 de la loi du 25 mai 1838, relatifs à l'appel et aux demandes réconventionnelles.

S IV.

De la prorogation de juridiction.

19. Quelle que soit l'incompétence des juges de paix, lorsque la demande excède les limites de leurs attributions, néanmoins dans les affaires dont la connaissance leur est dévolue jusqu'à une certaine somme, leur compétence peut être prorogée, c'està-dire étendue, par la volonté expresse des parties.

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Voici ce que disait à cet égard la loi du 14-26 octobre 1790, contenant réglement pour la procédure en la justice de paix, art. 11: « Les parties pourront toujours se présenter volontairement et sans citation, devant le juge de paix, en déclarant >> qu'elles lui demandent jugement; auquel cas il pourra juger » leur différend, soit sans appel dans les matières où sa com>> pétence est en dernier ressort, soit à charge d'appel dans » celles qui excèdent sa compétence en dernier ressort, et cela encore qu'il ne fût le juge naturel des parties, ni à raison » du domicile du défendeur, ni à raison de la situation de l'objet litigieux..

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Cette disposition eût semblé n'accorder aux parties d'autre faculté que celle de comparaître devant un juge de paix sans citation, et de franchir les limites de la juridiction territoriale, sans pouvoir, au surplus, étendre la compétence ni en premier, ni en dernier ressort (1).

Est survenu le Code de procédure, dont l'art. 7 porte: «Les › parties pourront toujours se présenter volontairement devant un juge de paix; auquel cas il jugera leur différend, soit en

(1) Tel avait été d'abord le sentiment de M. Henrion de Pansey, comme on peut le voir à l'article juge de paix, § 3 du Répert., article qui est de cet auteur; mais sur les observations de M. Merlin, il n'a pas hésité d'en revenir. Voir le même recueil, v° Hypothèque, sect. 2, § 2, art. 4.

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› dernier ressort, si les lois ou les parties l'y autorisent, soit à la › charge de l'appel, encore qu'il ne fût le juge naturel des parties, ni à raison du domicile du défendeur, ni à raison de la › situation de l'objet litigieux : la déclaration des parties qui ⚫ demanderont jugement sera signée par elles, ou mention sera • faite si elles ne peuvent signer.

Cette disposition, quoique plus étendue que celle que portait la loi de 1790, ne tranche pas néanmoins la question, d'une manière positive; tout ce qui semblerait en résulter, c'est que les parties, comparaissant volontairement devant le juge de paix, peuvent l'investir du droit de statuer en dernier ressort sur les affaires qui ne lui sont dévolues que comme juge inférieur; qu'ainsi, dans les justices de paix, on peut user de la faculté de renoncer à l'appel, faculté que l'art. 6, tit. 4, de la loi du 24 août 1790, accorde en toutes matières personnelles, réelles ou mixtes, dont connaissent les tribunaux de première instance.

C'est ainsi que la faculté de proroger la juridiction du juge de paix devrait être restreinte, d'après M. le procureur-général Dupin. L'arbitre peut être autorisé à juger, à quelque somme › que ce soit, même en dernier ressort, sans appel, ni recours > en cassation: mais, d'après l'art. 7 du Code de procéd., le juge › de paix (bien que, par sa nature, juge de conciliation dans les ‣ affaires que la loi lui défère à ce titre) ne peut, dans les autres › affaires, juger même du consentement des parties, que dans ⚫ les limites de sa compétence, et toujours suivant le droit. Les

plaideurs peuvent bien s'interdire la voie de l'appel ou celle › du recours en cassation: en cela ils ne font qu'abdiquer leur › droit personnel d'attaquer la sentence de leur juge. Mais ils › ne peuvent altérer le caractère de celui-ci, et même, en le prenant pour arbitre, comme c'est toujours le juge de la loi, ils › ne peuvent pas dénaturer le pouvoir qu'il tient d'elle.» Ainsi s'exprimait ce magistrat à l'audience des chambres réunies da 15 mai 1838.

Mais cette autorité, quelque grave qu'elle paraisse, perd beaucoup de son importance, si l'on considère que, dans l'espèce, il ne s'agissait point de la question qui nous occupe; la discussion portait sur le point de savoir si les arbitres forcés, en matière

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