veille continuellement fur les dégradations les plus legeres; il les répare à peu de frais au moment qu'elles se forment, & avant qu'elles aient pu s'augmenter; enforte que la route eft toujours roulante, & n'exige ja'mais de réparations coûteuses. , Les routes, au contraire, qui font entretenues par corvée ne font réparées que lorsque les dégradations font affez sensibles pour que les personnes chargées de donner des ordres en foient averties. De-là il arrive que ces routes, formées communément de pierres groffierement caffées, étant d'abord très-rudes, les voitures y suivent toujours la même trace, & forment des ornieres qui coupent souvent la chauffée dans toute sa profondeur. L'impossibilité de multiplier à tous momens les com mandemens de corvée, fait que, dans la plus grande partie des provinces, les réparations d'entretien se font deux fois l'année, avant & après l'hiver, & qu'aux époques de ces deux réparations, les routes se trouvent trèsdégradées. On est obligé de les recouvrir de nouveau de pierres dans leur totalité; ce qui, outre l'inconvénient de rendre à chaque fois la chauffée auffi rude que dans sa nouveauté, entraîne une dépense annuelle en journées d'hommes & de voitures, souvent très-approchante de la premiere conftruction, Tour ouvrage qui exige quelqu'instruction, quelqu'industrie particuliere, eft impossible à exécuter par corvée. C'est par cette raison que dans la confection des routes entreprises par cette méthode, l'on est obligé de se borner à des chaussées d'empierrement grossierement conf truites, fans pouvoir y substituer des chaussées de pavé, Jorsque la nature des pierres l'exigeroit, ou lorsque leur rareté & l'éloignement de la carriere rendroient la conftruction en pavé incomparablement moins chere que celle des chaussées d'empierrement, qui consomment une bien plus grande quantité de pierres. Cette différence de prix, souvent très-grande, au défavantage des chauffées d'empierrement, est une augmentation de dépense réelle & de fardeau pour le peuple, qui résulte de l'usage des cor vées. Il y faut ajouter une foule d'accidens; ens; la perte des. beftiaux qui, arrivant sur les atteliers déjà excédés par une longue route, fuccombent aux fatigues qu'on exige d'eux; la perte même des hommes, des chefs de famille, bleffés, eftropiés, emportés par des maladies qu'occasionat l'intempérie des saisons, ou la seule fatigue; perte fi douloureuse , quand celui qui périt, fuccombe à un rifque forcé, & qui n'a été compensé par aucun salaire. Il faut ajouter encore les frais, les contraintes, les amendes, les punitions de toute espece que néceffite la résistance à une loi trop dure pour pouvoir être exécutée fans réclamation. Peut-être aussi les vexations secre tes, que la plus grande vigilance des personnes chargées de l'exécution de nos ordres, ne peut entierement empêcher dans une administration auffi étendue, auffi compliquée que celle de la corvée, où la justice diftributive s'égare dans une multitude de détails, où l'autorité subdivisée,, pour ainsi dire, à l'infini, eft répandue dans un fi grand nombre de mains, & confée dans les dernieres branches à des employés fubalternes, qu'il est presqu'impossible de choisir avec certitude, & très-difficile de fur yeiller. Nous croyons impoffible d'apprécier tout ce que la cor vée coûte au peuple. En fubftituant à un systeme aussi onéreux dans ses effets aussi défectueux dans ses moyens, l'usage de faire conftruire les routes à prix d'argent, nous aurons l'avantage de sçavoir précisément la charge qui en résultera pour nos peuples, l'avantage de tarir à la fois la source des vexations & celle des défobéissances, celui de n'avoir plus à punis, plus à commander pour cet objet, & d'économiser l'usage d'autorité qu'il est si fâcheux d'avoir à pro diguer. Ces differens motifs fuffiroient pour nous faire préférer à l'usage des corvées, le moyen plus doux & moins difpendieux de faire faire les chemins à prix d'argent. Mais un motif plus puissant ant & plus décisif encore nous détermine, c'est l'injustice inféparable de l'usage des corvées, Tout le poids de cette charge retombe, & ne peut retomber que fur la partie la plus pauvre de nos sujets, fur ceux qui n'ont de-propriété que leurs bras & leur industrie, sur les cultivateurs & fur les fermiers. Les propriétaires, presque tous privilegiés, en font exempts, ou n'y contribuent que très-peu. Cependant c'est aux propriétaires que les chemins pu blics font utiles, par la valeur que des communications multipliées donnent aux productions de leurs terres. Ce ne font ni les cultivateurs actuels, ni les journaliers qu'on y fait travailler qui en profiteront; les successeurs des fermiers actuels paieront aux propriétaires cette augmentation de valeur, en accroiffement de loyers. La clatie des journaliers y gagnera peut-être un jour une augmen X 4 tation de salaires proportionnée à la plus grande valeur des denrées; elle y gagnera de participer à l'augmentation générale de l'aifance publique ; mais la seule clafse des propriétaires recevra une augmentation de richeffes prompte & immédiate; & cette richesse nouvelle ne se répandra dans le peuple, qu'autant que ce peuple l'achetera encore par un nouveau travail. C'est donc la classe des propriétaires des terres qui recueille le fruit de la confection des chemins; c'est elle qui devroit seule en faire l'avance, puisqu'elle en retire les intérêts. Comment pourroit-il être juste d'y faire contribuer ceux qui n'ont rien à eux? de les forcer à donner leur tems & leur travail fans salaire, de leur enlever la seule reffource qu'ils aient contre la mifere & la faim, pour les faire travailler au profit des citoyens plus riches qu'eux ? Une erreur toute opposée a souvent engagé l'adminis-tration à facrifier les droits des propriétaires au defir mal entendu de foulager la partie pauvre de nos sujets, en afsujettissant par des loix prohibitives les premiers à livrer leurs propres denrées au-deffous de leur véritable valeur. Ainfi, d'un côté, l'on commettoit une injuftice contre les propriéraires, pour procurer aux simples manouvriers du pain à l bas prix prix; & de l'autre, on enlevoit à ces mala heureux, en faveur des propriétaires, le fruit légitime de leurs fueurs & de leur travail. On craignoit que le prix des subsistances ne montat trop haut pour que leurs falaires pussent y atteindre; &, en exigeant d'eux gratuitement un travail qui leur eût été payé, fi ceux qui en profitent en eussent supporté la dépense, on leur otoit le moyen de concurrence, le plus propre à faire monter ces salaires à leur véritable, prix. C'étoit blesser également les propriétés & la liberté des différentes claffes de nos sujets; c'étoit les appauvrir les uns & les autres pour les favorifer injuftement tour-à-tour. C'eft ainsi qu'on s'égare, quand on oublie que la juftice seule peut maintenir l'équilibre entre tous les droits & tous les intérêts. Elle sera dans tous les tems la base de notre administration, & c'est pour la reffdre à la partie de nos sujets la plus nombreuse, & fur laquelle le besoin qu'elle a d'être protégée fixera toujours notre attention d'une maniere plus particuliere, que nous nous sommes hatés de faire cesser les corvées dans toutes les provinces de notre royaume. Nous n'avons cependant pas voulu nous livrer à ce premier mouvement de notre cœur, fans avoir examiné & apprécié les motifs qui ont pu engager nos prédéceffeurs à introduire & laisser subfifter un usage dont les inconvéniens font fi évidens. On a pu penfer que la méthode des corvées permettant de travailler à la fois sur toutes les routes, dans toutes les parties du royaume, les communications seroient plutôt ouvertes, & que l'état jouiroit plus promptement des richesses dues à l'activité du commerce, & à l'augmentation de valeur des productions. L'expérience n'a pas dû tarder à diffiper cette, illu-, fon. On a bientôt vu que quelques-unes des provinces où la population est la moins nombreuse, sont précisément celles où la confection des chemins, par la nature du pays & du fol, exige des travaux immenfes, qu'on ne peut fe Matter d'exécuter avec un petit nombre de bras, sans y employer peut-être plus d'un fiecle. On a vu que dans les provinces même les plus remplies d'habitans, il n'étoit pas possible, fans accabler les peuples & fans ruiner les campagnes, d'exiger des corvoyeurs un affez grand nombre de journées, pour pouvoir exécuter en peu de tems aucune partie considérable de chemin. On a éprouvé que les corvoyeurs ne pouvoient donner utilement leur tems, fans être conduits par des employés intelligens, qu'il falloit payer; que les fournitures d'outils, leur renouvellement, les frais de magain entraînoient des dépenses considérables, proportionnées à la quantité d'hommes employés annuellement. On a fenti que, fur une longueur déterminée de chemin, conftruite par corvée, il devoit se rencontrer pluheurs ouvrages indispensables, tels que des ponts, des escarpemens de rochers, des murs de terrasse, qui ne pouvoient être construits que par des hommes d'art, & à prix d'argent; que, par conféquent, l'on hateroit fans fruit la construction des ouvrages de corvée, si l'impossibilité d'avancer en même proportion les ouvrages d'art laissoit les chemins, interrompus, & inutiles au public. On s'est convaincu par-là que la quantité d'ouvrages faits annuellement par corvée avoit, avec la quantité d'ouvrages d'art que permettoit chaque année la difpofition des fonds des ponts & chauffées, une proportion, néceffaire, qu'il étoit ou impossible ou inutile de paffer; que dès-lors, on se latteroit rainement de faire à la fois tous les chemins; & que ce prétendu avantage de la corvée se réduisoit à pouvoir commencer en même tems un grand nombre de routes, fans faire réellement plus d'ouvrage qu'on n'en feroit par la méthode des conftructions à prix d'argent, dans laquelle on n'entreprend une partie que lorsqu'une autre eft achevée, & que le pu blic peut en jouir. L'état où font encore les chemins dans la plus grande partie de nos provinces, & ce qui reste à faire en ce genre, après tant d'années pendant lesquelles les corvées ont été en vigueur, prouvent combien il est faux que ce système puisse accélérer la conftrution des chemins. On s'est aussi effrayé de la dépense qu'entraîneroit la confection des chemins à prix d'argent. On n'a pas cru que le trésor de l'état, épuisé par les guerres & par les profusions de plusieurs regnes, & chargé d'une masse enorme de dettes, pût fournir à cette Dépenfe. On a craint de l'imposer sur les peuples, toujours trop chargés, & on a préféré de leur demander un travail gra tuit, imaginant qu'il valoit mieux exiger des habitans de la campagne, pendant quelques jours, des bras qu'ils avoient, que de l'argent qu'ils n'avoient pas. Ceux qui faifoient ce raifonnement, oublioient qu'il - ne faut demander à ceux qui n'ont que des bras, ni l'argent qu'ils n'ont pas, ni les bras qui font leur unique moyen pour nourrir eux & leur famille. Ils oublicient que la charge de la confection des chemins, doublée & triplée par la lenteur, la perte de tems, & l'imperfection attachée au travail des corvées, eft incomparablement plus onéreuse pour ces malheureux, qui n'ont que des bras, que ne pouvoit l'être une charge incomparablement moindre, imposée en argent, fur des propriétaires plus en état de payer; qui, par l'augmentation de leur revenu, auroient immédiatement recueilli les fruits de cette espece d'avance, & dont la contribution, en devenant pour eux une fource de richesses, eût foulagé dans l'instant ces mêmes hommes qui, n'ayane que des bras, ne vivent qu'autant que ces bras font employés & payés. Ils oublioient que, fi une impofition employée à des dépenses éloignées, dont les peuples ignorent l'emploi, épuise les provinces & les afflige, une contribution dont le produit, dépensé sur les lieux mêmes, est employé. fous les yeux de ceux qui la paient, en travaux dont ils. recueillent l'avantage, & foulagent les habitans pauvres, Avril. 2e. quinz. 2776. C |