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Dans un moment plus heureux, fa fidélité conftante efpere être écoutée, lorfqu'elle implorera la juftice & la bonté de V. M. en faveur des premiers ordres du royaume, fa compaffion en faveur du peuple, fa fageffe en faveur de l'état entier.

En cet inflant, Sire, à peine fommes-nous affez à nous-mêmes pour exprimer une foible partie de notre douleur.

Vous jugerez quelle doit en être l'étendue, quand vous aurez vu fe développer les pernicieux effets de tant d'innovations, également contraires à l'ordre public & à la conftitution de l'état.

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V. M. fçaura gré pour lors à fon parlement e fa per. févérance à n'y prendre aucune part.

Elle reconnoîtra de quel côté se trouve un véritable attachement à fa perfonne facrée, un zele éclairé pour fon fervice, un amour du bien général, conforme aux vues de V. M.

Elle veut le bien du peuple, & quand l'expérience lui aura montré que des fyftêmes adoptés comme capables d'opérer le bien, produifent le mal, elle fe hatera de les rejetter.

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Puiffent feulement les maux que nous prévoyons, Sire, & que nous ne cefferons de vous exhorter à prévenir ne pas jetter de fi profondes racines ne pas miner tellement les anciens fondemens de l'état, qu'il ne devienne en quelque forte impoffible d'en arrêter & d'en réparer les ravages.

Il ne nous refte plus d'efpoir que dans la prudence & dans l'équité de V. M. Pleins de la confiance qu'el le nous infpire, nous ne cefferons jamais de renouveller nos inftances auprès d'elle; & nous ofons nous flat, ter Sire, que V. M. daignera rendre justice à la pureté de nos fentimens, & à notre amour inviolable pour fa perfonne facrée.

Après ce difcours, le greffier en chef du parlement fit lecture de l'édit portant fuppreffion des corvées. M. le garde des fceaux ayant dit aux gens du roi qu'ils pouvoient parler, M. Séguier, avocat-général, prononça ce difcours.

SIRE

La puiffance royale ne connoît d'autres bornes que celles qu'il lui plaît de fe donner à elle-même. V. M. croit devoir en ce moment faire ufage d'une autorité

abfolue. Quel que puiffe être l'événement de l'exercice de ce pouvoir, l'édit dont nous venons d'entendre la lecture, n'en fera pas moins, aux yeux de votre parlement, une nouvelle preuve de la bienfaifance du cœur de V. M.

Du haut de fon trône, elle a daigné jetter un regard fur toutes les provinces de fon royaume; avec quelle douleur n'a-t-elle pas confidéré l'affreufe fituation des malheureux qui habitent les campagnés ! Réduits à ne pouvoir même trouver dans le travail, par la cherté des denrées, un falaire fuffifant pour affurer leur fubfiftance ils accufent de leur infortune l'avarice de la terre, & l'intempérie des faisons. On a propofé à V. Maj. de ve nir à leur fecours; on lui a fait envifager les travaux publics auxquels ils étoient forcés de facrifier une partie de leur tems, comme une furcharge également injufte dans le principe, & odieufe dans fes effets. La bonté de votre cœur s'eft émue votre tendreffe s'eft allarmée ; & n'écoutant que la fenfibilité d'une ame paternelle V. M. s'e empreffée de remédier à un abus apparent, mais confacré en quelque forte par fon ancienneté.

reux,

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La nation entiere applaudira, Sire, aux vues de bienfaifance dont vous êtes animé. Tous vos fujets partagent vos fentimens, & leur amour leur fera fupporter avec patience la nouvelle charge que vous croyez devoir impofer. Mais, Sire, permettez à notre zele de vous repréfenter très-refpe&ueufement, que le même motif qui Vous engage à tendre une main fecourable aux malheu doit également vous engager à ne pas faire fupporter tout le poids des impofitions aux poffeffeurs de fonds, dont la propriété fera bientôt anéantie par la multiplicité des taxes. Et en effet, c'eft fur le propriétaire que les impôts en tous genres fe trouvent accumulés ; c'eft le propriétaire qui paie la taille de fon fermier; c'eft le propriétaire qui paie l'induftrie; c'eft le proprié taire qui paie la capitation de fon fermier, la fienne, & celle de fes domeftiques; enfin, c'eft le propriétaire qui paie les vingtiemes. Si V. Maj. ajoute à ces différens impôts un nouveau droit pour tenir lieu des corvées. que deviendra cette propriété morcelée en tant de ma nieres? Et pourra-t-il trouver dans le peu qui lui reftera, toutes charges de létat déduites, un bénéfice fuffifant pour fournir à fa confommation, celle de fa famille, à l'entretien de fes bâtimens, & à la culture de fon domaine, dont il ne fera plus que le fermier 1

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C'est un principe univerfellement reconnu, qu'en ma

tiere d'impôt, la difficulté de la perception abforbe fou vent tout le bénéfice; la multiplicité des taxes fatigue néceffairement les contribuables, fans augmenter la maffe des tréfors du prince. Enfin, Sire, la véritable richeffe d'un roi, c'eft la richeffe de fon peuple. Appauvrir les fujets, c'eft ruiner le fouverain, parce que toutes les reffources de l'état font dans la fortune des particuliers.

Si de ces confidérations générales, nous defcendons dans l'examen de la nouvelle impofition que V. Maj. fe propofe d'établir, que de réflexions n'aurions-nous pas à vous préfenter, & fur fa nature, qui détruit toutes les franchifes de la nobleffe, auffi anciennes que la mo narchie; & fur fa durée, qui n'a point de limites; & fur l'arbitraire de la taxation qui s'en fera toutes les af nées.

Sous quelque dénomination que l'on envifage cet im pôt, il n'en fera pas moins perpétuel, il n'aura ni terme ni mefure, il dépendra de l'influence des faifons, de l'activité du commerce de la rapidité des paffages; & il n'aura jamais d'autres appréciateurs que les commiffaires départis par V. Maj. en chaque province de fon

royaume.

Cette contribution confondra la nobleffe, qui eft le plus ferme appui du trône, & le clergé, miniftre facré des autels, avec le refte du peuple, qui n'a droit de fe plaindre de la corvée, que parce que chaque jour doit lui rapporter le fruit de fon travail pour fa nourriture, & celle de fes enfans..

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Il eft jufte, fans doute, d'affurer la fubfiftance du payfan que l'on tire de fes foyers; il eft jufte de le dédommager de la perte de fes travaux auxquels il eft arraché mais, Sire, fi l'entretien des chemins publics eft indifpenfable, comme perfonne n'en peut douter, il eft également vrai qu'ils font d'une utilité générale à tous les fujets de V. M. Cette utilité reconnue ne doiventils pas y contribuer également, les uns avec de l'argent, les autres par leur travail ? Pourquoi faut-il que le fardeau tout entier ne retombe que fur le propriétaire, comme s'il étoit le feul qui eût droit d'en profiter? Nous ne difconviendrons pas que le poffeffeur d'un domaine en tirera un grand avantage pour l'exploitation de fes terres & pour la facilité du tranfport de fes denrées; mais tous les commerçans du royaume, autres que ceux qui font le trafic des productions de la terre, ne retire ront-ils pas le même avantage de l'entretien de la voie publique ? Le poids des marchandifes étrangeres qui fe

wanfportent d'une extrêmité du royaume à l'autre ; les voitures públiques ouvertes à tous les citoyens, les roliers & les voyageurs n'y cauferont pas moins de dégradations, & jouiront de la même commodité, fans être tenus de payer pour l'établissement ou la réparation des grandes routes. Ne feroit-il pas de la juftice de V. M. de répartir l'impofition fur tous ceux qui font ufage de la voie publique, en proportion de l'utilité qu'ils en retirent? La perception, fans doute, deviendroit très-difficile, & peut-être impraticable; mais puifque nous avons l'honneur de parler à un roi qui ne veut que le bonheur de fon peuple, ne nous fera-t-il, pas permis de lui expofer le moyen de le foulager?

Les peuples les plus anciens, les nations les plus fages, les républiques les mieux policées, ont toujours employé leurs armées à l'établiffement & à l'entretien des chemins publics. Les ouvrages faits par les gens de guerre ont toujours été les plus folides, & il exifte encore en France des chemins conftruits par Céfar, lors de la conquête des Gaules.

V. M. pourroit également faire travailler fes foldats pendant la paix, Cent mille hommes employés pendant un mois, à deux reprifes différentes dans l'année, 15 jours au printems, jours en automne, acheveroient plus d'ouvrages que toutes les paroiffes du royaume. Par cet arrangement, les chemins fe trouveroient toujours en bon état, & le doublement de la paye tiendroit lieu d'indemnite pour ce nouveau travail. Cent mille hommes font 25 mille francs par jour; pour un mos ce feroit 750 mille livres : & en y joignant la même fomme pour les voitures & charrois, la totalité feroit un objet de 15 cents mille liv. Le corps du génie pourroit remplacer l'école des ponts & chauffées; & les fonds aduellement deftinés à cette école & à ces travaux, fe trouveroient fuffifans fans aucune taxe nouvelle. Les foldats y trou veroient un bénéfice; & les vues de bienfaifance de V. M. feroient entierement remplies.

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Voilà, Sire, les réflexions que l'amour du bien public nous a fuggérées: puiffent-elles être agréées de V. M.! En lui fournissant le moyen d'épargner un impôt à ses fujets, nous croyons denier à V. M. une nouvelle preuve de notre amour & de notre refpect. Si elle pouvoit douter des fentimens qui nous animent, & que nous partageons avec tout fon parlement, V. M. peut s'affurer par elle-même des véritables motifs qui ont dirigé les dé❤ marche's d'un corps attaché à fon fouverain,

Jufqu'à préfent, Sire, les rois, vos auguftes prédé ceffeurs, n'ont déployé leur piffance fouveraine que pour faire ufage de la plénitude du pouvoir abfolu. La bouche des magiftrats a toujours été muette; & leur efprit accablé foas le poids de l'autorité, n'ofoit; même au pied du trône, réclamer l'ufage de la liberté, qui doit être le partage des fonctions de la magiftrature. Votre majefté veut-elle connoitre fes véritables intérêts? Veutelle affurer le bonheur de fes peuples? Si les magiftrats les plus fideles pouvoient être fufpects dans leurs motifs ou dans leur intentions, V. M., en ce moment, eft en tourée de fes auguftes freres, des princes de la famille royale, des pairs de France, des miniftres de fon confeil, des plus nobles perfonnages du royaume qu'elle daigne les confulter. Voilà le véritable confeil des rois; voilà l'élite de la nation; c'eft par leur bouche qu'elle parlera: vous connoitrez, Sire, par l'expreffion de leurs fentimens, & ce qu'il y a de plus analogue à la conftitution de l'état, & ce qu'il y a de plus utile pour le bien général de vos fujets. Ils font tous animés du même efprit: la vérité ne craindra point de fe montrer au milieu de l'appareil éclatant qui environne V. M.; l'expérience prêtera fon-appui à la bonté de votre ame; & quand la postéri té ira confulter les annales de la monarchie, elle verfans doute, avec étonnement, qu'un jeune prince, au milieu même de l'acte le plus impofant de la majefté royale, n'a pas voulu s'en rapporter à fes feules lumieres, & qu'il n'a pas dédaigné de recevoir publiquement l'avis de tous ceux qui, jufques-là, n'avoient été que les té moins de l'exercice de fa puiffance. Un trait auffi glorieux fuffira feul pour immortalifer V. M., & les faftes de la juftice en dépoferont à tous les fiecles à venir. Puiffent nos vœux fe réaliser! & pleins de refpect & de confiance, nous nous en rapporterons à ce que la fagesse de V. M. voudrą bien ordonner.

ra,

L'avocat général ayant ceffé de parler, le roi ordonna l'enregistrement de l'édit fur les corvées; ce qui fut exécuté.

(On donnera la fuite du lit de juftice dans le journal prochain. )

Monfieur & Mgr. le comte d'Artois fe rendirent le 19 du mois dernier, le premier à la chambre des comptes, & le fecond à la cour des aides de cette capitale. L. A. R. y ont fait en

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