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trement je réduirai le Pape à être évêque de Rome1. » Le 13 février, il insiste en termes plus violents encore : « Je ne suis point content de votre conduite : vous ne montrez aucune fermeté pour mon service. Vous voudrez bien requérir l'expulsion des États du Pape de tous les Anglais, Russes et Suédois, et de toutes les personnes attachées à la cour de Sardaigne. Il est fort ridicule qu'on ait voulu maintenir M. Jackson à Rome. S'il y est encore, requérez-en l'arrestation: c'est un agent des Russes. Aucun bâtiment suédois, anglais ni russe, ne doit entrer dans les États du Pape; sans quoi je les ferai confisquer. Je n'entends plus que la cour de Rome se mêle de politique. Je protégerai ses États contre tout le monde. Il est inutile qu'elle ait tant de ménagements pour les ennemis de la religion... Je donne ordre au prince Joseph de vous prêter main-forte, et je vous rends responsable de l'exécution de ces deux points: 1° l'expulsion des Anglais, Russes, Suédois et Sardes de Rome et de l'État romain; 2o l'interdiction des ports aux navires de ces puissances. Dites bien que j'ai les yeux ouverts; que je ne suis trompé qu'autant que je le veux; que je suis Charlemagne, l'épée de l'Église, leur empereur; que je dois être traité de même; qu'ils ne doivent pas savoir s'il y a un empire de Russie. Je fais connaître au Pape mes intentions en peu de mots. Sil n'y acquiesce pas, je le réduirai à la même condition qu'il était avant Charlemagne. »> L'indépendance du Saint-Siège était en jeu3.

1. Napoléon au cardinal Fesch, Munich, 7 janvier 1806.

2. Le roi de Sardaigne et sa cour s'étaient réfugiés à Rome, depuis la perte du Piémont.

3. Napoléon s'en défendait : « Je ne toucherai pas a l'indépendance du Saint-Siège, avait-il écrit au Pape, le 13 février 1806; je lui ferai même payer les dépenses que lui occasionneraient les mouvements de mon armée; mais nos conditions doivent être que Votre Sainteté 17

L'ÉGLISE DE FRANCE.

Napoléon voulait le faire entrer dans le système fédératif de l'empire, dans un « système d'alliance permanente ». « C'était imposer au Saint-Siège et au patrimoine de l'Église, remarque Consalvi', un véritable vasselage, et les regarder comme-feudataires de son empire. C'était arracher ainsi à la souveraineté du Pape cette liberté et cette indépendance dont les pontifes jouissaient depuis dix siècles au moins, sans parler des temps plus reculés... Nous pensâmes que les intérêts les plus essentiels du Saint-Siège se trouvaient engagés dans ce conflit, et que, si nous ne relevions pas de telles assertions, il en résulterait d'énormes préjudices pour la religion, la souveraineté temporelle et l'État. En effet, dès que le chef de l'Église perd son indépendance, la religion doit en souffrir cruellement en tous lieux », au milieu de tant de souverains et de pays indépendants. « Le Pape se décida à répliquer avec la plus entière franchise et la plus louable loyauté, et à défendre la liberté et l'indépendance du Saint-Siège, ainsi qu'il y était tenu par ses devoirs et par ses serments 2. »

Pour sa réponse, les cardinaux présents à Rome,

aura pour moi dans le temporel les mêmes égards que je lui porte pour le spirituel. A quoi Pie VII répondit (21 mars 1806) : « Nous ne pouvons pas admettre cette proposition que nous devons avoir pour Votre Majesté les mêmes égards dans le temporel que Votre Majesté · a pour nous dans le spirituel... Les objets spirituels... sont de droit divin et d'un genre supérieur et transcendant qui ne permet pas de termes de comparaison avec les objets spirituels. »

1. Mémoires de Consalvi, éd. Cretineau-Joly, t. II, p. 433, 439. Cf. Ibid., p. 454.

2. Comme certaine presse fascite prétendait récemment que le désaccord suscité, en 1870, entre l'Italie et le Saint-Siège, par l'annexion de Rome et des États pontificaux était aplani, l'organe officieux du Vatican, l'Osservatore Romano, par deux longs articles des 14 et 16 octobre 1927, dementit cette affirmation et conclut que la liberté et l'indépendance du Souverain Pontife doivent être non seulement réelles et parfaites, mais encore manifestes.

au nombre d'une trentaine, furent consultés en congrégation générale, à l'exception de Fesch qui, comme ambassadeur, ne pouvait, de son propre avis, en faire partie. Seul le cardinal français de Bayane, prétendit «< que le seul moyen d'échapper aux maux extrêmes qui nous menaçaient était de se plier aux volontés de l'empereur, quelles qu'elles fussent » - et en cela il concordait avec le légat Caprara, qui « estimait que l'on devait tout tenter pour continuer à vivre et à rester sur ses pieds, selon son expression » et << engageait le Pape par toutes les arguties possibles à souscrire aux volontés de l'empereur ». Tous les autres, d'un commun avis, « estimèrent qu'il fallait à tout prix sauvegarder l'indépendance du Saint-Siège parce qu'elle était trop étroitement liée au bien de la religion ou vice versa à sa perte1».

La lettre de Pie VII, du 21 mars 1806, « douce dans la forme, ne manquait ni de fermeté, ni d'énergie dans le fond ». Alors qu'il pensait bien «< que les menaces d'un homme aussi impérieux et aussi puissant que Napoléon recevraient tôt ou tard leur exécution 2 »>, alors que les princes les plus puissants pliaient l'échine devant le maître de l'Europe, il lui écrit, lui, souverain sans ressources ni appui : « Vous êtes immensément grand, mais vous avez été élu, sacré, couronné empereur des Français, et non de Rome. Il n'y a pas d'empereur de Rome... Votre Majesté établit en principe qu'elle est l'empereur de Rome. Nous répondons, avec la franchise apostolique, que le Souverain Pontife ne reconnaît et n'a jamais reconnu dans ses États une puissance supérieure à la sienne, et qu'aucun empereur n'a

1. Mémoires de Consalvi, édit. Crétineau-Joly, t. II, p. 443 et suiv., 458.

2. Ibid., p. 440.

aucun droit sur Rome'!» Vicaire de Jésus-Christ, ministre universel de la paix et d'un caractère divin, le Pape n'a point à s'immiscer dans les affaires politiques, à faire acte d'hostilité contre quelque puissance, à chasser les étrangers de ses Etats; les ennemis de l'empereur ne sauraient donc être les siens: « Si nous étions assez malheureux, conclut Pie VII, pour que le cœur de Votre Majesté ne fût pas ému par nos paroles, nous souffririons avec une résignation évangélique tous les désastres..., nous affronterions toutes les adversités, plutôt que de nous rendre indigne de notre ministère, en déviant de la ligne que nous trace notre conscience. » En ces quelques mots d'une douceur et d'une fermeté évangéliques ést contenu en germe tout le drame de Savone et de Fontainebleau.

Une réponse de Talleyrand, en termes moins âpres, plus diplomatiques et plus simples que Napoléon, soutint les mêmes principes de sujétion à l'Empire des États pontificaux, enclavés dans une Italie que la force des armes avait rendue sujette de la France; « comme si ces victoires, remarque Consalvi, attribuaient à l'empereur un titre pour dépouiller de leur indépendance et de leur liberté un royaume et un souverain qui n'avaient eu ni guerre avec lui ni part quelconque aux conflits ». Pie VII, dans sa réplique, pour montrer combien << étaient étroitement liées au bien de la religion l'indépendance et la liberté du Saint-Siège », parce

1. Il existe bien, ajoutait-il, un empereur des Romains, mais c'est un titre électif, purement honorifique, reconnu par toute l'Europe et par Votre Majesté elle-même dans l'empereur d'Allemagne. » François II avait profité des négociations entre le Saint-Siège et Napoléon au sujet du sacre pour prendre et se faire reconnaitre par le Pape (1er septembre 1804) le titre d'empereur d'Autriche, sous le nom de François Ier.

que les a princes souvent ennemis les uns des autres, ne souffriraient pas dans leurs domaines l'influence du chef de la religion qui dépendrait de l'un d'entre eux », Pie VII cita celui même sur qui s'appuyaient les Gallicans, Bossuet, dans son Discours sur l'Unité : « Dieu qui vouloit que cette Église, la Mère commune de tous les royaumes, dans la suite ne fût dépendante d'aucun royaume dans le temporel, et que le siège où tous les fidèles devoient garder l'unité à la fin fût mis au-dessus des partialités que les divers intérêts et les jalousies d'État pourroient causer, jeta les fondements de ce grand dessein par Pépin et Charlemagne. » Ces derniers mots mettaient l'empereur en contradiction flagrante avec ceux qu'il prétendait représenter'.

Appliquant ses principes, au temps même où il les affirme, « l'empereur exerce ses prétendus droits de haute suzeraineté et de haute juridiction qu'il avait usurpés sur l'État pontifical » : il détache (5 juin 1806) deux enclaves de celui-ci dans le royaume de Naples, les territoires de Bénévent et de Ponte-Corvo, « sous prétexte de faire cesser les discordes qui en résultaient entre les cours de Naples et de Rome »; et il les érige en principautés pour Talleyrand et Bernadotte, qu'il enchaîne ainsi à sa politique de spoliation et de violence2. Le Pape proteste et refuse l'indemnité vague qu'on lui promet. Quand Fesch avait avisé Pie VII que Joseph était roi

1. Mémoires de Consalvi, édit. Crétineau-Joly, t. II, p. 450 et suiv., 744 et suiv.

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2. Talleyrand, durant l'Empire, aurait augmenté sa fortune, dit-on, d'une soixantaine de millions. Voir J.-P.-P. Martin, Charles-Maurice de Talleyrand et la principauté de Bénévent, dans « Revue des Questions historiques », 1897; A. M. P. Ingold, Bénévent sous la domination de Talleyrand et le gouvernement de Louis de Beer, 1806-1815, Paris, 1916.

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