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(de la Meurthe) aux Cinq-Cents, le 26 juin 1799 : « Je crois qu'un usurpateur habile se ferait des partisans, en garantissant la liberté des cultes. »

Certes la philosophie du xvIIIe siècle et les persécutions révolutionnaires ont laissé, en notre pays, des traces profondes, imposant à nombre d'esprits l'indifférence religieuse, outre l'incrédulité à une minorité d'intellectuels. Dans les classes moyennes, dans le tiers état, il est de bon ton de se séparer du vulgaire en rejetant les dogmes chrétiens. La noblesse a conservé les allures sceptiques de l'ancien régime déclinant, et les a transportées en partie à l'étranger, dans l'émigration et à l'armée de Condé. Le peuple de la ville ou des champs, témoin des déclamations et des sévices contre les nobles et les prêtres, s'est mis souvent au ton du jour, d'autant plus vite qu'il a profité de la suppression de la dime et des droits féodaux; l'absence d'offices et de sacrements n'a pas été sans éprouver sa foi, et ses enfants ne sauraient être portés vers une religion dont ils ignorent les enseignements.

Mais à côté de cela, l'Ouest est demeuré profondément attaché à la foi des ancêtres. Les guerres de Vendée ont été provoquées par la persécution religieuse, plus que par la conscription militaire; les paysans y ont combattu le Sacré-Cœur sur la poitrine; et au moment où le coup d'État de Brumaire porte Bonaparte au pouvoir, l'Ouest s'agite de nouveau et est en pleine effervescence. Dans le reste de la France, on constate que, si le sentiment religieux a été comprimé, nulle part il n'a pu être étouffé. Dans tous les coins du pays, il y eut des prêtres insermentés que le goût des âmes avait maintenus en France et qui, sous des déguisements, continuaient leur ministère sacré : tel ce garde national

de Passy, qui, à certaines heures, redevenait Mer de La Tour-Landry, évêque de Saint-Papoul, se réfugiait en d'insaisissables cachettes pour célébrer des messes, faire des ordinations; tel ce chaudronnier nommé Chaminade, dont les catholiques bordelais guettaient le passage pour l'appeler auprès de leurs malades; tels ces colporteurs et journaliers, qui promenaient l'Eucharistie; tels ces « aumôniers de la guillotine », qui se postaient à certains carrefours pour absoudre et bénir les âmes convoyées vers l'échafaud. Nombreux furent les laïcs qui aidèrent à rentrer dans sa cachette, ou à l'en faire s'évader, le prêtre traqué. Des femmes s'étaient faites gardiennes de l'Eucharistie, la portant sur elles, comme Mile Humann à Strasbourg, ou comme la bienheureuse Marie-Madeleine Postel à Harfleur. On retrouve un peu partout des chrétiens dignes des temps apostoliques, ne craignant pas de prendre part à un culte clandestin dans des chambres ou des granges. En Haute-Alsace, il n'est guère de commune où le prêtre traqué ne célèbre, en grand secret durant la Terreur, et plus tard en présence de plusieurs centaines de fidèles. Les Cévennes et le Jura n'ont pas perdu la tradition et la ferveur de la piété familiale; à l'occasion les habitants se sont opposés à la fermeture de leur église ou à l'arrestation de leur curé. Les paysans de Bourgogne et de Champagne se sont assemblés dans leurs églises, vides de prêtres, pour lire eux-mêmes les prières du culte. lci et là préside à ces prières l'ancien sacristain, l'ancien bedeau, ou quelque paroissien plus âgé et plus digne, « le chef de la paroisse ». Une jeune Ardéchoise, devenue « vénérable », Marie Rivier, avait osé, en pleine Terreur, organiser des prières publiques. Des boutiquiers et des ouvriers, n'ayant plus

d'église, avaient mis dans leur ostentatoire chômage du dimanche un hommage à la loi divine. La Terreur passée, le culte catholique de lui-même reparaît au grand jour; de tout côté, le peuple accourt aux lieux où jadis il a prié; en plus d'une localité, le curé revient de l'exil; vieilli, en habit laïc, il croit ne pas être reconnu; mais les habitants crient : « le voici, le voici »; ils vont au-devant de lui, l'embrassent, le portent en triomphe, et protestent de le garder toujours au milieu d'eux. « Ce n'est plus qu'embrassements, cris de joie », constate-t-on. Les rapports cantonaux de divers départements signalent la connivence des populations, qui tiennent mordicus, à leur culte, à leurs prêtres et les vont chercher parfois en Suisse, en Espagne. « Le peuple est si attaché au culte catholique qu'il fait deux lieues entières pour assister à la messe. Lors de la loi du 11 prairial, les prêtres insermentés furent tous rappelés par leurs anciens paroissiens. L'empire qu'ils exercent sur le peuple est si fort qu'il n'est pas de sacrifice qu'il ne fasse, pas de ruse, pas de moyens qu'il n'emploie pour les conserver et éluder la rigueur des lois qui les concernent. Les cultivateurs les adorent. » Chapelles, oratoires, « véritables paroisses » où s'administrent les divers sacrements, s'entrebâillent, s'ouvrent et se multiplient : à Paris seulement, on en comptera plus de 200, au début du Consulat. En nombre d'endroits, il s'est formé des groupes d'une piété active, qui, en vertu de lois récentes, ont pris tous les frais en commun et réclamé l'usage de leur édifice paroissial. Ils ont eu à résister au mauvais vouloir des autorités, à subir un partage avec les cérémonies décadaires; mais ils ont rouvert leur église, et ils ont fait comprendre que le catholicisme se maintenait en France, nullement déraciné

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par les cultes bizarres que l'État avait prétendu lui substituer. Un rapport de police du 6 juin 1798 dénoncera « le fanatisme » qui a « fait des progrès dans l'ombre; l'affluence progressive de nouveaux zélateurs du culte catholique, affluence si grande depuis quelque temps que les églises y suffisent à peine ».

Cette survivance de la France catholique est un fait que ne pourra méconnaître un homme de gouvernement comme le Premier Consul'.

« La majorité du peuple, dira-t-il aux Jacobins, tient à la religion catholique; veut-on que je la contrarie. Il est libre et souverain; on l'intitule tel depuis dix ans; il est temps qu'il soit tel en effet. Ne disait-on pas: Vive la liberté! Vive l'humanité! Et le peuple « libre » ne pouvait aller à la messe, le gouvernement « humain » arrachait du sein de leurs foyers des vieillards de quatre-vingts ans que l'exil dévorait bientôt. »

et

Ces paroles de Bonaparte, que prouvent suffisamment les faits exposés ici, expliquent sa politique religieuse et les négociations du Concordat.

1. Cf. sur tout ce qui précède, L'Histoire religieuse de la Révolution de P. de La Gorce; Pisani, op. cit., t. II et commencement du t. III; Abbé Sicard, op. cit., t. III, p. 265-274, 401-459, 470-491.

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Le régime de la séparation : la liberté des cultes (arrêté du 7 nivôse et la promesse de fidélité à la Constitution. Insuccès de cette législation intermédiaire. Les vues religieuses de Bonaparte Pourquoi il estime nécessaire une religion dans toute société, et le catholicisme en France. Il veut pour l'Église de France un compromis entre l'ancien régime et la Révolution. Mort de Pie VI et élection de Pie VII. Après Marengo, le Premier Consul, à Verceil, fait au Pape, par l'intermédiaire du cardinal de Martiniana, des ouvertures pour régler les affaires religieuses en France (juin 1800).

Avec la dernière année du XVIIIe siècle, se clôt définitivement l'ère de la Révolution. Rapide sera la transformation du régime. Du 11 mai 1798 au 10 novembre 1799, trois coups d'État précipitent son évolution : le 22 Floréal an VI (11 mai 1798), modifiant par une hypocrite légalité les élections défavorables du printemps, érige l'arbitraire en mode de gouvernement; - le 30 Prairial an VII (18 juin 1799), imposant au Directoire le changement de deux de ses membres (La Reveillère et Merlin), subordonne l'exécutif à la majorité des Chambres, et introduit dans la politique l'élément militaire (les 4 listes présentées par les Cinq Cents pour l'élection directoriale comptent successivement quatre, cinq, six et sept

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