Déjà le 27 mars 1802 l'ambassadeur d'Autriche avait noté : « Le peuple affectionne Bonaparte, parce qu'il est toujours entouré de tout l'éclat d'un grand souverain; que de nombreuses et superbes gardes le suivent partout; que toutes les formes qu'ils a adoptées indiquent une distance énorme entre lui et tout autre individu ce qui inspire un profond respect à ces mêmes démocrates, qui ont commencé par mépriser et fini par conduire sur l'échafaud leur roi, dès qu'il s'est mis de niveau avec eux. Il n'y a que les Jacobins qui en murmurent, mais si bas qu'on ne les entend presque pas. » Une vingtaine de complots frelatés ou authentiques acheminent rapidement à l'Empire. On félicite Bonaparte d'avoir échappé aux ennemis de la France, et certains demandent l'Empire héréditaire. Le 23 avril 1804, dans un conseil privé où ont été convoqués des sénateurs, des conseillers d'État, des ministres, et Fontanes le président du Corps législatif, le Premier Consul annonce qu'il veut l'Empire héréditaire, avec le droit d'en régler la succession 2. Le même jour, le tribun Curée dépose, au Tribunat, une « motion d'ordre » demandant que Bonaparte soit « empereur des Français » et la 1. Lettre à l'homme d'État autrichien Colloredo. Boulay de la Meurthe, op. cit., t. V, p. 267. 2. Un mois plus tôt (21 mars 1804) avait eu lieu, à Vincennes, l'exécution du duc d'Enghien, dramatique et inutile mise en scène dont Fouché aurait dit le mot qui vola de bouche en bouche : " C'est pis qu'un crime; c'est une faute. » Voir sur cet épisode, Boulay de la Meurthe, Correspondance du duc d'Enghien 1801-1804 et documents sur son enlèvement et sa mort, publiés avec introductions et index, Paris, 1904-1913, 4 vol. Les introductions, très développées, servent à l'étude du Consulat et du début de l'Empire. Voir aussi H. Welschinger, Le duc d'Enghien l'enlèvement d'Ettenheim et l'exécution de Vincennes, édition augmentée, Paris, 1913. Sur le réseau policier établi bientôt par Bonaparte, lire E. d'Hauterive, La police secrète du premier Empire (1804-1805), Paris, 1907. dignité impériale héréditaire en sa famille. Le 3 mai, cette motion est transformée en vou, à l'unanimité des voix, moins une. Le lendemain, le Sénat déclare que «<< la gloire, la reconnaissance, l'amour, la raison, l'intérêt de l'État, tout proclame Napoléon empereur héréditaire ». Enfin, le 18 mai 1804, une nouvelle Constitution élaborée par le Premier Consul est présentée par Cambacérès, soutenue par un discours dithyrambique de Lacépède et votée par le Sénat, à l'exception de 5 voix, dont celle de Grégoire '. Par les trois premiers articles, Napoléon devient «< empereur des Français » et « la dignité impériale héréditaire » passe en sa famille. « J'accepte, répondit-il, le titre que vous croyez utile à la gloire de la nation. Je soumets à la sanction du peuple la loi de l'hérédité. J'espère que la France ne se repentira jamais des honneurs dont elle environne ma famille. » 3.572.329 oui, contre 2.579 non, tel fut le résultat du plébiscite (6 novembre 1804). Sept jours avant le sénatus-consulte du 18 mai, Bonaparte, citant l'exemple du fondateur de dynastie, Pépin le Bref, couronné par le pape Zacharie, avait exprimé au légat Caprara son désir d'être sacré par Pie VII. Les souvenirs de l'ancienne monarchie ne cessèrent de le hanter. Caprara insista de toutes ses forces pour que le Pape se rendît à ce désir. Les pourparlers durèrent de juin à octobre; et pour les avancer, Napoléon, au grand regret du Pape et de Consalvi, substitua à Cacault, le précieux auxiliaire des négociations concordataires, son propre oncle, le cardinal Fesch archevêque 1. Sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII (18 mai 1802). Durant tout le régime napoléonien, Grégoire resta en sourde opposition, ne voyant que quelques amis, comme Lenjuinais et Garat, ou certains prêtres qui venaient lui confier leurs rancœurs. de Lyon (juillet 1803), et au secrétaire d'ambassade Artaud, l'auteur récent du Génie du Christianisme, Chateaubriand '. Si le Pape fut un des premiers à féliciter le nouvel empereur, il lui fit remarquer « qu'en dix-huit siècles, nul Pape, pour un motif purement humain, n'avait entrepris un aussi long voyage. Aussi, après avoir obtenu, sur vingt cardinaux, quinze voix favorables au sacre, sous réserve des conditions, il fit tout pour que les intérêts de la religion fussent la raison de son déplacement. Et comme Napoléon, dans sa lettre d'invitation du 15 septembre, ne les mentionnait pas d'une façon assez formelle, il s'appuya, à l'instigation même de notre représentant à Rome, sur une lettre de Talleyrand du 15 juillet, pour déclarer, au consistoire du 29 octobre 1804, que le bien de la religion l'engageait à entreprendre un si long voyage, ainsi que la gratitude pour un prince qui manifestait la ferme volonté de protéger de plus en plus et de développer l'Église catholique, dont il avait relevé les ruines. Pour l'attirer à Paris, on promit ou laissa espérer que se réaliseraient les conditions qu'il mettait à 1. L'orgueil de Chateaubriand ne s'accommoda point d'un poste de second plan; bientôt brouillé avec le cardinal Fesch, il demanda son rappel et fut envoyé dans le Valais, avec promesse de quelque grande ambassade. - Le Génie du Christianisme parut l'année même du Concordat; l'un servit au succès de l'autre. Bonaparte avait favorisé la publication d'un ouvrage utile à la popularité de ses desseins. Il avait à lutter contre les hommes qui l'entouroient, contre des ennemis déclarés de toute concession religieuse; il fut donc heureux d'être défendu au dehors par l'opinion que le Génie du Christianisme appeloit. Il chercha à s'emparer de l'homme dans lequel il reconnaissoit une force ». L'Institut, qui avait exclu l'ouvrage du concours pour le prix décennal reçut ordre de l'examiner; et ce maître du monde entretenoit tous les jours M. de Fontanes des places qu'il avoit l'intention de créer pour moi, des choses extraordinaires qu'il réservoit à ma fortune ». Préface pour l'édition de 1826. son déplacement: la soumission des évêques constitutionnels nommés à de nouveaux évêchés (ce qui arriva), la réforme de quelques Articles organiques qui exagéraient les libertés de l'Église gallicane (ce qui ne devait point avoir lieu). Durant son séjour en France, l'ancien droit des annates fut rétabli, sous forme de frais de chancellerie romaine pour expédition des bulles d'institution' canonique (14 mars 1805). Pour les Légations dont il souhaitait le retour au Saint-Siège, Pie VII n'obtint que de belles paroles, transmises par Talleyrand avec toute la finesse diplomatique si l'empereur ne peut rien changer aux événements passés, auxquels il n'a pris aucune part, « il espère trouver des circonstances où il lui sera donné de pouvoir améliorer et étendre le domaine du Saint-Père ». Pour marquer son regret d'une espérance déçue, le Pape devait revenir par Florence, et non par Bologne. Il n'obtint ni la suppression du divorce et de l'enseignement obligatoire dans les séminaires de la déclaration de 1682, ni l'obligation du repos dominical, toutes choses qu'il réclama dans un mémoire rédigé par Antonelli, après le sacre, et remis le 21 février 1805'. A sa demande de tolérance en faveur des congrégations, Portalis répondit que déjà certaines étaient rétablies: Lazaristes et sœurs de Saint 1. Voir Boulay de la Meurthe, Histoire du rétablissement du culte p. 360 et suiv. Déjà, dans un mémoire habilement rédigé par Bernier à qui Caprara recourait en toute chose délicate, le légat s'était plaint que maires et préfets eussent sévi contre des ecclésiastiques pour refus de sacrements, en des cas interdits par l'Église, et que trois congrégations missionnaires rétablies (Missions étrangères, Lazaristes, Pères du Saint-Esprit) eussent été fondues en une seule par la seule autorité impériale, soustraites à la Propagande, au profit de la juridiction archiépiscopale de Paris. Portalis avait répondu d'une façon évasive. Aussi le mémoire pontifical revint-il sur ces réclamations. Vincent de Paul, Missions étrangères, Saint-Esprit, religieuses de la Sagesse et de Nancy'. Et quant à la reconnaissance du catholicisme comme religion dominante, le ministre fit ressortir les avantages accordés au culte droit donné aux évêques d'exercer sur leur clergé le pouvoir disciplinaire, amélioration de la condition des ecclésiastiques pauvres, éducation religieuse dans les lycées 2, nominations d'aumôniers militaires et de marine. Pie VII espérait bien davantage quand, le 2 novembre, il quitta Rome, avec des camériers, cinq prélats3 et six cardinaux : Antonelli, Borgia, de Bayane, Braschi, Caselli et Di Pietro. A Turin il reçut une lettre de Napoléon, qui le toucha vivement. Là l'attendaient pour lui et sa suite 44 voitures et 251 chevaux; le grand écuyer disposait de 400.000 francs. A Lyon, le 22 novembre, la population se porta à sa rencontre sur les deux rives du Rhône et lui fit un accueil enthousiaste qui se devait renouveler à Paris, quand il se présenta au balcon des Tuileries (30 novembre), ainsi qu'à chacune de ses visites dans les principales églises. « Nous avons traversé la France au milieu d'un peuple à genoux », disait le Pape ému, en arrivant à Fontainebleau; et au Consistoire du 26 juin 1805, il devait ajouter : « Il n'y a pas de paroles pour exprimer combien les Français ont montré de zèle 1. Cf. Canton, Napoléon et l'abbé Hanon, supérieur des Missions étrangères, et les sœurs de Saint-Vincent de Paul, dans Revue historique, 1909; Vauthier, Les congrégations religieuses sous l'Empire, dans Revue des Études Napoléoniennes, 1917. 2. Sur l'instruction publique, durant l'Empire, voir A. Aulard, Napoléon 1er et le monopole universitaire; origine et fonctionnement de l'Université impériale, Paris, 1911; G. Weil, Histoire de l'enseignement secondaire en France, 1802-1920, Paris, 1922. 3. Bertalozzi, Devoti, Festa, Menocchio, Fenaja; le Père Fontana se joignit à eux. |