le 19 juin 1792, Gohier propose que les naissances, mariages et décès donnent lieu à un cérémonial purement civique. On fêtera les prêtres qui se marient: tels que les évêques Lindet et Pontard'. Plus de deux mille curés les imiteront. La Convention, le 21 septembre 1792, a remplacé la Législative et proclamé la République. Contre elle se soulève la Vendée, non point tout d'abord pour ramener un roi, mais pour ramener sur les autels le Dieu des insermentés. Ceux-ci plus que jamais seront traqués. A l'été de 1793, l'autre clergé, le constitutionnel, devient lui-même suspect aux partis extrêmes. C'est l'ère de la Terreur (31 mai 1793-27 juillet 1794). Treize évêques constitutionnels sur dix-sept qui siégeaient à l'Assemblée ont refusé d'être régicides: mauvaise note! Puis on dit qu'ils pactisent avec le fédéralisme girondin. Les poursuites contre les Girondins, la loi des suspects, offrent des armes contre les constitutionnels : les évêques Fauchet, Lamourette, Gouttes sont guillo 1. Ce dernier fut évêque constitutionnel de Périgueux, où il ne fut remplacé qu'en mars 1801. Cette année-là, il écrit à Portalis pour remettre sa démission et lui demander dans la partie des octrois où il est receveur, une place plus analogue à ses moyens que celle qu'il occupe... Père de trois enfants, il dit tenir à la société, et avoir servi sa patrie comme administrateur, et comme législateur ». Boulay de la Meurthe, Documents sur la négociation du Concordat; t. V, p. 203, n. 3. Une quinzaine d'évêques constitutionnels se marièrent. Le premier prêtre qui ait profité de la loi nouvelle sur l'état-civil, pour se marier, est l'abbé Cournaud, chanoine d'Auxerre et professeur au collège Royal (17 septembre 1791); l'abbé Vinchon, d'Arcis-sur-Aube, l'avait deɣancé (11 mai 1790), mais en se contentant du notaire, parce que le mariage était encore considéré comme contrat religieux. Dans la suite, on verra des prêtres se réclamer de la discipline de la primitive église et se marier entre eux, à l'église (cf. Pisani, op. cit., t. II, p. 228 et suiv.), renouvelant, sans le savoir, la pratique sacrilège des prêtres de Bohême au XVIe siècle. (Cf. G. Constant, Concession à l'Allemagne de la communion sous les deux espèces, Paris, 1923, p. 610, n. 1). Sur le nombre des défections ecclésiastiques, voir plus bas, p. 211 et n. 4. -- tinés, et l'on déporte en Afrique tout prêtre assermenté dont une demi-douzaine de citoyens dénoncent l'incivisme1. De catholicisme, il n'en faut plus. André Chénier, le 5 novembre 1793, propose de lui substituer la religion de la Patrie; et l'affichage de son discours est voté par la Convention. Le surlendemain, on invite l'archevêque de Paris, Gobel, à démissionner. « Le peuple m'a demandé, le peuple me renvoie, répond-il; c'est le sort du domestique aux ordres de son maître. » Et il se rend à l'Assemblée, avec onze de ses vicaires épiscopaux, pour déposer sa croix, son anneau et coiffer le bonnet rouge. D'autres évêques et curés, membres de l'Assemblée l'imitèrent, au grand scandale de Grégoire, lequel tint un langage sacerdotal qui eût pu lui coûter la vie. Les agents de la Convention, en province, « déprêtrisent les curés constitutionnels. Il y eut 513 déprêtrisations, sur l'ordre du proconsul Albitte, dans les départements de l'Ain et du Mont-Blanc'. Du christianisme on poursuit les vestiges. Plus d'ère chrétienne : en octobre 1793, le calendrier est laïcisé. Plus de dimanches : le décadi les remplace. Plus de saints on débaptise les villes (SaintEtienne devient Armes, Saint-Tropez Héraclée), et les patriotes laïcisent le nom de leurs enfants; le père de l'académicien Alfred Mézières reçoit en naissant les deux prénoms d'Amour-Satan. S'il n'y a plus de Christ, à quoi bon les églises? II faut être logique. Dans le second trimestre de 1793, parvinrent à la Convention les dépouilles des sanctuaires. Le vandalisme c'est le mot de Gré 1. Sur l'époque de la Convention et de la Terreur, voir les quatre premiers chapitres du tome II de Pisani, L'Église de Paris et la Révolution; P. de La Gorce, op. cit. goire fonctionna avec une régularité administrative et continua l'oeuvre des protestants au xvi® siècle. Des artistes attitrés, Poyet, Danjou, suppriment, à Paris, les emblèmes sculptés, transforment les croix en troncs d'arbre, et les ailes des anges en omoplates. Varin, chargé de nettoyer Notre-Dame, brise, à la façade, 90 statues. La flèche de la SainteChapelle est découronnée, les boiseries mutilées. Six chariots de statues de saints, « pourritures dorées», sortent de la basilique de Saint-Denis, devenu Franciade. On attelle des boeufs aux piliers de la chapelle de l'abbaye de Royaumont (près Pontoise) élevée par saint Louis, pour en faire crouler les voûtes. Deux cents démolisseurs jettent à terre la basilique de Cluny, chef-d'oeuvre de l'architecture bourguignonne, avec ses tours, ses cinq nefs, ses trois cents vitraux, et livrent au pillage archives, parchemins précieux, manuscrits enluminés. La cathédrale Saint-Lambert à Liége, la cathédrale Saint-Donatien à Bruges vont disparaître; celles d'Anvers et de Bruxelles ne devront leur salut qu'à la chute du régime. A Chartres, l'administrateur Cochon-Bobu exige la démolition patriotique de la cathédrale. Si elle fut épargnée, c'est qu'un architecte observa que les débris encombreraient toutes les rues; et l'on se contenta de brûler la statue de Notre-Dame-sous-Terre. Combien de nos cathédrales, de nos églises, chefs-d'œuvre de l'art gothique, portent les traces lamentables des mutilations ou des destructions révolutionnaires! Après le Christ, Dieu est chassé des églises. C'est le temps où Hébert, au Père Duchêne, prêche son culte. Le 10 novembre 1793, Notre-Dame de 1. Commune de Saint-Ouen-l'Aumône. vient « temple de la Raison » et une femme, assise sur l'autel, reçoit les hommages du département et des conventionnels. Avec de blasphématoires gamineries, les sections parisiennes, une à une, ouvrent les églises à la Raison; et le 24 novembre, la Commune déclare fermés les temples de toutes les religions, et suspects tous leurs ministres, suspects aussi, ceux qui songeraient à rouvrir des temples. Nombreux furent les prêtres constitutionnels qui remirent leurs lettres de prêtrise pour des feux de joie. Les représentants en mission, dont certains sont d'anciens prêtres (comme Lebon, Duquesnoy, Lakanal) promènent la terreur dans l'Artois, le centre de la France, le Périgord, les Pyrénées, et imposent, en de nombreuses villes, le culte de la Raison. A Besançon, les Jacobins désignent douze apôtres pour prêcher la Raison; à Limoges, les clubistes en chapes et en chasubles paradent autour de la guillotine. Au printemps de 1794, l'État s'appela Robespierre'. Alors au culte de la Raison succède la religion de J.-J. Rousseau, la religion naturelle 2. Elle a deux dogmes: l'Etre suprême, l'âme immortelle. Pour les avoir niés, les instigateurs du culte de la Raison sont décapités. L'archevêque Gobel, pour s'être montré trop bon « domestique », monte sur l'échafaud, après avoir signé du titre qu'il portait dans la hiérarchie romaine le testament de son repentir. Dans les provinces, les représentants en mission prêchèrent l'Être suprême pour remplacer le Christ; 1. Cf. A. Aulard, Les orateurs de la Révolution, Paris, 1906-1907, 2 vol., et Les grands orateurs de la Révolution, Paris, 1914. 2. Pour l'influence de Jean-Jacques Rousseau sur la Révolution et le mouvement religieux, voir le tome III du P. A. Brou, Le xvin siècle littéraire, Paris, 1927, où l'on trouvera la bibliographie des ouvrages antérieurs. et il se ferma plus d'églises sous la période robespierriste que sous la période hébertiste. Le 9 thermidor (27 juillet 1794), qui détrôna Robespierre, détrôna l'Être suprême. La République, après avoir congédié son propre clergé, en neuf mois avait mis au monde, puis au rancart, deux religions. Durant la Terreur qui venait, avec la chute de Robespierre, de prendre fin, nombre de prêtres avaient dû émigrer ', beaucoup étaient morts pour leur foi, dans la province aussi bien qu'à Paris : 141 furent noyés par Carier, à Nantes; Laval en vit guillotiner quatorze; on entassa ignominieusement sur deux vaisseaux, en rade de la Charente, 834 d'entre eux, dont plus des deux tiers périrent de maladie2. A Angers, on força le prêtre Noël Pinot à revêtir surplis et chasuble, pour monter à la guillotine, et c'est en répétant les premiers mots de la messe : Introibo ad altare Dei, sur l'autel qu'était devenu l'échafaud, qu'il s'offrit au couperet. Des religieuses avaient été également guillotinées pour leurs croyances : les Filles de la Charité de Dax et d'Arras, les Ursulines d'Orange 1. Sur la vie des prêtres émigrés en Angleterre, en Hollande et en Westphalie, voir Baston (l'abbé), chanoine de Rouen, Mémoires publiés, pour la Société d'histoire contemporaine, d'après le mss. original, par l'abbé J. Loth et Ch. Verger, Paris, 1897-1899, 3 vol. Sur l'émigration en général (vie et souffrances du clergé réfugié en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, en Italie; politique épiscopale de l'émigration), voir Abbé Sicard, op. cit., t. III, p. 1-274; abbé J. Constrasty, Le clergé français en Espagne, 1792-1802, 1910. 2. Voir l'abbé A. Lemasson, Les Actes des prêtres insermentés du diocèse de Saint-Brieuc guillotinės en 1794 ou déportés, 2 vol., 19161919; du même, Les Actes des prêtres insermentés de l'archidiocèse de Rennes guillotinés en 1794, publiés d'après les documents originaux, Rennes, 1927; J. Charrier, Histoire religieuse du département de la Nièvre pendant la Révolution, Paris, 1926, 2 vol.; J. Hérissay, Les pontons de Rochefort, 1925; Pisani, op. cit., t. II; et plus haut. |