Page images
PDF
EPUB

ditions qui dépendent d'eux, voire même à certains accidens de leur mécanisme commercial qu'il ne dépend pas d'eux de prévenir.

Il est donc évident que le régime social auquel nous donnons le nom de civilisation n'est qu'une lutte perpétuelle du devoir chrétien contre les intérêts matériels, lutte dont il n'est sorti jusqu'à présent que des institutions mensongères, en vertu desquelles on déclare libres en droit des hommes placés dans une absolue servitude de fait. Sous ce régime, le travailleur n'est plus, à la vérité, la propriété d'un maître; mais une classe entière est dans la dépendance d'une autre classe. La contrainte n'opère plus directement à coups de fouet; elle atteint le même but indirectement en prenant l'homme par ses besoins. Au surplus, c'est un phénomène curieux à observer que la prédominance alternative de ces deux mauvais principes, savoir, la violence et le mensonge dans le mouvement de la société ; elle s'est fait sentir même dans l'application de la doctrine chrétienne à l'ordre social. Or, ceci est une œuvre purement

humaine et qui dut participer de l'imperfection de l'esprit humain. Après cet aveu, nous aborderons sans embarras deux questions horriblement défigurées par les ennemis de la foi catholique; nous voulons parler de l'Inquisition et du Molinisme, qu'il a plu au siècle de qualifier de Jésuitisme, bien que, de l'aveu du plus spirituel ennemi des jésuites, une partie d'eux professât des principes sévères jusqu'au rigorisme. Nous parlons au passé, parce que les jésuites actuels sont évidemment hors de cause, n'étant plus que des prêtres remplis de charité, de science et de courage, mais peu ou point occupés de la question sociale.

Il nous sera peut-être difficile de faire comprendre à certaines gens dont le cœur, desséché par les méthodes rationnelles, est privé du sens religieux, et qui, bercés dans le matérialisme politique, regardent la foi comme une superfétation sociale, qu'à une autre époque princes et peuples voyaient dans le Christianisme la base essentielle de la société; cependant il n'est pas aujourd'hui un homme éclairé qui ne sache que

la civilisation, éclose à la chaleur vivifiante de l'Évangile, aima long-temps le sein maternel, et qu'il ne fût venu à l'esprit de personne, pendant le moyen âge, que la législation pût s'abstraire de la religion. En un mot, la société entière de cette époque voulait être constituée chrétiennement, et tout moyen qui tendait ou était réputé tendre à ce but était éminemment populaire. La légitimité du but une fois admise, il ne s'agit plus que de répondre à ceux qui se récrient contre la dureté du moyen; mais « les <<< hommes les meilleurs et les plus sages n'appartiennent-ils pas nécessairement à leur « siècle et à leur pays?» C'est Helvétius qui l'a dit, peut-être en d'autres termes. Or, ce n'est pas ici pour nous le cas de le réfuter. Condamner à mort l'homme convaincu d'introduire un principe de mort dans la société est sans doute un acte de justice extrêmement sévère; mais c'est peu que d'en attribuer le tort au caractère général du quatorzième siècle, car la peine capitale est encore le moyen de répression employé par la législation des pays les plus civi

«

lisés à l'égard des grands attentats contre l'ordre social. La torture elle-même n'a été abolie en France que par le bon Louis XVI, et, ce qui peut paraître étonnant, le chancelier d'Aguesseau a admis des cas où il était convenable et légitime d'y soumettre l'accusé. Assurément, nous n'entendons pas par là acquiescer à l'opinion de d'Aguesseau, tant s'en faut; nous disons seulement que cette erreur, commise à une époque avancée de civilisation par un magistrat éclairé et vertueux, doit nous rendre indulgens, ou, pour mieux dire, justes à l'égard du législateur politico-religieux du quatorzième siècle; car il est absurde de juger ses actes comme s'ils avaient lieu à notre époque. «Le < glaive qu'il saisit quelquefois fut presque un < rameau d'olivier, comparé au cimeterre ex< terminateur des hordes sauvages qui met<taient alors l'Europe en conflagration. » A qui empruntons-nous cette dernière sentence? Est-ce à quelque zélé catholique? Nullement; elle émane d'un brillant écrivain, mort jeune, qui était né et avait été élevé dans la religion

juive; son nom est Eugène Rodrigues (1). Qu’importe au fond de la question que le législateur dont il s'agit fût prêtre ou laïque ; car le prêtre même, du moment où il quitte la région éthérée des principes pour descendre dans le champ épineux de l'application, devient un homme politique comme un autre, et fût-il, selon l'observation de M. de Maistre, en général un meilleur homme d'État qu'un autre, cela ne veut dire un homme d'État infaillible.

pas

Au surplus, il est étrange que l'accusation d'intolérance et de cruauté soit portée contre le tribunal de l'inquisition par le parti politique qui, parvenu au pouvoir, a fondé le tribunal révolutionnaire, et recouru, lui aussi, à des moyens passablement acerbes, en vue de faire triompher son principe. Quand on décuplerait le nombre des sentences capitales prononcées en vertu des jugemens de l'inquisition pendant trois siècles, il n'égalerait pas celui des victimes du gouvernement républicain pendant la seule

(1) Lettres sur la Religion et la Politique, par Eugène Rodrigues, 1829.

« PreviousContinue »