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soudre la question sociale que de présenter à son occasion des exhortations morales.

Puisque nous venons de parler du prêtre et du philosophe, agens d'harmonisation placés aux deux points de vue opposés de la société, il est à propos de définir au moins la dernière qualification. Chacun sait en effet ce qu'est un prêtre et en quoi consiste sa fonction; mais quelle est l'idée que le monde en général attache au mot philosophie? On l'a appliqué à tant de branches diverses de la science, à des systèmes si opposés entre eux dans leurs principes et dans leurs fins, qu'il importe, avant de passer outre, de présenter notre explication.

Si l'on s'en rapporte à l'étymologie, indice d'une certaine valeur, la philosophie serait la science de l'amour, ou de la charité, en termes plus explicites, la science qui traite du lien social. En conséquence, son objet primitif aurait été le même que celui de cette science qui commence à poindre, et à laquelle on semble généralement convenu de donner le nom d'éco

nomie sociale, mais qui ne saurait mériter encore le titre de science exacte. L'étymologie est ici trop bien d'accord avec la raison pour que nous la récusions. Zogía signifie effectivement science, bien que le même mot puisse se rendre également par sayesse. Au surplus, qu'est la sagesse elle-même, sinon la science, ou l'intelligence appliquée à la conduite religieuse et morale? Or, comme dans la construction grecque le génitif précède le nominatif, il s'ensuit que la traduction littérale du mot composé pilocogía serait science de la charité et non amour de la sagesse, comme on l'enseigne dans les écoles. D'ailleurs, laquelle de ces deux versions est logiquement préférable? Sera-ce la dernière, qui ne présente à l'esprit qu'une idée vague, et ne peut convenir à la définition exacte d'aucune science quelconque, ou la première, qui offre un sens plein, clair et rationel? Notre but, en la produisant, n'est pourtant pas de restreindre la philosophie dans les limites de l'économie sociale, mais de n'admettre à ce titre que les sciences qui traitent des rapports

de l'homme avec Dieu et avec ses semblables, et qui en déduisent des conséquences d'une utilité pratique. A coup sûr, tel n'est pas le cas de ces systèmes abstrus d'idéologie qui se succèdent incessamment, et ne servent qu'à grossir l'histoire des divagations humaines. Pour nous, il nous suffit que de ces immenses élucubrations il ne soit sorti aucune amélioration sensible dans la moralité des individus, ni dans la sagesse des institutions, pour les déclarer de nulle valeur sociale et leur dénier le nom de philosophie.

A plus forte raison porterions-nous la même sentence contre ces critiques haineuses qui tendent à saper les institutions existantes, sans que leurs imprudens auteurs puissent justifier d'aucune vue vraiment sociale qu'ils soient dans le cas d'implanter sur les ruines qu'ils opèrent. En dernier analyse, cette digression est loin d'être oiseuse, comme on pourrait le croire; car les langues bien faites et les termes bien définis influent sensiblement sur la formation des idées justes, et il est permis de croire

que

si tant d'aberrations de l'esprit et du cœur humain se sont produites depuis des siècles sous le nom de philosophie, la cause en peut être attribuée à l'interprétation vague et illogique du mot.

Quoi qu'il en soit, l'on est à même de comprendre dès à présent que le nom de Lor, en matière d'économie sociale, a la même acception qu'en physique et en mathématiques; les lois de Kepler, celles de Newton et autres sont les lois vraies que ces grands astronomes ont découvertes. Puisse-t-on en venir enfin à comprendre ainsi celles de la société, et ne plus avoir la prétention de les faire! Elles existent dans la nature physique et animique de l'homme, dans ses rapports nécessaires avec Dieu et avec la création, dans sa destinée terrestre et céleste. Nous appellerons donc ÉCONOMIE SOCIALE la science qui se propose de les découvrir ; c'est pourquoi il conviendrait de ne pas confondre, comme on le fait trop souvent, cette science de synthèse avec l'analyse économico-politique.

Honneur à Charles Fourier qui a fondé l'é

conomie sociale! Honneur aux alchimistes qui ont fondé la chimie! L'analogie de ces deux faits, que le temps démontrera, nous a paru si frappante, que nous n'avons pu résister à en faire le rapprochement.

Il est incontestable que Fourier a apporté au magasin des subsistances philosophiques une immense provision de grain qui, par malheur, se compose d'autant d'ivraie que de froment. En pareil cas, ce que nous avons de mieux à faire n'est-il pas de vanner et de cribler soigneusement ce grain, afin de faire, avec reconnaissance, notre profit du blé de bonne qualité et condamner la semence vénéneuse à s'aller perdre dans la sentine philosophique, qui apparemment n'est pas encore comblée? Nous le ferons avec d'autant moins de scrupule, qu'il nous sera facile de prouver que le Christianisme est en droit de revendiquer comme sienne l'idée première du principe d'association. Déjà en effet deux tentatives de réalisation ont eu lieu sous ses auspices, l'une à sa naissance, l'autre à une époque rapprochée

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