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«<et égaux, et s'expose à leurs reproches. A la vérité, nous entendons rarement parler de

« cette coalition, parce qu'elle est l'état ordi« naire et pour ainsi dire normal des choses « dont personne ne songe à parler. Il arrive << aussi que les maîtres se coalisent pour faire << descendre le prix du travail même au- es« sous de ce taux : ces coalitions-là sont tou

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jours conduites en silence et avec le plus

grand secret jusqu'au moment de l'exécution. << Alors, quand les ouvriers se soumettent sans « résistance, ce qui arrive quelquefois, bien

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qu'ils soient péniblement affectés par une pa« reille mesure, personne n'en entend parler.

«

Cependant elle rencontre souvent de la résistance de la part de la coalition opposée, < savoir, celle des ouvriers, qui cherchent à « défendre leurs intérêts. Il arrive aussi que ces « derniers, sans aucune provocation de ce "genre, se coalisent pour obtenir un plus haut

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prix de leur travail leurs prétextes ordi<< naires sont quelquefois la cherté des vivres,

«

quelquefois les gros profits que leurs maîtres

a retirent de leur travail. Mais, soit que ces « coalitions soient offensives ou défensives, on << en entend toujours amplement parler. Afin « d'amener le différend à une prompte solu⚫tion, ils ont toujours recours aux plus

bruyantes clameurs, et quelquefois à la vio«lence et à l'outrage; ils sont désespérés, et

agissent avec la folie et l'extravagance de « gens désespérés qui se trouvent dans le cas «ou de mourir de faim, ou d'obliger par la

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peur leurs maîtres à acquiescer immédiate«ment à leurs demandes. En pareille circon«stance, les maîtres crient tout aussi fort de « leur côté, et ne cessent de réclamer bien << haut l'assistance des magistrats et la rigou« reuse exécution des lois qui ont été faites << avec tant de sévérité contre les coalitions de domestiques, ouvriers et journaliers. Consé

a

« quemment, les ouvriers retirent rarement « aucun avantage de ces coalitions violentes et << tumultueuses, lesquelles, en partie par l'in«tervention des magistrats, en partie par la

fermeté supérieure des maîtres, et en partie

« aussi par la nécessité où se trouvent la plupart « des ouvriers de se soumettre pour satisfaire à « leurs besoins immédiats, se terminent géné<ralement par la punition ou la ruine des chefs ⚫ de cabale. »

Tel est donc l'état ordinaire et en quelque sorte normal des choses dans un pays regardé, avec raison, comme le type de l'industrialisme. Les États qui se traînent servilement sur les traces de l'Angleterre, en matière d'économie publique, présentent les mêmes diagnostics : dans tous ces pays, les chartes et les constitutions déclarent tous les citoyens libres. Or, nous savons désormais à quoi nous en tenir sur cette prétendue liberté; car nous venons d'entendre un des oracles du système libéral déclarer que la classe qui possède les instrumens de travail, savoir, la terre et les capitaux, a les moyens légaux de forcer celle qui ne possède rien à subir ses conditions, attendu que celle-ci est toujours obligée de se soumettre, à moins de mourir de faim. Mais depuis qu'Adam Smith a publié son traité de la Richesse des Nations,

les événemens ont marché; chaque semence a porté son fruit; et s'il vivait aujourd'hui, s'il avait été contemporain des événemens de Lyon et du pillage de Bristol, s'il avait vu l'émeute, pour cause d'insuffisance de salaire, prendre des proportions colossales, et lutter, avec chance de succès, contre des armées régulières, employant contre elles toutes les ressources de la stratégie; en un mot, s'il avait vu l'ordre social remis chaque jour en question, il est douteux qu'il eût osé parler d'un ton si dégagé des griefs de la classe ouvrière, et décrire en style quasi-goguenard la facile méthode usitée en civilisation pour mettre les mutins à la raison; enfin, l'on ne conçoit pas que feu M. Say, qui écrivait à une époque et dans un pays où les symptômes de la crise actuelle étaient déjà palpables, ait reproduit les insolentes théories de l'économiste anglais, quelquefois même en enchérissant sur son maître. C'est lui qui a écrit ce qui suit sur la question du salaire des ouvriers: « Les travaux simples et grossiers pou

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«vant être exécutés par tout homme, pourvu

qu'il soit en vie et en santé, la condition de <vivre est la seule requise pour que de tels tra<vaux soient mis en circulation. C'est pour cela <que le salaire de ces travaux ne s'élève guère, en chaque pays, au-delà de ce qui est rigou« reusement nécessaire pour y vivre (1). »

Après cette proposition, dont nous reconnaissons l'exactitude de fait, nous nous demandons où est l'immense distance qui sépare la condition de l'ouvrier régi par la loi du salaire de celle du captif tenu en servitude. Celui-ci rachète sa tête au moyen du travail; l'autre gagne sa vie au moyen du travail. Toutefois, il existe entre ces deux conditions une immense différence : le maître barbare dit brutalement à son esclave qu'il n'a point le droit de vivre, et pourtant, dans son intérêt même, il pourvoit constamment à sa subsistance; les bourgeois civilisés, au contraire, ne contestent pas à la classe ouvrière le droit de vivre, mais ils soumettent l'exercice de ce droit à certaines con

(1) Traité d'Économie politique.

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