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n'avez point d'esclaves; mais vous l'êtes; < vous payez leur liberté de la vôtre. Vous ◄ avez beau vanter cette préférence; j'y trouve plus de lâcheté que d'humanité (1). »

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Qu'importe qu'après une déclaration aussi explicite, l'auteur ajoute aussitôt avec un embarras manifeste: « Je n'entends point par cela qu'il faille avoir des esclaves, ni que le droit d'esclavage soit légitime, puisque j'ai prouvé le contraire. » Pour lors, qu'entendez-vous donc? aurait-on pù lui dire; car votre double anathème nous place dans l'alternative fort perplexe de mériter le reproche de lâcheté, si nous répugnons par sympathie humaine à fonder notre liberté sur la servitude d'autrui, ou de commettre un acte illégitime, si nous le faisons. Quant à nous sauver de là par le régime représentatif, il n'y a pas moyen, puisque cette tirade tend à établir que « à l'instant « qu'un peuple se donne des représentans, il < n'est plus libre, il n'est plus; >> proposition

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à laquelle nous adhérons volontiers, ainsi qu'aux précédentes. Après cela, que conclure en présence de principes aussi incohérens, sinon que la science politique est radicalement impuissante à fonder la liberté sur la justice, et à concilier la justice avec l'industrie, enfin tous ces élémens constitutifs avec l'unité sociale? En effet, tant que l'on s'obstinera à organiser la société, en commençant par l'institution gouvernementale, l'on pourra bien coordonner, avec une certaine apparence de raison, tous les rouages politiques subséquens, jusqu'au dernier exclusivement; on nous montrera une république gouvernée en temps ordinaire par deux consuls nommés pour un an ; en cas de péril de la chose publique, par un dictateur placé temporairement au-dessus des lois; nous verrons un sénat propre à garantir la stabilité des institutions, des tribuns chargés de la défense des droits populaires, enfin un mode d'élection parfaitement libéral; nous admettons tout cela sans contestation. Mais dans ce système, ou tout autre analogue, quelque

beaux qu'on les suppose, nous remarquons toujours l'absence d'une institution indispensable, celle qui a pour objet la production, sinon des richesses, au moins du vivre, du vêtement, et des autres choses nécessaires à la vie; ou bien, ce qui est encore plus qu'une omission systématique, qui n'en serait pas moins un non-sens, on tranche le noeud gordien par une inconséquence. On est tenté de plaindre le grand oracle de la liberté républicaine, quand on le voit arriver à cette pierre d'achoppement; mais laissons-le parler encore: < Chez les Grecs, ce que le peuple avait à faire, il le faisait par lui-même (abstraction faite « du pain et du vêtement qui apparemment « n'étaient pas ses affaires); il était sans cesse < assemblé sur la place. Il habitait un climat < doux ; il n'était point avide; des esclaves fai« saient ses travaux; sa grande affaire était la liberté (1). » L'on voit d'après cela que l'affaire de la liberté ne comporte pas petite be

(1) Contrat social, liv. 1, ch. 16.

sogne, même quand on a des esclaves pour faire

ses travaux.

C'était bien la peine d'annoncer le Contrat social, pour arriver à des conséquences iniques et absurdes : iniques, l'auteur en convient luimême; absurdes, chacun le reconnaîtra; car est-ce posséder un bien que d'être sans cesse obligé de faire sentinelle pour le garder? Et cet autre rhéteur qui s'en vient nous dire que la vertu est le principe sur lequel repose la république, tandis que nous voilà bien et dûment informés par un meilleur logicien que lui, que ce régime politique a pour base indispensable le crime le plus odieux de tous, la tyrannie!

Au surplus, ce que nous venons dire de la république s'applique également à toute théorie politique, procédant en sens inverse de l'économie sociale; c'est-à-dire, prenant pour point de départ le principe et la forme du gouvernement, au lieu de prendre l'organisation du travail. Ainsi le régime féodal lui-même, si admirablement constitué, à l'observer depuis

le monarque jusqu'au simple gentilhomme, a soulevé de justes antipathies, en raison de la nécessité où il s'est trouvé de s'appuyer sur le servage de la glèbe, condition très voisine de l'esclavage. Et cependant, il y a dans cette belle et puissante hiérarchie reliée par l'amour et la fidélité, de meilleures conditions d'ordre, et même de liberté, que dans aucune constitution républicaine nécessairement fondée sur la défiance mutuelle et l'esprit de contestation. Or, pourquoi donc avons-nous vu l'un de ces deux systèmes voué à l'exécration des peuples, tandis qu'on était parvenu à les passionner pour l'autre, puisque tous deux reposent également sur une base fausse et subversive? Et comment est-on arrivé à faire croire à ce peuple éminemment intelligent, comme ses adulateurs le lui répètent chaque jour, que la seule doctrine qui ait puissance de fonder sa liberté, et qui n'a jamais failli à la tâche, autant que les circonstances le lui ont permis, était venue, au contraire, pour river ses fers? C'est pourtant ce qui a eu lieu, et l'on a vu les fils des escla

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