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durent de bonne heure tenter l'avidité des peuples sans industrie, mais organisés pour la guerre ; aussi le pillage devint-il la principale ressource de quelques uns d'eux, et l'unique but de leurs institutions sociales. Il est à présumer qu'après avoir joint le massacre au pillage, ils tentèrent par mesure politique d'épargner les vaincus, après les avoir dépouillés, dans l'espoir de pouvoir les piller de nouveau, quand ils seraient parvenus, par leur travail, à refaire leurs richesses; ce genre de rapports n'est pas sans exemple dans l'histoire. Toutefois, une pareille combinaison ne peut se maintenir long-temps; car le peuple industrieux peut s'aguerrir; averti du sort qui l'attend, il peut se décourager de produire, et tromper ainsi l'espoir de ses spoliateurs. Arrivé à ce terme, le peuple guerrier imagina de s'approprier, non seulement les richesses produites, mais les producteurs eux-mêmes, et d'en faire ses travailleurs. Dès que ce procédé fut découvert et appliqué, la société revêtit cette forme que nous appelons barbarie.

Nous avons peint tout-à-l'heure le chef de la famille patriarcale, imposant le travail à ses enfans et serviteurs, avec une exigence modérée par ses affections. Mais à cette heure la thèse change; le maître n'est plus un père indulgent; c'est un vainqueur irrité, qui ne voit dans son esclave qu'un ennemi auquel il ne doit ni indulgence ni pitié : en conséquence, il exige de lui le travail avec une dureté excitée par l'avidité et exaltée par la crainte de le voir reprendre sa dignité. Le procédé patriarcal avait à peine vaincu l'inertie naturelle de l'homme; aussi ce régime ne comporte-t-il qu'une faible industrie: tandis que sous celui de la barbarie, l'esclave devient un travailleur actif, d'autant que, pour peu qu'il se relâche, les coups. de fouet et les mauvais traitemens de tout genre ne lui sont pas épargnés. La perfection de ce système consiste à commettre des esclaves à la charge de fouetter les autres; le maître est dès lors dispensé de la pénible contraction morale qu'exige l'emploi des moyens violens, et l'esclave piqueur s'acquitte de sa

charge avec plus de sévérité qu'il ne le ferait lui-même. C'est par ce procédé composé que l'on obtient de l'homme une grande partie du travail dont il est capable.

Au reste, qu'on ne prenne pas ce tableau pour une déclamation banale contre l'institution de l'esclavage; encore moins en serait-ce l'apologie : c'est tout simplement l'exposé d'un fait qui eut sa raison d'être dans les desseins de la Providence. En effet, si l'on veut se reporter en esprit à la phase sociale où le vainqueur ne manquait jamais à massacrer son ennemi, dès qu'il le pouvait, l'on sera forcé de reconnaître que la société accomplit un grand progrès, en abolissant cette atroce coutume, pour la remplacer par celle de laisser la vie au vaincu, à la condition qu'il serait la propriété du vainqueur et obligé de travailler pour lui. Il est certain du moins que sous ce régime, qui convint particulièrement à l'audacieuse progéniture de Japhet, l'industrie prit un très grand développement, tandis qu'en Asie, peuplée par les races sémitiques, la bar

barie elle-même fut mitigée par les mœurs patriarcales, elle régna sur l'Europe dans toute son atroce pureté : seulement celle des Grecs et des Romains, sans être pour cela moins dure à l'égard des esclaves, brilla de quelques traits précurseurs de civilisation.

Du reste, il n'est pas vrai, comme l'affirme l'auteur du Traité d'association, qu'il eût été possible au siècle de Périclès, ni à aucune autre époque antérieure à l'avénement de N. S. JésusChrist, d'associer ensemble, dans une harmonieuse unité, le maître et l'esclave; la voix de celui qui eût osé en concevoir la pensée aurait été couverte par les huées publiques, comme le serait aujourd'hui celle de l'extravagant qui proposerait aux maîtres de poste de s'associer en participation avec leurs chevaux. L'esclave était un animal domestique, sans aucun caractère moral, au point qu'Aristote disait qu'il ne connaissait aucune vertu qui fût à son usage (1). Le même philosophe affirmait que

(1) Politique, liv. 1, ch. 5.

les hommes naissent, les uns pour la servitude, les autres pour la domination. Tout le libéralisme du divin Platon se bornait à rendre chaque jour grâces aux dieux de ce qu'ils l'avaient fait naître libre, et non esclave; tant il est vrai que les plus sages d'entre les païens, aussi bien que le vulgaire, étaient convaincus que la société ne pouvait pas subsister sans l'esclavage. Mais sans remonter si haut, le philosophe moderne qui a le mieux formulé la pensée républicaine, J.-J. Rousseau, imbu de l'esprit ancien, n'écrivait-il pas dans son Contrat social: « Quoi! la liberté ne se maintient qu'à l'appui de la servitude? Peut-être. Les « deux extrêmes se touchent. Tout ce qui n'est « point dans la nature a ses inconvéniens, et

«

la société civile plus que tout le reste. Il y a < telles positions malheureuses, où l'on ne peut « conserver sa liberté qu'aux dépens de celle « d'autrui, et où le citoyen ne peut être parfai« tement libre, que l'esclave ne soit extrê« mement esclave. Telle était la position de

Sparte. Pour vous, peuples modernes, vous

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