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cial le type de la perfection et l'accomplissement de la destinée humaine. Eh quoi! le roi de la création aurait pour palais une hutte infecte; les secrets de la nature seraient pour lui lettre close; à peine l'égal du castor en industrie, inférieur à la plupart des bêtes fauves en puissance, il serait moins assuré de sa subsistance que les animaux qui peuplent la forêt, et dont au surplus ses mœurs et ses grossiers appétits le rapprochent singulièrement ! Non, quand il serait vrai que le sauvage vit exempt de bien des maux qui accablent le paria de la civilisation, ce que nous admettons volontiers, cela ne suffirait pas pour nous persuader que son état social remplit la destinée de l'homme.

Nous venons d'exposer rapidement la solution que reçut la question relative au travail de la part des peuples qui adoptèrent la vie sauvage; ce furent évidemment ceux qui réunissaient en eux les deux vices d'inertie et de brutalité; or, il résulte clairement du récit de la Genèse, que ce fut la postérité maudite de Cham qui entra dans cette voie sans issue; celle de

Sem, le plus doux des fils de Noé, conserva la forme patriarcale dont le premier fondateur avait été le père même de Noé, ainsi qu'il est écrit : « Lamech ayant vécu cent quatre-vingt« deux ans, engendra un fils qu'il nomma Noé, « c'est-à-dire repos ou soulagement, en disant : « Celui-ci nous soulagera de nos peines et des « travaux de nos mains, et nous consolera sur <cette terre que le Seigneur a maudite (1). » Tel est effectivement le principe qui a donné naissance au procédé industriel propre à la société patriarcale; or, nous entendons ici par ces mots procédé industriel, la combinaison sociale au moyen de laquelle l'homme sort forcément de son inertie native, et est amené au travail par un motif de crainte ou une raison d'intérêt. Ici le père de famille usa de son ascendant naturel sur ses enfans pour en faire ses travailleurs; ce fut alors seulement que l'industrie prit naissance; car jamais l'homme n'eût travaillé spontanément, en l'absence

(1) Genèse, chap. v, v. 28, 29.

d'une cause coercitive quelconque, bien qu'il désirât ardemment les jouissances que procure l'industrie.

Ne nous arrêtons pas à disserter sur ce que le droit du père de famille peut avoir d'exorbitant dans la société patriarcale; nous savons bien que celle-ci n'est pas le système le plus parfait auquel l'homme puisse prétendre ; mais elle n'en est pas moins l'enfance des institutions harmonieuses, le premier rudiment de la société chrétienne, telle qu'elle doit se constituer un jour, en y faisant entrer un grand nombre de nouveaux élémens de bien-être et de puissance créés par les sociétés barbare et civilisée, et que les premiers patriarches durent nécessairement ignorer.

Quoi qu'il en soit, comme dans la famille patriarcale des temps anciens, l'autorité du maître était tempérée par l'affection du père: celui-ci n'imposa à ses serviteurs que des travaux peu pénibles, savoir: aux hommes la garde et le soin des troupeaux et une agriculture fort bornée; aux femmes la besogne culi

naire, la fabrication des étoffes et la confection des vêtemens. Les serviteurs étrangers à la famille, c'est-à-dire qui s'étaient donnés ou vendus à elle, ou qu'elle s'était agrégés d'une manière quelconque, ne furent point des esclaves dans la véritable acception du mot; ils furent mis presque sur la même ligne que les enfans, et participèrent au bénéfice acquis à ceux-ci en raison du sentiment paternel. Sans doute à ce nom de vie patriarcale, il faut se défier un peu des riantes illusions de la poésie; car l'imagination est en général encline à placer dans une pareille société le vrai bonheur fondé sur la médiocrité des besoins, la nature attrayante des occupations pastorales, la solidarité mutuelle des membres de la famille, leurs rapports intimes, enfin le charme d'un milieu social fortement empreint de sentiment religieux, comme c'est le fait des deux peuples patriarcaux par excellence, l'Israélite et l'Ismaélite, tous deux issus d'Abraham. Nous n'ignorons pas qu'il serait facile de placer des ombres dans le tableau de cette existence simple et, à

quelques égards, encore grossière ; mais nous n'en demeurons pas moins convaincu que ce n'est pas en vain que Dieu a voulu que le cœur de tout homme sensible s'épanouît à l'idée de vie patriarcale; et il est plus que probable que cette phase sociale qui, par le peu d'énergie de son procédé industriel, semble mériter une médiocre attention, sera considérée sous un jour nouveau, quand on comprendra que, seule entre toutes celles dont le genre humain a fait l'expérience jusqu'à ce jour, elle porte en elle le principe de l'Unité.

Les peuples les plus réfractaires aux travaux de l'industrie n'éprouvent point, en général, la même répugnance pour les périls et les fatigues de la guerre; c'est pour eux un travail attrayant comme la chasse, et ils s'y livrent avec d'autant plus d'ardeur que la victoire leur promet un plus riche butin; d'ailleurs le triomphe guerrier est accompagné d'une auréole de gloire, dont les succès de l'industrie sont dépourvus jusqu'à présent. En conséquence, les richesses produites par les tribus industrieuses

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