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en décrit les habitans, commette des erreurs grossières au sujet de ce qui a lieu sur notre planète, et doit être connu, selon lui, des moindres enfans. Depuis quand donc la boussole met-elle le marin en état de braver les orages? En vérité, une parellie assertion at quelque chose de bien étrange pour quiconque a la moindre idée de navigation. Elle ne sert même pas à braver les écueils, puisque braver il y a; car de deux choses l'une : ou l'on navigue en vue de la terre, et dans ce cas il n'est pas le moindre caboteur, pour peu que la côte offre des dangers, qui voulût se diriger au milieu d'eux au moyen de sa boussole : il a bien soin, au contraire, de se reconnaître à l'aide d'objets fixes, qui lui servent de repères; out bien il s'agit de navigation de long cours; or, loin que la boussole suffise pour se diriger exactement en pleine mer, la loi, en France, ne confierait le commandement d'un pauvre

pas

petit bâtiment de Terre-Neuve à un capitaine qui ne saurait autre chose que faire son point et qui serait incapable d'en corriger les erreurs

à peu près inévitables, au moins par un calcul de latitude résultant chaque jour, autant que faire se peut, de la hauteur méridienne du soleil.

Que la boussole serve à diriger le navire pendant la nuit aussi sûrement qu'en plein jour ce n'est pas là ce qui aurait si fort émerveillé les Mécène et les Agrippa; car apparemment les anciens navigateurs, qui allaient de Tyr aux îles Fortunées, ou simplement de Rome à Carthage, ne rentraient pas leurs vaisseaux sous la remise tous les soirs; ils savaient s'orienter sur les astres, particulièrement sur l'étoile polaire, qui a sur l'aiguille aimantée l'avantage de n'être sujette à aucune variation. L'utilité de la boussole est grande, sans doute, puisqu'elle fait connaître le rhumb du vent quand le ciel est couvert; mais l'heure ne fait rien à la chose, et le navigateur, privé de cet instrument, et qui n'apercevrait aucun astre, serait tout aussi embarrassé en plein midi qu'à minuit.

Il n'y pas jusqu'à la poudre à canon au sujet

de laquelle Fourier n'émette des assertions fausses en pratique par leur exagération. Que ceux des phalanstériens qui sont officiers du génie, et il y en a plusieurs, nous disent si leur maître n'exagère pas d'une syllabe, quand il fait dire à son inventeur supposé qu'il peut à minute nommée réduire la ville de Rome antique en un monceau de décombres par l'explosion d'une masse de poudre. Tout ce cliquetis de paroles n'a donc rien d'aussi concluant qu'on voudrait bien nous le faire croire, et rappelle beaucoup trop l'astrologue qui sc laisse choir dans un puits.

Non, il n'est pas vrai qu'un seul individu, fût-il le génie des génies, eût pu inventer, à lui seul et théoriquement, les applications de la poudre à canon, que trois siècles ont à peine suffi à produire, en employant à l'œuvre un certain nombre d'hommes de génie, en faisant l'expérience de leurs inventions successives sur la plus grande échelle possible, et en les soumettant à la critique de gens qui présentent à cet égard toutes les garanties désirables.

Qu'on remarque bien d'ailleurs par où la comparaison cloche essentiellement. Fourier n'était point en position de se comparer à un homme apportant à César-Auguste un pistolet de poche, mais seulement la description de cette arme, puisque ses théories n'ont jamais été soumises au criterium de l'expérience. Or, il est plus que probable que si un pareil homme avait passé vingt ans de sa vie à calculer dans son cabinet les effets de la poudre, il aurait bien pu arriver, d'induction en induction, à inventer quelque machine ingénieuse, comme serait, par exemple, une fusée volante destinée à faire le service de la poste entre Paris et Saint-Pétersbourg; mais à coup sûr il n'aurait pas fourni la description exacte du pistolet de poche. La même conséquence a nécessairement lieu en ce qui concerne la théorie phalanstérienne, du moins en tant qu'elle s'élance dans un espace trop éloigné des faits palpables. Les premiers élémens d'association fournis par Fourier sont bons assurément, et le genre humain lui en devra une éternelle

reconnaissance, de même que la chimie a plus d'une obligation à ceux qui ont travaillé au grand œuvre. La phase d'harmonie qui sera l'apogée du progrès social aura lieu, nous en avons l'intime conviction; mais elle ne présentera vraisemblablement que peu de chose, ou même rien de ce que l'imagination de Fourier y a vu.

En définitive, nous planterons notre bannière philosophique entre le terre-à-terre de l'économie politique et le vol icarien de l'école phalanstérienne; nous aurons à argumenter contre des bourgeois sans cœur et contre des poètes sans frein. Nous dirons aux uns que le système auquel ils ont foi, en fondant la richesse publique sur l'antagonisme des intérêts individuels, a établi en fait le règne de l'égoïsme; aux autres que leurs divagations morales, en prétendant substituer aux vertus austères sur lesquelles repose la constitution de la famille, la plus révoltante promiscuité, feraient de la société un sale lupanar. Aux premiers, il nous faudra opposer le principe de

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