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ragements et préparer un code de commerce en harmonie avec les institutions nouvelles. Ce bureau s'était mis en effet en rapport avec une centaine de communes, en les invitant à nommer chacune quatre correspondants et même huit dans les quinze localités les plus importantes. Il devint sous le Directoire, à partir du 14 frimaire an IV, le Conseil de commerce, composé d'une quinzaine de membres résidents partagés en trois sections; le ministre appela à y siéger Abeilles, le secrétaire de l'ancien bureau du commerce sous Louis XVI. En examinant les procès-verbaux de ce conseil 2, on reconnaît qu'il s'y trouvait des hommes sensés et compétents.

Le Directoire insista pour obtenir des fonds destinés à l'encouragement des manufactures de laine, de soie et autres; les conseils votèrent quatre millions, dont le quart devait être exclusivement réservé à la ville de Lyon, la plus cruellement atteinte par la crise révolutionnaire 3. Les millions furent dépensés et l'industrie continua à languir. Au mois de février 1798, le Directoire insistait de nouveau pour avoir deux millions à donner aux fabriques lyonnaises. On se plaignait que les ouvriers de l'État, ceux des Gobelins, par exemple, ne touchassent pas leur salaire, et à la veille pour ainsi dire du 18 brumaire, Fabre, de l'Aude, réclamait l'entreprise de grands travaux publics, afin d'occuper et de nourrir les nombreux ouvriers sans ouvrage 5.

Les ouvriers n'étaient peut être pas ceux qui souffraient le plus, du moins depuis la disparition des assignats. La guerre avait enlevé une partie des hommes valides. A la campagne, on avait beaucoup défriché, beaucoup emblavé, surtout pendant la période du maximum, et les salaires agricoles avaient augmenté, disait-on, des quatre cinquièmes : la proportion était fort exagérée, mais le fait d'une augmentation n'est pas douteux. Dans les villes, le taux du salaire pour les domestiques et les ouvriers, avait monté rapidement 8; toutefois comme il arrive d'ordinaire en pareil cas, cette hausse n'avait pas été égale à celle des marchandises pendant la période de la

1. Ces quinze localités étaient : Bordeaux, Marseille, la Rochelle, Brest, Nimes, Saint-Malo, Orléans, Reims, Lorient, Lille, Bayonne, Strasbourg, Lyon, Rouen, le Havre. Arch, nationales, F12, no 177.

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2. Arch. nationales, F12, no 191 bis.

3. Réimpression du Moniteur, t. XXVIII, p. 313 et 334.

4. Ibid., t. XXIX, p. 151.

5. Ibid., t. XXIX, p. 825, séance du 26 sept. 1799. Voir FR. D'IVERNOIS, p. 242. 6. On ensemençait pour ne pas être forcé de vendre son blé à perte.

7. FR. D'IVERNOIS, p. 134.

8. De 15 à 20 sous à 2 fr.; de 2 fr. à 3 fr., FR. D'IVERNOIS, p. 282 et suiv. Cet auteur, qui n'est pas favorable à la Révolution, dit : « Je sais... que mieux payée et mieux nourrie, la classe des journaliers a mis plus d'activité au travail », p. 188. Voir aussi p. 152. Les menuisiers pétitionnèrent même contre les journées trop fortes qu'exigeaient leurs ouvriers. Le Corps législatif passa à l'ordre du jour (13 juin 1797). FR. D'IVERNOIS, p. 288.

dépréciation monétaire; il est vrai qu'elle n'avait pas non plus subi une baisse égale après la reprise des payements en espèces.

Le nouveau gouvernement se fit un devoir, comme l'avait fait la monarchie absolue, de stimuler, de subventionner même les inventions et l'industrie nationale. Il s'intéressait surtout aux fabrications qui approvisionnaient les armées ou qui pouvaient faire concurrence aux manufactures anglaises. La Convention avait précédé le Directoire dans cette politique économique. En voici un exemple.

Un certain Barneville avait fondé dans les environs de Versailles une manufacture de mousselines munie d'une mécanique de filature supérieure, disait-il, à celle d'Arkwright; le gouvernement de Louis XVI lui avait acheté la propriété de son invention contre une pension de 2.000 livres; mais la première mécanique qu'on avait essayé à Rouen avait été brisée par les ouvriers ameutés. Le député de Seine-et-Oise demanda pour l'inventeur un local et une subvention de 200,000 livres, et il les obtint par des arguments plus sonores que fondés, calomniant, sans doute à cause du traité d'Eden, les intendants du commerce, «< qui ont toujours préféré l'industrie étrangère à l'industrie nationale », et prédisant à la mousseline de Barneville une fortune que l'événement ne pouvait justifier. « Les armes de la République terrassent l'Anglais sur le continent. La marine française approvisionne nos ports aux dépens des marchands de Londres. Il est encore un autre genre de succès sur eux, et nous triompherons par le génie de ce peuple orgueilleux déjà vaincu par les armes. Maitre du Bengale, l'avare Anglais nous vend au poids de l'or les mousselines des Indes jusqu'à présent inimitables en Europe; nous lui arracherons cette branche de commerce; nous tarirons cette source de richesses. La France pourra non seulement épargner 40 millions que lui coûtent annuellement ces mousselines, mais même en fournir seule aux autres nations; mettre l'Anglais dans l'impossibilité de leur en vendre une seule aune, et bientôt ce torrent, qui entraînait sans retour l'or de l'Europe dans l'Inde, détourné en grande partie, viendra enrichir le sol de la Liberté 1. »

Les mêmes archives contiennent la mention de la création d'une horlogerie automatique à Versailles où la Convention cherchait à ranimer l'activité individuelle.

Versailles, dont une grande partie de la population vivait des dépenses de la cour, était une des villes dont le commerce avait le plus souffert. L'administration départementale, comme la Convention, cherchait à y ranimer le travail; c'est ainsi que le 28 nivòse an II, elle accordait un local gratuit dans les anciennes écuries de Madame pour installer un nouvel établissement où l'on filerait du coton et tisserait du nankin el de la mousseline. L'exposé des motifs respirait la même haine de

1. Arch. du dép. de Seine-et-Oise, L. 1 m.

l'Angleterre et attestait la même naïveté d'illusions: « Considérant qu'ainsi on détournera l'exportation des matières premières qu'on emploiera en France, que c'est un moyen de faire à nos rivaux une guerre de spéculation qui les ruinera infailliblement, en nous enrichissant 1... >> Les archives renferment nombre de demandes de subventions et d'encouragement adressées au Comité de salut public, puis au Directoire, par des inventeurs, des importateurs de mécaniques anglaises, des industriels qui voulaient créer un établissement nouveau ou qui se trouvaient dans la détresse 2. La liberté de l'industrie n'empêchait pas de solliciter des faveurs, et dans certains cas, ne dispensait pas de demander une autorisation administrative. C'était le cas, par exemple, quand une fabrique devait s'établir sur un cours d'eau pour disposer de la force motrice 3.

Une des plus importantes inventions chimiques de cette époque est celle de la soude artificielle. Elle était antérieure à la Révolution. L'inventeur Leblanc avait monté à Saint-Denis, sous le patronage du duc d'Orléans, une fabrique qui, après une interruption, avait été réinstallée sous le nom de Franciade, avec la raison sociale Leblanc, Dizé et Shée, au temps de la Convention. Le citoyen Caron, ayant fait connaitre un procédé de fabrication dont il était l'auteur, le Comité de salut public prit aussitôt un arrêté : « Considérant que la République doit porter l'énergie de la liberté sur tous les objets qui sont utiles aux arts de première nécessité et s'affranchir de toute dépendance commerciale et tirer de son sein tous les objets que la nature y dépose, comme pour rendre vains les efforts et la haine des despotes, et mettre également en réquisition, pour l'utilité générale, les inventions de l'industrie et les productions du sol, arrête que tous les citoyens qui ont commencé des établissements ou qui ont obtenu des brevets d'invention pour retirer la soude du sel marin, sont tenus...de faire connaître à la commission, dans deux décades, la situation de ces établissements... »

1. Arch. du dép. de Seine-et-Oise, L. 1 m.

2. Des pièces de ce genre se trouvent dans un grand nombre de dossiers des Archives nationales faisant partie du versement de 1898, particulièrement F12 95054 (affaires Michaux, Sarlat, Imbert, Le Turc) et F12 95074.

3. Exemple: Gousse, entrepreneur de la manufacture de tôle-cuivre et fer-blanc à Blandèque (Pas-de-Calais), voulait créer un second établissement. Il avait demandé l'autorisation à l'administration centrale du Pas-de-Calais. Après avoir attendu en vain une réponse pendant plusieurs mois, Gousse s'adressa au Directoire. La société populaire révolutionnaire de Dune-Libre fit un rapport favorable pour le rétablissement de cette « manufacture si utile ». Le rapport des commissaires envoyés par le Directoire fut moins favorable, parce que le premier établissement était depuis longtemps en chômage, etc. Cependant, en l'an VI, l'autorisation finit par être accordée. Arch. nationales, Fi2 95074. Un autre usinier, Powell, se trouva dans un cas semblable; les habitants de Calais s'opposaient à l'autorisation. « C'est à vous qu'il appartient de décider », écrit-on au chef de bureau du ministère. L'autorisation fut accordée.

Une commission de quatre membres (Lelièvre, Pelletier, Darcet et Giroud) alla examiner sur place les douze systèmes de fabrication qui lui avaient été signalés. Elle distingua celui de la manufacture de Javelle; mais elle donna la préférence à celui de Leblanc, qui consistait à décomposer le sel marin par l'acide sulfurique pour obtenir le sel de Glauber (sulfate de soude), puis à traiter ce sel avec de la craie lavée et du charbon pour obtenir la soude. « Ce procédé par l'intermédiaire de la craie nous paraît être celui qui peut être le plus généralement adopté 2. »

Le Directoire accueillait, comme on l'avait fait sous l'ancien régime, des étrangers qui importaient une industrie nouvelle. Il est vrai qu'il en vint peu. Nous pouvons cependant citer Raynaud et Ford, deux Américains, que le ministre français à Philadelphie envoya et auxquels le gouvernement accorda, en fructidor an IV, 6,000 livres pour créer une fabrique de draps avec des mécaniques à carder et à filer. L'entreprise paraît avoir mal réussi; car, quelque temps après, les Américains se plaignaient d'avoir été victimes d'intrigues formées contre eux dans les bureaux et d'être réduits à la misère 3.

Le Directoire stimulait la fabrication du fer et de l'acier dont les armées faisaient une grande consommation. Il suivait en cela la tradition du Comité de salut public qui avait fait rédiger par Vandermonde, Monge et Berthollet et imprimer une instruction sur la fabrication de l'acier, acier naturel, acier de cémentation, acier fondu. « L'acier nous manque, disait cette instruction; l'Angleterre, l'Allemagne nous en fournissaient; mais les despotes ont rompu tout commerce. Faisons notre acier.» Pour la fonte on citait alors comme remarquable le fourneau de Condé (Eure), qui pouvait produire 1 million de livres dans l'année,

1. Après la rédaction du rapport, trois autres systèmes se firent connaître ; ils sont décrits dans un appendice.

2. Le rapport imprimé en l'an III par l'imprimerie du Comité de salut public porte pour titre : « Prescription de divers procédés pour extraire la soude du sel marin, en exécution d'un arrêté du Comité de salut public du 8 pluviôse an II de la République française, imprimé par ordre du Comité de salut public. » Il débute ainsi : « Le premier effet qu'a dû produire la guerre que la République soutient si glorieusement contre les tyrans de l'Europe conjurés et armés contre sa liberté a été la cessation subite de son commerce. Cernée de toutes parts, elle a vu dans un instant ses rapports anéantis; dès le commencement même d'une année de disette, elle s'est vue à la fois obligée de créer des armées formidables et d'alimenter une grande population. Tout était à faire et tout manquait à la fois... La Convention n'a pas perdu courage et connaissant bien le génie de la Nation qu'elle représente et ce que peut sur un peuple magnanime le sentiment profond de la liberté, c'est des obstacles mêmes qu'elle a fait sortir les plus grandes ressources. » Arch. nationales, F12 95096.

3. Arch. nationales, F12 95052.

4. La fabrique d'acier, fondée à la fin de l'ancien régime à Amboise, continuait à travailler; elle demanda plusieurs fois des secours au gouvernement. Arch. nationales, F12 1305.

soit environ une tonne par jour; il y a aujourd'hui aux États-Unis des hauts fourneaux qui rendent plus de 500 tonnes par jour.

La période révolutionnaire n'a pas été propice aux arts. Ils ont langui faute de commandes, comme les industries de luxe. Beaucoup d'artistes tombèrent dans la misère. Cependant le Salon fut rouvert sous la Convention et sous le Directoire; en 1793, David, un grand artiste, qui était député à la Convention et qui avait adopté avec enthousiasme la politique des Jacobins, régnait sur le monde officiel des arts; la réaction du 9 thermidor avait mis fin à son règne, mais non à son influence comme chef d'école. Le style ultra-classique, imitation froide d'une antiquité de convention qu'il patronnait, s'imposa dans la construction des édifices publics, comme dans l'ameublement et le costume. Les sujets tirés de l'histoire romaine et les allégories 2 abondèrent à côté des portraits dans les expositions.

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La population industrielle et agricole. Nous avons vu que le désarroi de l'industrie et la misère publique n'avaient pas empêché le luxe de reparaître dans Paris et dans quelques grandes villes après la Terreur, luxe tapageur, visant plus à l'effet qu'à la délicatesse. Dès la fin de l'année 1794, on ne voyait presque plus de bonnets rouges dans les rues; les cocardes commençaient à devenir rares, comme le tutoiement dans la conversation. Cependant les élégantes, avons-nous dit, affectaient un costume soi-disant antique qui semblait donner un air républicain; les députés et officiers publics se drapaient d'une manière théâtrale; les muscadins portaient des costumes de couleur voyante. Ces excentricités, il est vrai, ne sortaient guère de Paris el des grandes villes; dans les petites villes et dans les campagnes elles ne pénétrèrent guère. Le fond des mœurs familiales d'ailleurs avait peu changé. Toutefois la facilité du divorce désunissait nombre de ménages, à Paris surtout,et l'absence de police livrait la rue à la prostitution. Les rapports des commissaires signalent fréquemment les maisons de jeu et un « libertinage effréné ». « Au Palais-Egalité, lit-on dans un de ces rapports, on ne voit pas sans murmures des jeunes filles de dix et onze ans livrées à la corruption et attaquer les hommes, surtout les militaires avec la licence la plus effrénée. »

1. Arch. nationales, F12 1305.

2. Parmi les logogriphes de l'allégorie, M, BENOIT (l'Art français sous la Révolution et l'Empire) cite au Salon de 1793 un tableau de Genillon symbolisant le triomphe de la Révolution par une tempête qui cause le naufrage du vaisseau le Despote contre un rocher occupé par la Liberté.

3. Paris pendant la réaction thermidorienne, 10 nivôse an XII (30 décembre 1794). 4. « Toujours beaucoup de femmes publiques, et plus que jamais la trop grande douceur dans le châtiment que l'on exerce envers elles, lorsqu'elles sont au tribunal, en ne les condamnant qu'à deux ou trois jours de détention, ne fait que les encourager au vice. » 6 octobre 1794. Paris pendant la réaction thermidorienne, t.I, p. 151. Voir aussi Ibid., 9 décembre 1795, 1er septembre 1796 et suiv. Cette démorali

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