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Ce qui prouve encore combien les Romains mettoient d'empressement à former des collections de livres, même comme objet de luxe, ce sont les plaintes que forme à cet égard Sénèque, plaintes qui pourroient s'adresser à plus d'un moderne (1): «<< Rien de plus noble, dit-il, que la dépense qu'on fait pour se procurer des livres. Mais il ne faut pas que cela soit poussé à l'excès. A quoi sert une quantité innombrable de volumes dont le maître pourroit à peine dans toute sa vie lire les titres? Dévorer un grand nombre de livres, c'est surcharger sa mémoire. Il vaut beaucoup mieux s'en tenir à peu d'auteurs que d'en parcourir un grand nombre. Aujourd'hui que la plupart des hommes sont ignorans, les livres ne servent plus pour l'instruction, on n'en fait

(1) « Comparandorum librorum (inquit Seneca de Tranquill. cap. 9), impensa liberalissima est; at in eâ habendus modus. Quid prosunt innumerabiles libri quorum dominus vix totâ vitâ suâ indices perlegit? Onerat discentem turba; multòque satius est tradere te paucis auctoribus, quam errare per multos. Nunc plerisque litterarum ignaris, libri non studiorum instrumenta sunt, sed ædium ornamenta. Paretur itaque quantum satis sit librorum, nihil in apparatum. Honestiùs, inquis, in libros impensas effundam, quam in vasa pretiosa, pictasque tabulas. Vitiosum est ubique quod nimium est. An ignoscas homini aptanti armaria cedro atque ebore, aut inter tot millia librorum oscitanti, cui voluminum suorum frontes maximè placent titulique? Apud desidiosissimos videbis quidquid orationum historiarumque est, et tecto tenùs exstructa loculamenta. Sicque sacrorum opera ingeniorum in speciem tantum et cultum parietum comparantur.» ( Extrait abrégé.)

qu'une décoration d'appartement. On ne devroit se procurer que les ouvrages dont on a besoin et non pas les acquérir pour en faire un vain or→ nement. Mais, direz-vous, ne fais-je pas mieux d'acheter des livres que des vases précieux et des tableaux? Par-tout l'excès est un défaut. Quelle idée avez-vous d'un homme qui assortit à grands frais des armoires de cèdre garnies d'ivoire, ou de celui qui bâille au milieu de tant de volumes, et dont le plaisir consiste à en lire les frontispices et les titres? On voit chez les hommes les plus oisifs tout ce qui appartient à l'histoire et à l'éloquence, et des rayons garnis jusqu'au plancher. C'est ainsi qu'on n'acquiert les productions sacrées du génie que pour en faire parade et pour en tapisser des murs (1). »

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Quand Séneque traçoit ces lignes, la décadence de la littérature romaine s'annonçoit déjà ; et bientôt, marchant de front avec la décadence de l'em

(1) Ce passage prouve qu'il y avoit à Rome des bibliothèques particulières assez volumineuses; en effet on raconte qu'un certain Epaphrodite de Chéronée, grammairien qui a vécu à Rome dans l'intervalle du règne de Néron à celui de Nerva, possédoit une bibliothèque de trente mille volumes; et Sammonicus Serenus, poëte du troisième siècle et médecin, que Caracalla fit tuer comme ayant été du parti du malheureux Geta, avoit réuni dans la sieune soixante-deux mille volumes, quantité prodigieuse sous le rapport de la cherté du parchemin, du papyrus et des manuscrits. Sammonicus son fils, hérita de cetté collection précieuse, et en fit don à Gordien III, dont il étoit ou avoit été le précepteur.

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Bientôt des particuliers pleins de goût, et assez riches pour acquérir les manuscrits découverts, ou assez patiens pour les copier, s'empressèrent de former des bibliothèques à leur usage. Parmi plusieurs qui existoient dans la première moitié du xve siècle, nous ne citerons nous ne citerons que celle de Niccolo Niccoli et celle du cardinal Bessarion. La première étoit composée de huit cents manuscrits grecs, soit acquis, soit copiés par le propriétaire qui la légua à la République de Florence. M. Petit-Radel, dans ses Recherches sur les Bibliothèques, Paris, 1819, in-8°, pag. 235, estime cette collection 466,400 fr. de notre monnoie actuelle. La seconde, celle du cardinal Bessarion, étoit moins nombreuse (six cents volumes); mais elle étoit plus précieuse pour le choix des ouvrages. M. Petit-Radel dit,pag. 219, qu'elle avoit coûté au Cardinal 30,000 écus qu'il estime 653,600 fr. Une pièce très intéressante qui, se rattachant au souvenir de cette bibliothè

dans un voyage

ruses, les fatigues de Naudé pour se procurer, qu'il fit à Rome en 1645, des livres précieux et à très bas prix. Après avoir dit tous les moyens qu'employoit ce vrai bouquiniste pour venir à bout de ses fins, Rossi le peint ainsi, sortant de la boutique ou des greniers des libraires : « At velles hominem ex tabernis bibliopolarum exeuntem, aspicere: risum profectò tenere non posses; ita exit, capite, barbâ, vestibus, telis aranearum atque erudito illo pulvere qui libris adhæserat, plenus, ut ad eum depellendum, nullæ satis videantur esse excutiæ, nulli peniculi.....>>

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