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tous genres, dont les véritables amateurs se sont toujours empressés de faire la base de leur bibliothèque. Il est certain qu'en matière de goût, on peut s'en tenir à peu près là (1), et si l'on vouloit augmenter le nombre de ces auteurs comme modèles, il nous semble que ce ne seroit guères que multiplier des échos, et l'on sait que le propre de l'écho est de répéter les mêmes sons en les affoiblissant. Ainsi, avec trois à quatre cents volumes, on pourroit se composer la collection la plus précieuse qu'un amateur puisse posséder, sans crainte de choquer aucune opinion littéraire.

Quant aux connoissances bibliographiques, toujours subordonnées aux connoissances littéraires dont elles ne sont que l'accessoire, elles ne peuvent et ne doivent être que d'un intérêt secondaire dans le choix des livres, à moins que l'on ne soit attaqué de

(1) Pour confirmer, par une autorité du plus grand poids, ce que nous avançons ici, nous citerons le savant et profond auteur des Mélanges littéraires publiés en 1819, 2 vol. in-8.o Il dit positivement, tom. II, p. 570 : « Les chefs-d'œuvre de la littérature ancienne, seuls ouvrages qu'il soit nécessaire à l'homme de goût d'étudier et de retenir, sont en assez petit nombre; et les productions d'un rang inférieur, plus capables de corrompre le goût que propres à le former, traduites, imitées, citées dans nos cours de belles-lettres, pour ce qu'elles ont de meilleur, sont reléguées au fond de nos bibliothèques, d'où l'idolâtrie de quelques commentateurs a fait de vains efforts pour les exhumer. Il faut bien se persuader qu'il n'y a à la longue que les chefs-d'œuvre qui surnagent sur le fleuve d'oubli, et c'est ce qui doit nous faire envisager avec moins d'effroi le prodigieux accroissement des productions littéraires et scientifiques. » M. DE BONALD.

DU CHOIX DES LIVRES.

cette funeste maladie appelée bibliomanie, c'est-àdire, de cette passion aveugle qui fait tout sacrifier au futile plaisir de posséder exclusivement certains livres et certaines éditions. Que l'on se pénètre bien de cette vérité, que l'impression et la reliure d'un volume, quelque belles, quelqu'élégantes qu'elles soient, ne sont à l'ouvrage que ce que l'écorce et les couches ligneuses sont à la sève de l'arbre; et les arbres les plus beaux à la vue ne portent pas toujours les fruits les plus agréables et les plus sains.

Ce n'est cependant pas que s'attachant exclusivement au mérite intrinsèque d'un ouvrage, il faille en négliger le matériel extérieur, c'est-à-dire, la partie typographique. Au contraire, nous pensons qu'il est de la plus grande importance de toujours rechercher les éditions les meilleures, les plus correctes et les mieux imprimées; car, ainsi que le dit le sage Rollin, «une belle édition qui frappe les yeux, gagne l'esprit, et, par cet attrait innocent, invite à l'étude. » C'est ce que l'on éprouve surtout quand on a le bonheur de rencontrer ces excellentes éditions d'auteurs anciens, si recherchées des amateurs. Il n'y a pas de doute que la beauté d'une impression très soignée contribue à faciliter l'intelligence du texte, et semble en insinuer le sens avec plus de charmes et de développement dans l'esprit du lecteur.

elles Des connoissances bibliographiques sont donc utiles à l'amateur; mais, comme nous l'avons dit, doivent céder le pas aux connoissances littéraires. D'ailleurs, le choix des éditions n'est pas aussi diffi

cile

que le choix des livres ; celui-ci est un talent qui ne s'acquiert qu'à la longue; il ne peut être que le résultat de principes fixes, d'excellentes études, de lectures immenses et de connoissances profondes et variées; au lieu que le choix des éditions n'exige guère que des yeux et un peu de goût. En quoi consiste une belle édition? Dans la netteté d'un beau caractère, et dans sa proportion avec le format; dans une sévère correction qui conserve le texte et chaque mot en particulier, dans toute leur intégrité, et l'orthographe dans toute sa pureté ; dans l'élégante disposition du frontispice, des titres de chapitre, des notes, etc.; dans une justification (longueur des lignes) qui ne soit ni trop grande ni trop petite; dans de belles marges; dans l'uniformité du tirage, et surtout de la couleur de l'encre qui, ni trop noire ni trop pâle, doit être de la même nuance pour toutes les pages; enfin, dans la beauté et la solidité du papier. Il n'est pas difficile au premier coupd'œil de voir si ces diverses conditions sont remplies. Au reste, le nom de certains imprimeurs est une garantie à cet égard : les Aldes, les Étiennes, les Elzevirs, les Cramoisy, les Wetstein, les Foulis, les Baskerville, les Ibarra, les Didot, les Bodoni, les Mussi, les Crapelet, et beaucoup d'anciens imprimeurs de Paris, se sont attiré l'estime de l'Europe savante par la beauté et la bonté de leurs éditions; on ne risque donc rien de donner la préférence à celles qu'ils ont publiées. Et parmi les éditeurs de collections curieuses et intéressantes, on distinguera

B

toujours les Maittaire, les Brindley, les Coustelier, les Barbou, les Didot, les Renouard, etc. etc.

Mais revenons au choix des livres, sur lequel on ne peut trop insister, et tâchons d'ajouter à ce que nous avons dit, de nouvelles observations qui prouvent de la manière la plus évidente et l'importance de ce choix sous le rapport littéraire, et sa nécessité sous le rapport moral,

On l'a dit depuis long-temps, et nous ne pouvons trop le répéter, ce n'est point dans le nombre de volumes que consiste l'excellence d'une bibliothèmais dans le choix et le mérite des ouvrages que, qui la composent. Telle collection de trois cents volumes est quelquefois bien au-dessus d'une de trois mille, parce que l'on gagne plus à la lecture et à la méditation d'un seul bon livre, sous le rapport du goût, de la morale et de la solide instruction, qu'on ne le fera avec vingt ouvrages médiocres. En effet, quel but doit-on se proposer en formant une bibliothèque particulière? N'est-ce pas de réunir des livres pour en tirer le plus grand avantage possible? Et y parviendra-t-on si l'on entasse indistinctement toutes sortes d'ouvrages, bons, médiocres et mauvais? Non sans doute. Une bibliothèque ne sera vraiment bonne, vraiment utile, vraiment précieuse, qu'autant qu'elle sera composée de livres d'une réputation confirmée par le temps, ou par le suffrage des personnes éclairées et vertueuses; de livres qui, joignant les charmes du style à la solidité des principes, sont les plus propres à former le goût, à orner

l'esprit, à élever l'ame, à n'alimenter

des

que les p'assions nobles, à épurer les mœurs, à nous rendre meilleurs et plus habiles; de livres qui soient pour nous de vrais amis, toujours prêts à nous instruire, à nous plaire, et dont nous n'ayons jamais à rougir; de livres enfin, qui, tout en augmentant nos connoissances et en perfectionnant nos facultés, soient une source continuelle de jouissances d'autant plus pures qu'elles seront plus vives à mesure qu'on les multipliera tel est le cachet des bons ouvrages, : seuls que l'on doit rechercher. Et, comme nous l'avons déjà dit, ils ne sont pas très nombreux. Il en est des livres comme des hommes : les sages, les héros, les vrais savans peuvent se compter; la masse du vulgaire est innombrable (1). Cette vérité s'applique parfaitement aux productions de l'esprit. Il faut donc savoir choisir, ne pas confondre les diamans avec les cailloux, et ne s'attacher qu'à ce qui est essentiellement bon, essentiellement beau. Les livres médio

(1) Lorsque j'ai établi cette comparaison dans la première édition de mon Choix des Livres, j'ignorois que M. de Bonald en eût fait une pareille dans son excellent article sur la multiplicité des Livres, publié en 1811. Comme elle est plus développée que la mienne, je vais la rapporter, quelque désavantageux qu'il soit pour moi de citer un écrivain tel que M. de Bonald, sur un objet où j'ai eu le bonheur de me rencontrer avec lui : « Les livres, dit-il, peuvent être comparés aux hommes, et un livre n'est autre chose qu'un homme qui parle en public. Il est des hommes qui vivent et meurent dans l'obscurité, inutiles à tout le monde et à eux-mêmes, et qui ne laissent point de traces de leur passage sur la terre. Il en est d'autres dont les vertus et les talens ont jeté un grand éclat, et qui ont donné à leurs semblables d'utiles exemples,

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