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ses domestiques le logement et le chauffage, de payer à la fémme 400 f. de gages et au marí une rente viagère. Le sieur de Laubépine faisait ces sacrifices afin de déterminer les sieur et dame Doucet à abandonner une auberge qu'ils exploitaient avec avantage.

Ces conventions furent exécutées jusqu'en 1825, époque à laquelle le sieur de Laubépine vint se fixer à Paris, et laissa les sieur et dame Doucet sans moyens d'existence dans une maison de campagne qu'ils avaient jusque alors habitée ensemble.

Les sieur et dame Doucet ont formé contre le sieur de Laubépine une demande en résolution de l'acte du 31 août 1821 èt en condamnation à 20,000 fr. de dommages et intérêts. Le 4 mars 1826, jugement par défaut du tribunal de Nogent-le-Rotrou, qui accueille cette demande.

Appel de la part du sieur de Laubépine. On a dit, dans sou intérêt, que le contrat du 31 août 1821 ne devait pas seulement être résolu à défaut d'exécution de ses clauses, mais qu'il y avait lieu de le déclarer radicalement nul, d'après l'art. 1780 du cod. civ., qui n'autorise que des engage ments à temps; que, par suite, des premiers juges ne pouvaient condamner le sieur de Laubépine à des dommages et 'intérêts, comme s'il se fût agi d'une obligation de faire, qu'il eût refusé d'exécuter (art. 1142 du cod. civ.).

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On pourra objecter, ajoutait-on, que l'art. 1780, qui dé- fu clare nul tout engagement de services fait pour un temps illimité, ne dispose qu'en faveur des domestiques, et que les maîtres ne peuvent se prévaloir de cette disposition. Les mo tifs qui ont dicté l'art. 1780 repoussent cette interprétation. La loi, en déclarant que les serviteurs à gages ne pourront enchaîner indéfiniment leur liberté, n'a pas voulu que les maîtres pussent engager la leur. Le principe de la liberté individuelle, qui domine cette matière, s'élève avec la même force en faveur du maître et du domestique.

Du reste, quand même l'engagement serait valable en droit, il y a lieu d'en prononcer la résolution au prejudice des sieur et dame Doucet, parce que le sieur de Laubépine a à se plaindre de leur conduite. La déclaration du sieur de Laubépine sur ce point est d'ailleurs suffisante, et n'a pas besoin d'être judiciairement prouvée, parce que le maître

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doit être cru sur sa déclaration, d'après les anciens principes, attestés par Pothier, et consacrés par l'art. 1781 du cod. civ. Mais, si le contrat est résolu par la faute des sieur et dame Doucet, on ne doit point leur accorder des dommages et intérêts. La sentence des premiers juges doit donc être réformée. Pour les intimés, on répondait : L'art. 1780 ne dispose qu'en faveur des domestiques: cela résulte et des termes de l'article, et des discours des orateurs du gouvernement. En effet l'article porte: On ne peut engager ses services qu'à temps ou pour une entreprise déterminée. « Il serait étrange, disait M. Galli, qu'un domestique, un ouvrier, pussent engager leurs services pour toute leur vie. La condition d'homme libre abhorre toute espèce d'esclavage. » M. Mouricault ajoutait : « Il était convenable, à l'occasion du louage des domestiques et ouvriers, de consacrer de nouveau le principe de la liberté individuelle: c'est ce qu'a fait le projet en statuant qu'on ne peut engager ses services qu'à temps ou pour une entreprise déterminée. » On voit que l'art. 1780 n'a point été rédigé dans l'intérêt du maître. Cet article, ayant eu pour unique but de garantir la liberté individuelle, ne peut être invoqué que par celui dont les services sont engagés pour un temps indéfini. Il ne peut l'être par le maître qui a reçu cet engagement : car la liberté du maître n'est point enchaînée par un tel contrat, puisqu'il n'est tenu qu'au paiement des gages stipulés.

Au reste l'engagement, dans l'espèce, n'a été fait qu'à temps, comme le voulait l'art. 1780; il n'a été contracté que pour la durée de la vie du sieur de Laubépine, et, pour qu'il eût le caractère de perpétuité défendu par la lọi, il faudrait qu'il eût été fait pour toute la vie des sieur et dame Doucet. Mais le sieur de Laubépine prétend que, si l'engagement n'est pas déclaré nul, on doit du moins en prononcer la résolution, parce qu'il a à se plaindre de ses domes tiques, et il soutient que son articulation sur ce point est suffisante, et n'a pas besoin d'être prouvée. C'est là une grave erreur: si, dans l'ancien droit, le maître était cru sur sa déclaration relativement aux sujets de plainte qu'il prétendait avoir contre son domestique, l'art. 1781 du cod. civ. a modifié cette jurisprudence en ne comprenant pas ce cas au nombre de ceux sur lesquels le maître doit être cru sur

son affirmation: Qui de uno dicit de altero negat. Enfin, alors même que l'engagement serait déclaré radicalement nul, le sieur de Laubépine devrait être condamné à des dommages et intérêts pour le préjudice qu'il a causé aux sieur et dame Doucet, en leur faisant quitter un établissement avantageux, et, sur ce point, la décision des premiers juges devra toujours être maintenue.

Du 20 juin 1826, ARRÊT de la cour royale de Paris, M. Cassini président, MM. Touchard-Grand-Maison et Mollot avocats, par lequel:

« LA COUR,—Considérant que, l'art. 1780 du cod. civ. ne permettant au domestique d'engager ses services qu'à temps ou pour une entreprise déterminée, on doit en conclure que le maître ne peut pas non plus se lier à l'égard de son domestique par un engagement irrésoluble, durant toute sa vie; Considérant néanmoins que la résolution de l'engagement témérairement contracté par le maître peut et doit le rendre passible de payer à son domestique une indemnité, s'il en résulte pour lui un dommage; Considérant que l'indemnité allouée par les premiers juges est hors de toute proportion avec le dommage éprouvé par Doucet et femme; - MET l'appellation et ce dont est appel au néant; émendant et statuant par jugement nouveau, etc. >>

S.

COUR D'APPEL DE PARIS.

L'emploi abusif fait du nom d'autrui, en lui attribuant mensongèrement un ouvrage de l'esprit, est-il une violation de propriété dans le véritable sens de ce mot? (Rés. aff.)

La suppression de l'ouvrage est-elle la réparation néces saire du préjudice causé par cette violation? (Rés. aff.) Cod. civ., art. 1382.

LEROUGE, C. HÉRITIERS FOUCHÉ D'OTRANTE.

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Le libraire Lerouge avait publié en 1824 un ouvrage ayant pour titre : Mémoires de Joseph Fouché, duc d'Otrante, ancien ministre de la police générale. Ces mémoires étaient rédigés de manière à faire croire que Fouché luimême en était l'auteur. Ses enfants s'étaient empressés de les désavouer; ils en avaient demandé la suppression, et avaient conclu à 50,000 fr. de dommages et intérêts, applicables aux pauvres de Paris. Le tribunal civil de la Seine rendit, le

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5 janvier 1825, un jugement ainsi conçu: « Le tribunal, atendu que Lerouge ne justifie pas que les mémoires qu'il a publiés sous le nom du feu duc d'Otraute soient réellement de ce dernier, quoique, sur le désaveu public des héritiers ludit feu dục d'Otrante, il eût annoncé aussi publiquement qu'il en justifierait en justice; -- Attendu que, si chacun a e droit d'écrire et de publier la vie d'un homme qui a joué Hans les affaires publiques un rôle aussi important que le feu Huc d'Otrante, il ne peut être permis à personne de le faire, comme dans les mémoires publiés par Lerouge, comparaître ui-même devant le public pour y faire des ayeux, exprimer des opinions dans lesquelles peut-être il n'a point persévéré, et rapporter des faits plus ou moins offensants pour sa mémoire et pour des tiers; qu'ainsi c'est encore contre toute espèce de droit que Lerouge s'est permis de publier les mémoires dont il s'agit; Attendu les héritiers du feu duc que 'Otrante sont fondés à se plaindre de l'abus que Lerouge a ait du nom de leur père, abus qui n'a pu être commis que lans l'espérance, en trompant le public, de se procurer un ›énéfice plus certain et plus considérable; que de pareilles péculations, qui tendent d'ailleurs à jeter le trouble dans a société, en réveillant et perpétuant les haines, doivent tre sévèrement réprimées; que les héritiers du duc d'Otrante nt droit de demander pour réparation que les mémoires pu›liés par Lerouge soient supprimés, et que, faute par ledit erouge de représenter tous les exemplaires qui ont été tirés, I soit condamné à des dommages et intérêts proportionnés u bénéfice illicite qu'il aurait fait; que la valeur des exemlaires vendus excède de beaucoup la somme de 3000 fr. ; u'en pareil cas, la contrainte par corps est autorisée par la ɔi; qu'elle est requise, et que c'est d'autant plus le cas d'adaettre cette voie de contrainte, que les dommages et intérêts lemandés ne consistent qu'en une restitution de sommes inlûment touchées par Lerouge; -Donne acte aux héritiers lu duc d'Otrante de ce qu'ils désavouent formellement les némoires publiés par Lerouge, sous le nom de leur père ; en onséquence, ordonne que tous les exemplaires imprimés de es mémoires, ensemble les formes qui ont servi à leur imression, seront supprimés; autorise en conséquence les hériiers d'Otrante à faire décomposer les formes et à faire saisir Tome Ier de 1827. Feuille 33.

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tous les exemplaires desdits mémoires qui existeraient entre les mains de Lerouge, ou de tout autre qui les détiendrait pour son compte; condamne Lerouge à représenter, dans le mois, à compter de ce jour, tous les exemplaires qu'il en a à fait tirer, sinon les condamne, et par corps, payer héritiers du duc d'Otrante 5 fr. de dommages et intérêts par chaque volume nou représenté; ordonné que les volumes représentés seront déposés au greffe pour y être lacérés et détruits, etc. »

Appel de la part du sieur Lerouge.

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Il soutenait, devant la cour, que les premiers juges s'étaient écartés de tous les principes en matière de désaven. Les effets nécessaires du désaveu consistaient, dans l'espèce, à proclamer que le duc d'Otrante, auquel on attribuait les mémoires dont il s'agit, n'était réellement pas l'auteur de ces mémoires: c'était là son unique résultat. Mais aller jusqu'à la suppression de l'ouvrage et à une condamnation en dommages et intérêts, c'était évidemment excéder les limites comme la puissance de cette action. — Pour pousser jusque là les condamnations, il aurait fallu qu'on eût eu à statuer sur une demande en revendication de la propriété de l'ouvrage, ou sur une action en diffamation. Dans le premier cas, sans doute, il y avait violation de propriété, et les conséquences nécessaires de cette violation étaient la res titution complète et efficace, dans les mains de la partie revendicante, de la propriété usurpée ; par conséquent, la sup pression de l'ouvrage, puisque c'était là l'unique manière de restituer la propriété dont il s'agit. - Dans le second cas, la diffamation une fois proclamée, la conséquence naturelles était de faire disparaître en tout lieu la cause de ce tort fait à la réputation d'autrui; et, dans les deux cas, des dommages et intérêts en réparation du tort causé étaient complétement motivés.

Abordant l'action même sur laquelle avaient statué les premiers juges, l'appelant trouvait leur décision dépour préjudice vue de fondement en effet, ils avaient vu un causé aux héritiers Fouché, dans la forme et dans le fond des mémoires: dans la forme, en ce qu'ils étaient publiés sons son nom, qu'on le faisait intervenir et parler lui-même au public; dans le fond, en ce qu'ils étaient offensants ét diffs

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